Meilleurs vœux !
Il y a dix ans que je ne t’ai pas souhaité une bonne année.
Forcément, me diras-tu.
Mais ton futur passage dans la ville m’amène à reconsidérer pas mal de choses : il y a dans mon salon une plaquette de ce foutu congrès sur laquelle j’ai vu ta photo (impossible de ne pas te reconnaitre) et lu ton nom. Et ton email.
J’ai régulièrement culpabilisé des ces parasitages de ma vie affective par des résurgences de ces quelques mois de jeunesse, j’ai élaboré dix mille scénarios à mes heures perdues et voilà que tu vas débarquer. Vais-je te rencontrer ?
J’ai quelqu’une dans ma vie, charge d’âmes, passé recomposé et tu vas être là.
En évoquant cela, je ne trompe personne, je trompe tout le monde. Moi en premier.
Pourquoi ces contacts périodiques, tous les dix ans ?
Remarque j’exagère un peu, puisqu’il n’y a que vingt ans entre le début de notre histoire (quoi, j’exagère en appelant ça « notre histoire » ?) et ce jour !
D’autant c’est toi qui avais dégainé la première last time, me téléphonant. Je n’aurais pas osé.
Et je t’avais demandé de m’écrire tout ça, comme un courrier de confirmation (je voulais me délecter de mots ruisselant sur ma tête, me doucher de tes phrases, profiter de l’aubaine). Je n’osais pas y croire.
Et portant je t’ai éconduite.
J’ai eu peur en percevant chez toi la même maladie. Peur des possibles à la suite (je n’ai pas de carrure, toujours pas ou si peu), peur de l’échec aussi. On n’est jamais à l’abri. Surtout toi et moi, on l’a prouvé.
J’avoue avoir entretenu l’illusion que tu viendrais quand-même.
Je sais que je mens à tue-tête, à toi, à moi (il y a toujours un tiers dans cette histoire ! Quel humour mal venu…), mais j’ai envie de penser que les choses se sont passées ainsi.
« Dis-moi que tu m’aimes, si même tu mens », dit la chanson.
Ta détestation de ce phrase me revient, tu étais « brute de décoffrage », très premier degré, très jeune, trop verte. Peut-être aujourd’hui es-tu plus sereine, plus avide de saisir les moments de l’existence qu’on ne doit pas laisser filer, même s’ils ne sont pas taillés dans le granit. Surtout s’ils ne le sont pas.
Mais je crois que tu as enfin oublié cette non-relation, que ce que tu m’écrivais il y a dix ans est retombé. « Comme un soufflé » dirait le lieu commun mais qui illustre tellement bien ce que je veux te dire ; la chaleur et la complexité de ce que tu étais capable d’éprouver pour moi a dû progressivement s’évaporer, s’échappant en volutes par une petite cheminée au travers de la surface craquelée, fendillée par ma réponse distante et déprimée.
Je suis un con, je le savais déjà mais je me le confirme, petit piqûre de rappel (sans que Roselyne n’y soit pour rien, je ne veux pas de son vaccin).
Je viens chercher ton mépris, je viens quémander ton indifférence. Je pourrai alors passer à autre chose ; ce qui est faux : je pourrai continuer cet autre chose, avec celle qui me fournit l’apparence d’une existence normale (égoïste je suis, comme tu peux le voir).
Je ne sais plus vraiment pourquoi je viens t’importuner au fur et à mesure que cette lettre s’écrit, elle semble évoluer pour son propre compte, ne prenant que rarement mon avis, étalant sur cet écran les pigments ternes des sentiments.que je crois éprouver. On dirait qu’elle cherche à leur redonner de l’intensité et qu’elle pense que tu es cette alchimiste-là, qui d’un peu de boue pourrait créer de l’alizarine Crimson ou du chinese Vermillion.
J’essaie de te flatter, tu vois, pour que tu finisses par te jeter d’un pont, pensant avoir gâché ta vie.
Non, je plaisante encore, cruel et malheureux, je veux que tu lises ça, que tu aies un pincement au cœur et que tu plaignes le pauvre nase qui l’a écrit, te demandant à quoi il tourne à présent.
En vrai, j’aimerais que tu fasses comme tu le sens (je mens encore). Que tu viennes, comme tu voulais le faire « avant », qu’on s’approche, timides et empruntés, puis de plus en plus libres, heureux (le mot est lâché) de nous retrouver, puis carrément en phase et enfin prêts à vivre quelque chose.
Quitte à ce que ça s’arrête demain parce-qu’ « il n’y a pas d’amour sans amour » (ça t’énervait aussi, cette affirmation).
En vrai, j’aimerais savoir que tu n’as personne dans ta vie, que tu n’as pas d’enfants, ou que tu as une famille nombreuse et un mari ombrageux, j’aimerais que tu aies encore 19 ans, moi 24 et que tu m’attendes sur la plage à Gruissan (Djian, Betty, les chalets, la mer).
En vrai, j’aimerais ne jamais t’avoir rencontrée et ne jamais avoir eu envie de t’écrire.
Pour rester théâtral, je vais publier ce message sur le net, comme une bouteille à la mer (j’ai le sens du tragique ridicule, comme toi) pour que tu le croises « par hasard » (qui pourrait bien faire les choses, est-ce-que tu traines sur le net «littéraire» ?) et que tu te demandes longtemps s’il t’est adressé.
Pour de faux, je t’ai toujours aimée.
Pour de vrai, je ne sais pas aimer (et ce n’est ni toi ni mon ex-femme, ni mes échecs suivants qui me contrediront).
Meilleurs vœux et à jamais (comme d’habitude) ?
M. le maudit.
Je t'ai lu...
RépondreSupprimerJe suis à présent assez forte pour apprécier ta noirceur. Retrouve-moi, je t'attendrai.
Cher Anonyme: je salue votre humour!
RépondreSupprimerTexte prémonitoire ????
RépondreSupprimernon John BM, ils avaient 19 et 24 ans...
RépondreSupprimerpourquoi, vous vous y reconnaissez?