lundi 2 juin 2025

Le pire écrivain français du 20e siècle - par Martin Winckler


Laisser-passer fourni à Céline pendant l'Occupation et qui lui permit de passer en Allemagne puis au Danemark en 1944. (Collection François Gibault) 


"Libre à tout écrivain de considérer ses lecteurs comme des amis ou des ennemis. Les traiter en ennemis est apparemment ce que Céline préfère."
Hanns-Erich Kaminski, Céline en chemise brune (1001 Nuits) 


Il n'y a mon avis rien de pire que d'entendre désigner un écrivain, quel qu'il soit, comme étant "grand". Il y a des écrivant·e·s, pour certain·e·s très lu·e·s, d'autres beaucoup moins. Qu'est-ce qui les rend "grand·e·s" aux yeux du monde ? C'est très variable, très subjectif. 

Le succès commercial (plus ou moins durable) des livres est un élément ; "l'influence" en est un autre, et cette influence est difficile à mesurer, mais en France, en général, elle est corrélée à la fréquence avec laquelle l'auteur·e ou ses livres sont intégrés à la culture scolaire ou universitaire. Plus un roman est donné à lire au lycée et étudié dans l'enseignement supérieur, plus il est considéré comme un "classique" (voire comme un "chef-d'oeuvre"...) Tout le reste en découle : les mémoires et les thèses, les publications savantes, les scandales parisiano-parisiens, les reportages dans les tabloïds, les documentaires télévisés, les adaptations en deux fois cent-dix minutes... 

Au sein du "panthéon littéraire français", il est une figure qui m'a, personnellement, toujours profondément scandalisé, c'est celle de Louis-Ferdinand Destouches, dit LF Céline. 

Jusqu'à tout récemment, je ne savais de Céline que ce que j'en avais lu ici ou là. 

Je n'ai jamais lu ses textes. Et je ne me suis pas privé de m'exprimer à ce sujet

Et cela, de manière délibérée. D'abord parce que son antisémitisme m'est toujours apparu comme notoire, et je n'éprouve aucun plaisir (ni désir) à lire un auteur qui prône la haine et l'éradication d'un groupe humain - qu'il s'agisse des Juifs, dont je fais partie, ou de personnes dont je me sens frère, à savoir par exemple les Tsiganes, les personnes homosexuelles ou transgenres, les personnes racisées, les personnes handicapées ou les coiffeurs. 

(NB : Si vous vous demandez pourquoi je mentionne les coiffeurs, interrogez-vous sur vos préjugés).  

Ensuite parce qu'on m'a toujours répété qu'il "fallait" lire Céline (le plus souvent, Le voyage au bout de la nuit, parfois Mort à crédit), parce qu'il avait "révolutionné la littérature française (voire mondiale)" et que si je ne le lisais pas, je ne pouvais pas parler de ce style qui l'a propulsé une fois pour toutes au sommet du panthéon des lettres. Or, je déteste qu'on me dise ce qu'il faut lire, comme si ne pas le faire était en soi une faute, un péché ou une preuve d'incapacité intellectuelle. 

De plus, je n'ai jamais voulu débattre du "style" de Céline. Le "style" de Céline n'est pas mon souci. (Ni, Dieu merci, mon modèle). D'un point de vue général, le "style" d'un auteur me semble secondaire à ce qu'il raconte. C'est le contenu qui véhicule des valeurs. Quel que soit le "style" qui l'enveloppe. 

Et, précisément, si la légende célinienne m'insupporte considérablement, c'est parce qu'il résume à lui seul le trait le plus caractéristique du "goût" à la française : la qualité d'un·e auteur·e se mesure à son "style". Le problème, c'est que, comme la maîtrise de l'orthographe, l'appréciation du style est un critère de classe. 

Or, peu me chaut qu'un texte soit ou non orthographié ou écrit "dans une langue admirable" (admirable et admirée par qui, d'abord ?). Ce qui m'importe, ce sont les valeurs que le texte porte et partage. 

Et sur ce point, il ne fait pas de doute que les textes de Céline sont les pires qui soient. 

Jusqu'ici, j'en avais la notion ferme, mais fragmentaire (j'ai lu un peu "autour" de Céline, depuis soixante ans, quand même ; il était difficile d'y échapper complètement et même si je ne veux pas le lire, lui, je ne refuse pas d'être informé). 

Depuis ces dernières semaines, mes notions se sont solidifiées considérablement, grâce à la série documentaire de Philippe Collin sur France inter, Louis-Ferdinand Céline, Le voyage sans retour

C'est un documentaire biographique, historique et littéraire. Et, à mon humble avis, c'est du très bon boulot. Il retrace l'itinéraire de Céline grâce à la contribution d'historien·ne·s et de professeurs de littérature, en s'appuyant sur de nombreuses archives sonores et écrites - à commencer par celles de Destouches lui-même, ses lettres, ses déclarations radiophoniques, ses textes. 

Les dix épisodes explorent et éclairent toute la vie de l'individu, depuis sa naissance dans une famille de la classe moyenne à Courbevoie en 1894 jusqu'à sa mort à Meudon en 1961,

De l'écoute attentive de cette biographie rigoureuse, il ressort que dès les débuts de son âge adulte le "bon docteur Destouches" était (il l'écrit et le dit lui même) profondément raciste, antisémite et misogyne, méprisant envers le monde entier, certain d'être le plus grand écrivain français vivant (et à venir) et absolument convaincu que "tout le monde avait tort, sauf lui" (c'est lui qui le dit). 

Pire : il a passé sa vie à prétendre qu'il était une victime (des Juifs, bien sûr, mais aussi des jaloux, bien entendu et des Juifs, surtout). 

Mégalomane narcissique et haineux, il montre son antisémitisme dès L'Eglise, une pièce de théâtre écrite bien avant Le Voyage, tandis que sa haine des pauvres et son racisme colonialiste sont évidents dans sa correspondance dès les années 20. 

(Oui, sa haine des pauvres. L'image idéalisée de "médecin des pauvres" fut entièrement construite par la presse, et réutilisée par Céline plus tard dans sa vie, lorsqu'il lui fallut replâtrer sa réputation. Car c'était aussi un manipulateur forcené...) 

Quand il fait de Bardamu un "jeune médecin qui s'engage dans l'armée par patriotisme", il ment comme un arracheur de dents : il s'est engagé dans le corps des Cuirassés à cheval en 1912 par ambition et désir de gloire, et... parce qu'il était trop paresseux et noceur pour faire des études. Sa "glorieuse" carrière militaire durant le conflit mondial dura en tout et pour tout... deux mois ! Après avoir été blessé (mais pas assez pour être dispensé de retourner au front), il réussit à aller se planquer en Angleterre avant de se faire réformer d'une manière bien pratique pour ne pas retourner à la boucherie. Et il s'en va travailler pour la France coloniale en Afrique. Une de ses lettres, écrite à une amie, et décrivant son activité, est édifiante quant à la manière dont il voit (et désigne par le N-word) les populations du Cameroun sous domination française. 

Il n'a fait médecine qu'après la Grande guerre, à partir de 1919, pour plaire à son futur beau-père qui ne voulait pas donner sa fille à un incapable. Après un cursus accéléré (parce qu'il était ancien combattant...) il a tout fait pour ne pas exercer la médecine générale (trop "routinière"). 

Après avoir publié Le Voyage dans les années 30 et s'être fait "souffler" le Goncourt, il s'engage rapidement et sûrement dans une mouvance qui vise à faire disparaître la République et rêve d'une Europe unifiée sous la domination de l'Allemagne. 

Ses pamphlets antisémites (Bagatelles pour un massacre (1937), L'école des cadavres (1938) - dans lequel il propose déjà des "solutions au problème juif !" quatre ans avant la conférence de Wansee, quand même ! - et Les Beaux Draps (1941) "gênent" un peu Vichy, mais pas trop quand même : ils seront complaisamment et facilement réédités pendant l'Occupation, alors que les stocks de papier sont strictement contrôlés par les Allemands. Et, non content d'être publié, il est, depuis 1937 et pendant toute la guerre, un actif propagandiste de l'Allemagne nazie. Comme le rappelle le documentaire de Philippe Collin, la thèse soutenue par Régis Tettamanzi en 1993 et consacrée aux pamphlets a montré que certains passages sont des reprises de documents publiés par les nazis à destination des presses du monde entier. Plus collaborationniste que ça, c'est difficile... 

En 1944, à la libération de Paris, il n'attend pas pour fuir la France en compagnie de tout le gouvernement de Vichy... afin de faciliter son exil intéressé au Danemark - car il y avait planqué son argent. 

Alors que les tribunaux de l'épuration le condamnent à l'indignité nationale (ce qui équivaut à lui interdire de publier, à la confiscation de ses biens et à l'interdiction de figurer sur les listes électorales et de porter sa croix de guerre), cette condamnation est, comme par magie, effacée d'un trait de plume (probablement par un faux en écriture), ce qui lui permet de rentrer en France en 1951, et de "ressusciter" littérairement, puisque pendant les dix dernières années de sa vie, il publie encore cinq livres. 

Mais ce n'est pas la vie de ce sale type qui me met le plus en colère. Il est mort, il ne peut (en principe) plus nuire. 

Ce qui me révolte, c'est l'idolâtrie béate et obstinée ("C'est tout de même un grand écrivain") dont il fait l'objet, soixante-cinq ans plus tard, et qui me semble bien caractéristique d'une certaine mentalité élitiste à la française. Le même élitisme hautain qui permet de publier des écrivains pédophiles ou islamophobes, de primer des réalisateurs violeurs et de laisser en liberté des "rockstars" responsables de féminicides. 

Le même élitisme nihiliste qui encense les livres qui présentent le monde comme en constante décadence (Ah, Pauvre France...) et l'espèce humaine comme haïssable (Pauvres types !!!!).  

L'élitisme nihiliste des riches, des puissants, qui peuvent se permettre de mépriser le "petit peuple", sale et ignorant à travers des "oeuvres" célébrant "les passions tristes". (Qu'on m'explique ce que c'est, une passion triste... D'autant que le mot "passion" est le plus problématique qui soit, par ses connotations religieuses et criminelles...) 

Bref, je ne suis pas de ceux qui disent qu'il faut "brûler les oeuvres de Céline" (ou de n'importe qui, d'ailleurs). Je pense au contraire qu'il faut qu'elles soient accessibles à qui veut les lire ; je pense la même chose de Mein Kampf. Ne se comporte comme un nazi que celui qui le veut bien, et brûler des livres n'y changera rien. 

Mais je trouve profondément indécent qu'on continue à le qualifier de "plus grand écrivain français du 20e siècle avec Proust" et qu'on en fasse une sorte de parangon/phare/modèle de la création littéraire. 

C'est insultant pour les personnes qu'il a aidé à envoyer à la mort (il facilita l'embauche d'un "spécialiste de la race juive" qui contribua à énoncer les critères de "sélection" des victimes raflées par Vichy) ; c'est insultant pour les personnes qui résistèrent à l'Allemagne nazie, en France et ailleurs ; c'est insultant enfin pour tout·e·s les écrivant·e·s qui ne prônent ni la haine ni le mépris. 

Ne me croyez pas sur parole. Ecoutez le documentaire de Philippe Collin. (Si vous manquez de temps, allez déjà lire la page Wikipédia consacrée au plus sale type des lettres françaises, elle est aussi très bien faite.) Et faites-vous votre opinion par vous-même. Ou non. A vous de voir. 

Martin Winckler/Marc Zaffran
(qui n'aurait pu ni exercer, ni publier, ni éviter la chambre à gaz s'il avait vécu à la même époque que le pire écrivain français du vingtième siècle...) 

dimanche 25 mai 2025

Comment je suis en train d'écrire un de mes romans - 8e épisode : Se concentrer sur l'essentiel


Il s'est passé cinq mois depuis le 7e épisode de ce "feuilleton" et plusieurs lectrices et lecteurs m'ont écrit pour s'étonner que je reste silencieux, quand viendrait l'épisode suivant, et si j'avais fini par dépasser le sentiment d'abattement et de "qu'est-ce-que-je-fous-là" exprimé dans le 6e épisode

(Je les remercie chaleureusement. Chacun·e à sa manière m'a encouragé et réconforté.)

La question sous-jacente, que ces lectrices et lecteurs ont évité, avec délicatesse, de me poser était, en toute bonne logique : "Avez vous continué à écrire ?"

Dans une certaine mesure, quand on écrit au long cours (ou plutôt : quand on travaille au long cours sur un texte, quel qu'il soit), le silence fait partie du processus. Même quand ce silence semble l'expression d'une stagnation. Car même quand on n'écrit pas, on écrit encore dans sa tête. 

Pendant cinq mois, j'ai continué à lire et à prendre des notes, mais aussi à travailler à la rédaction de quelques chapitres (le prologue, en particulier) et surtout à construire l'intrigue. Working on the plot, comme on dit en anglais. 

J'aime ce mot, plot, parce que, comme beaucoup de mots en anglais, il veut dire plusieurs choses assez différentes - "terrain" (à cultiver, par exemple), "complot", "scénario/argument"... 

Quand j'écris un roman, il y a plusieurs choses qui me tiennent à coeur et que je ne sais pas toujours bien résoudre d'emblée : qui sont les personnages, bien sûr, mais aussi (et surtout) : "Qu'est-ce qui les fait aller d'un point A à un point B ?". 

Dans mon plotting -- qui peut donc vouloir dire indifféremment "construire une intrigue", "cultiver" ou "comploter" (il y a de la machination dans l'écriture, et il n'y a pas d'écriture sans (i)machination) -- il y a toujours la recherche de plusieurs éléments qui ne sont pas donnés à priori. 


Par exemple : les noms des personnages. A l'adolescence, j'ai appris que les personnages des romans de SF que je lisais étaient souvent choisis par leurs auteur·e·s dans un but précis. Quand Alfred Bester nomme le protagoniste de Terminus les étoiles (The Stars, My Destination) "Gulliver (Gully) Foyle", il fait bien entendu référence au voyageur Gulliver de Jonathan Swift. Mais "Foyle" est aussi l'orthographe archaïque de "foil", qui veut dire "prévenir, empêcher", mais aussi "feuille", "enveloppe" et "fleuret" (arme blanche). 

Quand on sait que le roman est une ré-invention du Comte de Monte-Cristo, mais dans un monde futur où les individus voyagent par la pensée, ces jeux de mots liés au nom ne sont pas du tout fortuits, ni insignifiants. 

Les jeux de mots sur les noms sont plus faciles (et plus allusifs, je trouve) en anglais qu'en français, mais je me suis toujours efforcé de donner à mes personnages des noms "signifiants", soit individuellement (Franz Karma), soit collectivement (la majorité des personnages de La Maladie de Sachs portent des noms d'écrivains, car iels sont tou·t·es les narrateurs/trices du roman). Dans Les Trois médecins, mes "mousquetaires" ont dans mon esprit le visage de trois de mes amis proches (qui ne furent pas tous médecins) et leurs noms de famille évoquent des personnages de romans (Bloom, Solal, Gray). Dans la trilogie Abraham et fils, bon nombre de figures portent les patronymes d'acteurs français des années quarante à soixante (Blier, Noiret, Rochefort, Fresnay, Philipe, Rosay...). Dans Une autre fois, je vais associer deux des procédés ci-dessus. 

Tout ça me permet d'évoluer dans un environnement imaginaire dont j'ai dressé les repères. Ces repères ne seront peut-être pas visibles pour les lectrices, mais il n'est pas nécessaire qu'ils le soient : ils me permettent d'avancer. Si, une fois le livre terminé, ils évoquent quelque chose aux yeux de celles et ceux qui arpentent le labyrinthe, tant mieux. Mais c'est un "plus", pas une volonté délibérée de ma part, et certainement pas une exigence pour apprécier le livre. 

De la même manière, on peut lire Les Trois médecins et Le Choeur des femmes sans savoir qu'ils ont été inspirés (de très près pour le premier, de beaucoup plus loin pour le second) par Les Trois mousquetaires d'Alexandre Dumas et Barberousse, de Akira Kurosawa. Les trames m'ont servi de "tuteurs" dans le même esprit que lorsque Bernstein, Sondheim et Robbins se sont inspirés de Roméo et Juliette pour monter West Side Story à Broadway. 

Et je vous rappelle, car vous le saviez certainement, que Shakespeare avait repris le poème d'un certain Arthur Brooke, lequel avait repris l'idée d'un auteur italien, Luigi da Porto, tout comme Molière avait emprunté Dom Juan à Tirso de Molina, auteur espagnol... Toutes les personnes qui inventent une histoire sont, comme le disait Newton des savants qui l'avaient précédé, "perchées sur des épaules de géant·e·s". 

Mais que j'emprunte ou non la trame d'un livre, lorsque je construis le "labyrinthe narratif dont je me propose de sortir", je veux que les détours et circonvolutions aient une certaine logique, laquelle ne peut pas être la même pour Jean Atwood dans Le Choeur des femmes que pour Noboru Yasumoto, le jeune interne arrogant de Barberousse. 

Les incidents, accidents, événements de la narration, je ne les élabore pas pour perdre la lectrice ou pour la blouser. Je m'efforce de les rendre plausibles à mes propres yeux. Je fais en sorte que ça "sonne juste" à mes yeux et à mes oreilles. 

Et je ne cherche pas à être plus intelligent que les personnes qui me lisent (je ne le suis pas : au mieux, j'ai juste une longueur d'avance sur elles parce que j'ai emprunté avant elles le labyrinthe que j'ai conçu ; au pire, elles voient venir mes tours et détours de loin car elles en ont déjà beaucoup vu/lu) ; ce que je "machinationne", je le fais pour qu'elles aient envie de me lire jusqu'au bout

Et bien sûr, je ne suis jamais certain d'y parvenir.

Mais j'ai quelques certitudes, tout de même : 

* Je n'écris pas de la "littérature" (je ne cherche pas à faire de l'art avec des mots), je raconte des histoires. Une bonne histoire est une bonne histoire. J'essaie d'écrire de bonnes histoires.  

* Je n'ai pas pour seul objectif de décrire le monde tel qu'il est, mais aussi tel que j'aimerais qu'il soit, tel que je pense qu'il devrait être. 

* Je sais que je mets mes valeurs dans mes personnages et mes textes. Les coucher par écrit, c'est une des manières par lesquelles je les défends. Je sais que ces valeurs ne sont pas celles de tout le monde, et je n'écris pour convaincre personne ; je m'adresse à celles et ceux qui ont besoin d'être soutenu·e·s. 

* Je suis convaincu que si je fais mon travail correctement, mes livres trouveront leurs lecteurs et lectrices pour de bonnes raisons : non parce que je les flatte ou les séduis, mais parce qu'elles et ils se (re)trouvent dans ce que j'écris. 

* Je ne cherche pas à décrire la psychologie de mes personnages, je cherche à les identifier à travers leurs paroles (exprimées ou suggérées) et leurs actes. 

* Je ne cherche pas à exprimer des états d'âme, je m'efforce de retracer des itinéraires. Des itinéraires qui, en eux-même, je l'espère, ont un sens. 

* Enfin, je n'ai pas vraiment le désir de dessiner des portraits (de personnages) mais de décrire des relations. C'est surtout ça qui m'intéresse, aussi bien dans la vie (l'aspect physique des personnes m'importe assez peu) que dans la fiction. 

Je crois que ce qui m'a fait perdre mon élan, pendant plusieurs semaines, c'est le sentiment que l'itinéraire de mes personnages -- et, avant cela, le mien, en essayant de le retracer -- n'avait pas de sens face à la cruauté du monde -- des mondes : celui-ci et le monde dans lequel je les fais évoluer (l'année 1942 en France). 

Ce sentiment était probablement accru par tout ce que je lisais sur l'année 1942, et qui était, en soi, extrêmement difficile à lire. Ce fut une des périodes les plus cruelles qu'ait vécu la population française. Et il est difficile de lire des livres sur la période de l'Occupation sans se sentir très mal. 

Je sais pertinemment que ladite période n'a pas été cruelle, mais délectable pour un certain nombre de Nazis et de collaborateurs. Et il y aura sûrement des figures détestables dans le roman, mais elles resteront à l'arrière-plan. D'abord parce que j'ai envie de parler des personnes à qui je m'identifie et parce que je ne suis pas capable, comme l'excellent romancier (et dessinateur, peintre, photographe...) Romain Slocombe, de prendre un salopard pour en faire un des principaux protagonistes.


J'ai croisé Romain S. à Tours à l'automne dernier quand j'y étais en résidence, et nous avons passé une soirée ensemble, en public puis au restaurant, à parler de romans historiques. Il a beaucoup plus d'expérience que moi dans ce domaine, et ça m'a beaucoup éclairé. J'ai récement écouté un entretien avec lui à France Culture, au sujet du deuxième roman de son cycle consacré à Léon Sadorski, le flic pétainiste dont il trace la chronique depuis 2016. Il y décrit très bien sa relation au personnage et à l'époque et les histoires familiales qui l'ont conduit à s'y intéresser. 

L'écouter parler de son travail m'a renforcé dans mon "identité" de narrateur : j'aime raconter des histoires dans lesquelles les personnages donnent un sens positif à ce qui leur arrive - ou du moins, tentent de le faire. 

C'est la seule "raison", au fond, dont j'ai besoin pour écrire des romans. Je raconte pour donner du sens à ce qui me semble incompréhensible. C'est peut-être dérisoire -- et voué à l'échec -- mais c'est déjà une forme de protestation, de résistance, de non-compliance devant l'état des choses. Une façon de lutter contre le désespoir. 

Je ne dis pas que c'est la seule manière de le faire, mais c'est la mienne. 

Et ça me ramène vers le projet initial. Car, au fond, c'est ça l'essentiel. 

Je cherche à achever un roman qui sera à la fois un roman historique et un roman fantastique. L'histoire d'une jeune femme qui cherche à élucider une énigme personnelle, et qui va se retrouver plongée dans une réalité collective à laquelle elle n'appartient pas (enfin, pas consciemment).  

C'est un roman historique, mais l'Histoire n'en est pas le sujet, elle en est l'ambiance, le bouillon de culture ; elle est le terrain sur lequel j'édifie mon labyrinthe. 

C'est un roman de mystère (et de révélations), un roman qui parle de la manière dont les femmes survivent dans un pays en guerre, un roman sur l'amitié et la solidarité, un roman familial et un roman d'amour. Ce n'est pas un documentaire sur la seconde guerre mondiale à Tours. 

C'est sur ces éléments simples que je dois me concentrer. C'est cela qui doit guider la construction et l'écriture. 

C'est une tâche modeste : je ne cherche pas à écrire un chef-d'oeuvre de la littérature du 21e siècle (ni à figurer sur une liste de prix...) 

Mais c'est aussi une tâche ambitieuse : ce roman, je vais faire de mon mieux pour qu'il parle en filigranes des valeurs que je défends et qu'il soit fidèle à la période dans laquelle il se déroule ; je vais le bricoler pour qu'on y apprenne des choses intéressantes et qu'à chaque fin de chapitre, on ait envie de connaître la suite.  

En somme, je l'écris en espérant qu'à la fin de votre lecture vous le reposerez en pensant :  C'est un bon livre et il m'a fait du bien. 

Merci de m'avoir lu, et merci pour vos encouragements. 

Mar(c)tin 



Premier épisode : La résidence

Deuxième épisode : Genèses

Troisième épisode : Une université, un cinéma, une librairie

Quatrième épisode : L'histoire (de l'Occupation) en images

Cinquième épisode : L'année 1942  

Sixième épisode : Qu'est-ce que je fous là ? 

Septième épisode : Write or Wrong ? 

lundi 3 février 2025

Il n'y a pas de petit geste de résistance - par Martin Winckler



Comme beaucoup de personnes sur cette planète, j'ai été très choqué par le retour d'un dictateur au pouvoir aux Etats-Unis. En tant qu'habitant du Québec depuis 2009 et que citoyen canadien depuis 2019, je suis aux premières loges pour appréhender la gravité de ce qui se passe en ce moment de l'autre côté de la frontière.  

Mais je ne suis pas dupe : cette prise de pouvoir n'est pas le fait d'un seul homme. D'autres hommes et des corporations extrêmement riches et puissantes l'ont financé ou se sont jointes à lui avant ou depuis son élection. 

Je ne suis qu'un citoyen isolé, sans autre moyen d'influencer les décisions politiques de son pays que son droit de vote, mais je suis aussi - que je le veuille ou non - un consommateur. 

Les récentes décisions économiques agressives ("tariffs") qui taxent l'importation aux Etats-Unis de produits venus du Canada et du Mexique ont entraîné de la part de ces pays, des réactions inévitables : taxes à l'importation des produits venant des Etats-Unis et appel des citoyen·ne·s à consommer des produits locaux ou nationaux.

Dans cette société de consommation, ce qu'on consomme et la manière dont on le consomme peut sembler peu de chose et avoir peu de poids, mais ce n'est pas vrai. Les commerçants dépendent du nombre de personnes qui achètent leurs produits. Acheter local ce n'est pas un geste politique superflu. C'est même l'un des plus déterminants, non seulement pour celles et ceux qui produisent, mais aussi pour celles et ceux qui consomment. Quand on a les moyens de le faire (et ce n'est pas le cas de tout le monde), c'est un geste de grande portée. 

Et ce qui est vrai quand on choisit de voter pour ou contre un·e candidat·e ; de moins, ou de ne plus, manger de viande ; ou encore de réduire son empreinte carbone et de viser le zéro-déchet n'est pas moins vrai pour les produits culturels que l'on achète ou que l'on finance plus ou moins directement. 

Lecteur de journaux, j'étais abonné au Washington Post et au New York Times. J'ai résilié mes abonnements. Je reste abonné au Guardian, quotidien britannique qui m'informe aussi bien sur la situation aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne que sur celle de la France et du reste du monde. 

Je suis un consommateurs de produits divers, mais je n'achète plus rien via Amazon, et je me suis désabonné de Prime. 

Je suis aussi un "consommateur" de réseaux sociaux. Depuis leur apparition, je me suis joint à des réseaux sociaux, et je m'y suis exprimé autant que je le pouvais. J'y ai lié des contacts et des amitiés et, pour ne prendre que Twitter, j'y étais suivi par plusieurs dizaines de milliers de personnes. 

J'ai quitté Twitter le 6 novembre 2024. Pour les mêmes raisons, le 22 février prochain (j'aurai 70 ans) je quitterai Facebook et ses dépendances (Instagram et Threads) pour me joindre à Mastodon Social (@martinwinckler) et Bluesky (@martinwinckler.bsky.social). 

Je n'ignore pas l'importance que représente, pour un·e· écrivant·e, d'être suivi·e sur des réseaux sociaux : les personnes qui lisent ses messages sont pour beaucoup les premières à lire aussi ses livres et à relayer l'annonce de ses publications. En quittant ces réseaux, je me prive d'un auditoire nombreux et d'une chambre à échos très vaste. 

Mais l'ampleur de l'auditoire ne justifie pas, à elle seule, que je continue à participer à des réseaux appartenant aux complices objectifs d'un dictateur qui menace la planète entière. 

Je suis en train de travailler à un roman qui se passe pendant la seconde guerre mondiale, pendant l'Occupation de la France par l'armée d'un dictateur. Pour cela, je lis beaucoup de livres, d'articles et de témoignages. (J'écoute et regarde aussi beaucoup de documents audiovisuels.) 

S'il est des choses qui m'apparaissent de plus en plus évidentes, en m'immergeant dans tous ces documents, c'est celles-ci : 

Face à la tyrannie, il n'y a que trois attitudes possibles. S'y allier, la subir ou lui résister. 

On n'a pas l'obligation de résister, et on a le droit de simplement chercher à (sur)vivre. 

Mais n'y a pas de "petit geste" de résistance. L'accumulation des gestes individuels nourrit les mouvements de résistance et finit par constituer des contre-pouvoirs. 

Merci à toutes celles et tous ceux qui m'ont suivi sur ces réseaux jusqu'ici. Je serai heureux de vous retrouver sous d'autres cieux, et je continuerai à m'exprimer sur ce blog, sa jumelle (L'école des soignant·e·s) et sur Winckler's Webzine, le plus ancien site d'information sur la santé des femmes, créé en 2003, (martinwinckler.com). Et puis, tant que je pourrai écrire, et tant qu'il y aura des lectrices et des lecteurs qui s'y intéressent, je continuerai à publier des livres en papier -- et je remercie les libraires et les bibliothécaires, qui aident tous les jours mes livres à trouver un nouveau public. 

Bonne chance à vous tou·te·s, à bientôt (ou à tout de suite !). 

Mar(c)tin 

lundi 20 janvier 2025

Comment je suis en train d'écrire un de mes romans - 7e épisode : "Write or wrong* ?"

* Pour les non anglicistes : "Write or wrong" est un jeu de mot sur "write" (écrire) et "right" (juste, vrai) et "wrong" (injuste, faux). 

*** 


Quand on accumule, comme je l'ai fait et le fais encore, de la documentation sur une époque particulière, il arrive un moment où on se sent submergé. Emotionnellement (j'en ai parlé dans l'épisode précédent) mais aussi matériellement. Même en passant des mois à lire sur le sujet, on n'arrivera jamais à en faire le tour et à le synthétiser en un seul livre. Les historien·ne·s n'y parviennent pas (iels passent parfois toute une vie et consacrent de nombreux livres à  une seule époque), alors un romancier, pensez ! 

Dans beaucoup de romans "historiques", la vérité factuelle s'efface devant la narration. Et comment s'en offusquer : il s'agit de fictions, pas de reconstitutions fidèles. 

Dans le cas qui m'occupe, les deux aspects m'importent également - la fiction comme la réalité historique. Ce n'est pas nouveau : dans mes romans "médicaux", je me suis toujours efforcé de décrire exactement la réalité scientifique. Les rares fois où j'ai inventé une procédure médicale, c'était simplement un mcguffin, un prétexte pour faire avancer l'intrigue, mais dont la nature n'avait pas une grande importance dans l'histoire. 

Mais ici, je suis en terrain presque totalement inconnu. Il ne suffit pas de colliger, il faut aussi choisir, trier, discriminer entre ce qui sera utile à l'intrigue et ce qui ne le sera pas. 

La difficulté, au fond, c'est que je cherche à aborder dans le même livre un grand nombre de sujets/de thèmes/de formes/de lignes narratives de premier ou de second plan : 


- l'enquête menée par une étudiante à Tours en mai 1968 ; 

- la ville de Tours, son quartier sinistré et son école de médecine en 1942 ; 

- l'Occupation, la collaboration, la Résistance ;  

- la ligne de démarcation et son franchissement ; 

- la vie quotidienne des femmes pendant l'Occupation (c'est un sujet majeur dans les livres qui traitent de l'époque) ; 

- l'action du SOE britanniques et des citoyen·ne·s américain·e·s présent·e·s sur le territoire français pendant la 2e guerre mondiale ; 

- les rafles, les exécutions d'otages et la déportation d'enfants, de femmes et d'hommes juif·ve·s et tsiganes, de personnes homosexuelles et de militant·e·s communistes et anarchistes ; 

et... deux ratons-laveurs - c'est à dire, plus précisément, une histoire d'amour et un voyage dans le temps.  


Notes de visionnage et de lecture



Un Taxi pour Tobrouk
 
(D. de la Patellière, 1961). 

Je l'avais vu pendant les années 60, et il m'avait beaucoup ému sans que je puisse dire pourquoi (j'étais bien jeune). Aujourd'hui, je peux. C'est un "road movie" un peu particulier : une poignée de soldats des FFL (Forces Françaises Libres) repartent d'un raid sur Tobrouk, à travers le désert de Lybie, pour rejoindre leur base. En chemin, ils capturent un officier allemand... 

Et puis, c'est un film... européen (c'était une coproduction franco-italo-anglo-allemande...) avec de très bons acteurs de l'époque (Lino Ventura, Charles Aznavour, Maurice Biraud, Hardy Kruger) et des dialogues de Michel Audiard, qui lui donnent une "couleur" particulière.. 

Enfin, c'est un bon film, émouvant, grave, profondément pacifiste et antimilitariste, et pas manichéen. 

C'était intéressant de le revoir, parce que j'ai grandi à une époque où, encore une fois, les films de guerre étaient légion (c'est le cas de le dire). Un Taxi a eu beaucoup de succès à sa sortie, ce qui dit quelque chose sur la mentalité du public de l'époque. Le thème central du film est la solidarité, et ce n'est pas anodin, car c'est un thème récurrent dans la littérature concernant la seconde guerre mondiale (et la guerre en général). 

L'Armée des ombres (JP Melville, 1969 ; d'après le roman de Joseph Kessel) 

Je l'avais vu aussi, probablement à sa sortie (je voyais beaucoup de films pour adultes, quand j'avais 14-15 ans) et je n'en avais qu'un vague souvenir. Après l'avoir revu et l'avoir trouvé plutôt froid, plutôt impersonnel - ce qu'on peut dire de beaucoup de films de Melville - je me suis procuré le livre de Joseph Kessel, écrit et publié en 1943 à Alger, dont il s'inspire. Et je trouve le livre (nourri d'expériences authentiques recueillies par l'auteur) bien meilleur, bien plus chaleureux que le film. Il y a dans le film de Melville un "esthétisme" qui, à mon sens, étouffe l'émotion propre aux récits de cette période qui devrait naître chez les spectateurs. (J'ai été beaucoup plus ému, cette fois-ci comme il y a cinquante ans, par Un Taxi...)

Le livre de Kessel est écrit sans fioritures, de manière immédiatement lisible et compréhensible, et nous apprend beaucoup sur la réalité de la vie dans la Résistance. Melville tend plutôt à transformer ses membres en personnages mythiques. C'est son droit le plus strict (il fut résistant très jeune), mais ça me gêne un peu aux entournures. Surtout quand il fait décorer Luc Jardie, le "Jean Moulin" du film (Paul Meurisse) par De Gaulle lors d'un voyage à Londres (l'épisode ne figure pas du tout dans le livre). 


They Fought Alone
par Maurice Buckmaster. 

C'est le récit, par l'homme qui la dirigea, de la constitution et des missions de la section F (France) du SOE (Special Operations Executive), le service britannique qui envoya des agents dans les pays occupés, pour y aider les mouvements de résistance locale. Rédigé après guerre, il est très descriptif, tout comme le livre de Kessel, et n'idéalise ni n'enjolive ce qu'il raconte. Il est en particulier très clair sur les difficultés techniques que rencontrait, entre 1940 et 1944, la communication des Alliés avec les Résistants. 

On peut voir, sur Netflix, une co-production de la BBC intitulée Les Nouveaux Agents secrets de Churchill. Il s'agit d'une une reality-series très particulière : elle met des individus d'aujourd'hui dans les conditions d'entraînement des agent·e·s du SOE en 1940. C'est très éclairant (et parfaitement correct du point de vue historique) et ça illustre parfaitement le livre de Buckmaster. 

Il existe d'ailleurs un film consacré au SOE, tourné pendant et projeté juste après la guerre avec, dans le rôle de deux agent·e·s parachuté·e·s, deux membres authentiques du service en question, Jacqueline Neame et Harry Ree. (On voit des extraits du film dans la reality-series de Netflix). Il s'intitule School for Danger, et il mérite le détour (il ne dure que 70 minutes). 

L'un des éléments saillants de ce livre et de ces deux films est la participation active de bon nombre de femmes dans les actions menées sur le terrain. 


Le livre que je suis en train de dévorer en ce moment, A woman of no importance (La femme de l'ombre) de Sonia Purnell, retrace l'itinéraire d'une de ces femmes, une Américaine nommée Virginia Hall, qui se joignit au SOE et organisa des réseaux de résistance en France pendant toute la guerre alors qu'elle avait perdu un pied accidentellement et marchait avec une prothèse depuis le milieu des années 30. J'avais entendu parler d'elle lors de précédentes lectures (c'est elle qui m'a inspiré un des personnages du roman), mais son histoire est plus époustouflante encore que ce qu'on peut imaginer. 


  

Une question de méthode

La question que je me pose en ce moment est celle-ci : est-ce que je répertorie (et recherche) tout ce que je veux savoir avant de me mettre à rédiger (à raconter mon histoire), ou bien est-ce que, muni de ce que je sais déjà (pas assez, mais beaucoup...) je m'attelle à mon récit, en faisant des pauses périodiquement pour m'assurer de ce que j'écris quand je veux être sûr que je ne raconte pas de bêtises ? 

Je n'ai pas eu ces soucis pour écrire mes romans "médicaux" parce que je disposais déjà d'un cadre topographique ou d'une séquence temporelle qui me servaient de trame... et que je connaissais bien le sujet. Je me suis mis à écrire, en vérifiant à mesure que j'avançais. (J'ai aussi beaucoup vérifié après que le manuscrit a été terminé. Parfois, on est même conduit à corriger après l'impression, parce qu'on a attribué une citation à un auteur de manière erronée, ou parce qu'on a fait une erreur de datation...) 

Je me suis mis à me documenter en écrivant Abraham et fils et Les Histoires de Franz et surtout pour Franz en Amérique - la Baie de San Francisco en 1971, c'est tout un univers. 

Mais, dans tous les cas qui précèdent, je savais sur quelle trame (temporelle et topographique) m'appuyer.  

Dans le cas présent, je n'ai pas encore ma trame. Ici, j'entends "trame" au sens de "squelette" de mon histoire. (En anglais, le mot approprié est plot, qui signifie aussi "complot" et "terrain"). 

J'ai l'argument, les prémices : une jeune femme est propulsée 25 ans en arrière dans une époque agitée (la guerre), avant sa naissance. Je sais d'où elle part, où je veux qu'elle arrive et ce que je veux qu'il lui arrive, mais je n'ai pas encore complètement dessiné son itinéraire. Et j'ai besoin d'étapes pour avancer. 

D'habitude (je veux dire, dans les romans précédents), je connaissais les étapes. Pour celui-ci, il m'en manque beaucoup. Non pas que je ne sache pas les imaginer, mais parce que je veux qu'elles soient plausibles et crédibles dans un environnement historique et géographique que je ne maîtrise pas parfaitement. Et je me sens paralysé par la crainte d'être inexact. 

C'est une crainte similaire à celle "de ne pas trouver le mot juste" que rencontrent beaucoup d'écrivants. Mais ici, ma crainte (de ne pas raconter des choses plausibles, crédibles) se double d'une autre crainte : celle d'être irrespectueux pour les personnes qui ont vécu pendant l'Occupation. De minimiser leurs épreuves. De les faire apparaître comme "faciles" pour mes personnages, alors qu'elles ne l'ont pas été du tout dans la réalité. 

C'est très intimidant. 

Une petite parenthèse technique




Jusqu'en 2013, j'écrivais mes livres avec MSWord. J'ai travaillé sur PC pendant plus de vingt ans (j'ai eu mon premier ordinateur en 1988) ; à mon arrivée au Québec en 2009, on avait installé un iMac dans le bureau qui m'avait été attribué pour l'année au CREUM, qui me recevait comme chercheur invité. 

Après une journée de tâtonnements, j'ai été converti et j'ai constamment utilisé des Macs par la suite. J'ai continué à employer Word jusqu'au moment où je me suis mis à écrire Abraham et Fils. Je trouvais difficile d'écrire "au kilomètre", d'autant que mes romans sont longs, très découpés, avec des narrations entrecroisées. 

J'ai alors essayé, puis opté pour, un logiciel nommé Scrivener (il existe en anglais et en français, pour windows et pour mac). Il me permet non seulement d'écrire comme je veux (en ayant toujours la construction du livre sous les yeux) mais aussi de garder toute la documentation à portée : on peut insérer des articles, des images, d'autres textes à l'intérieur du "projet" qui contient le roman. Autrement dit, on a tout sous la main. 

(En lisant le paragraphe ci-dessus, Rachel - pas celle du livre, celle de ma vie - me rappelle que c'est elle qui m'a recommandé Scrivener. Je rougis de honte : j'avais oublié. Et je me précipite pour le préciser ici de toute urgence.) 

Il y a dans Scrivener une fonction que j'apprécie particulièrement : on peut afficher des fiches sur l'écran comme s'il s'agissait d'un tableau noir. Et, bien sûr, les déplacer à volonté. Quand on construit un livre long et dense, c'est extrêmement aidant, ça permet d'avoir toujours une vision d'ensemble de ce qu'on fait. 

Les problèmes de construction que je rencontre (et que Scrivener va m'aider à régler) proviennent de ce que j'ai plusieurs personnages à mettre en place dans ce roman. Et, contrairement à mes romans précédents, iels ont tou·te·s un trajet antérieur à celui de ma protagoniste. 

Dans mes romans précédents, le ou la protagoniste croisait diverses figures au cours d'une quête transformative, et l'histoire de chacune était racontée à mesure qu'on les rencontre.

Dans celui-ci, je dois relater ce qui est arrivé à chaque personnage important avant la rencontre avec la protagoniste, parce que c'est leur trajet préalable qui les conduit, chacune et chacun, vers le "carrefour" narratif central au roman. 

Je ne peux donc pas, comme je l'ai fait auparavant, construire un itinéraire principal sur lequel greffer d'autres histoires. Ici, je dois construire une série d'histoires et les lier à un moment précis. Et je dois aussi élaborer la trame générale qui va leur donner du sens, non seulement avant, mais aussi longtemps après leur rencontre. 

Bref, comme vous l'imaginez, je suis pas sorti de l'auberge. 




Une vue de Une autre fois dans sa version de travail sur Scrivener....



(A suivre)

Premier épisode : La résidence

Deuxième épisode : Genèses

Troisième épisode : Une université, un cinéma, une librairie

Quatrième épisode : L'histoire (de l'Occupation) en images

Cinquième épisode : L'année 1942  

Sixième épisode : Qu'est-ce que je fous là ? 

dimanche 29 décembre 2024

Comment je suis en train d'écrire un de mes romans - 6e épisode : "Qu'est-ce que je fous là ?"



Quand on accumule les documents sur une époque (je l'ai déjà fait pour Franz en Amérique, alors je savais à quoi je m'exposais), on traverse inévitablement plusieurs phases d'abattement et de découragement. 

La première phase de découragement découle de la quantité de documents et d'informations qu'on accumule. 

Comment les exploiter ? Comment faire le tri ? Comment choisir ce qu'on va mentionner, intégrer dans son récit et ce qu'on décidera de laisser de côté ? Comment définir ce qui est "pertinent" (relevant, en anglais) dans le propos, et ce qui ne l'est pas ? 

Tchekhov disait en substance que s'il y a un revolver posé sur la table du salon au premier acte, il faut qu'un des personnages s'en serve avant la fin du troisième acte. Il ne peut pas être là "juste pour faire beau". Certes, une scène de théâtre est un environnement limité, et le nombre d'accessoires qu'on y emploie l'est aussi. Dans un roman, on a plus de latitude. Mais quand on essaie de reconstituer toute une époque (l'Occupation) dans une ville donnée, qu'est-ce qui est important, qu'est-ce qui ne l'est pas ? Qu'est-ce qui va pouvoir servir avant la dernière page et qu'est-ce qui sera là "pour faire beau" ? 

D'un autre côté, est-ce que l'évocation du temps et du  lieu, seront à la hauteur de la réalité ? De même qu'on cherche à créer des personnages complexes et à trois dimensions, comment restituer une ville et une époque qui n'aient pas l'air d'un décor en carton-pâte ?  

Et enfin : où s'arrêter dans la collecte et, concrètement, faut-il lire tout ce qu'on a collecté ? 


La deuxième phase de découragement résulte de la nature de ce qu'on lit et de ce qu'on veut en faire. Tout ce qui s'est passé autrefois semble infiniment plus grave et plus sérieux que l'entreprise dans laquelle on s'engage. Car, somme toute, écrire un livre, ce n'est pas une entreprise extraordinaire : ça n'a rien à voir avec le travail que représente de peindre quarante tableaux ou de sculpter quarante pièces pour une exposition ; c'est infiniment plus facile que monter un spectacle de danse ou une pièce de théâtre, ou produire un film. 

Ecrire un roman, même si ça "ne se fait pas tout seul", c'est relativement simple : on le fait seul, on a du temps, on n'est pas tenu·e de rendre sa copie à date fixe comme l'est un·e journaliste, on n'a pas à se préoccuper de matériel ou de financement et, quand on a la chance - comme c'est mon cas - d'avoir un éditeur, on n'a même pas à se soucier de savoir s'il sera publié. 

En l'absence d'obstacles matériels ou logistiques, l'écriture d'un livre apparaît comme un acte tout à fait mineur, tout à fait vain, un peu futile. Il y a tant de livres sur les tables des librairies, qu'est-ce qu'un livre de plus pourra bien apporter, et à qui ? 




En fait, cette question recouvre pour moi plusieurs interrogations entremêlées.  

D'abord : "Qu'est-ce qu'un roman qui se passe pendant la seconde guerre mondiale pourra apporter à quiconque ?"

Je sais, vous allez me dire : "Ce genre d'interrogation n'empêche personne d'écrire. Des romans qui se déroulent pendant les guerres, il s'en publie des brassées chaque année." 


C'est vrai. En soi, l'époque et les circonstances ne sont pas une objection, ni un obstacle. Et à bien des égards, les oeuvres de fiction qui se passent pendant une guerre sont - hélas ! - constamment d'actualité : il y a toujours un conflit quelque part. 

La seconde interrogation qui me vient est : "Est-ce que j'ai le droit de parler de cette époque ?" Ou plus précisément : "Est-ce que je peux en parler de manière respectueuse, sans exploiter les sentiments (conscients ou non) des lectrices, sans trahir les personnes qui l'ont réellement vécue et parfois y ont laissé la vie ?"  

La troisième interrogation est : "Est-ce que ce sera un roman intéressant, un bon roman ?" - étant bien entendu que la définition d'un "bon" roman est très variable d'une autrice et d'une lectrice à une autre. A mes yeux (et ça n'engage que moi), un "bon" roman, c'est un roman qu'on ne peut pas lâcher (à chaque page, on a envie de connaître la suite) ou dont on a hâte de reprendre la lecture,  et dont on sort à la fois éclairé (on a appris des choses), remué (on a éprouvé des sentiments marquants), heureux (on est content de la traversée) et un peu malheureux (on est triste que ce soit fini). 

Et bien sûr, les interrogations qui précèdent masquent la plus profonde : 

"Est-ce que je suis capable d'écrire un bon roman sur ce sujet, ces personnages, cette époque ?" 

Croyez moi, la réponse ne tombe pas sous le sens. Le même doute me ronge à chaque roman, alors même que je ne l'ai jamais quand j'écris des essais ou des livres de partage du savoir. Les essais sont des énonciations d'idées, d'intuitions, d'opinions, d'analyses. Les livres de partage du savoir sont un travail de présentation et d'explicitation de notions scientifiques plus ou moins complexes (la contraception, le cycle menstruel, la douleur, la santé des femmes). Mes idées ne sont pas nées seules, je les ai adoptées, j'y ai adhéré, je les ai modelées au contact ou à la lecture de personnes qui les ont élaborées avant moi. Le savoir est indépendant de ma personne : d'autres que moi écrivent des livres sur la santé des femmes ou la douleur. 

Autrement dit, pour les essais et les livres de partage du savoir, je travaille avec un matériau qui m'est en grande partie extérieur. 

Pour les romans, en revanche, c'est toujours en moi que je puise. Dans mes émotions, mes fantasmes, mes aspirations, mes détestations, mes désirs. Et je me pose constamment la question de savoir si tout ça a de la valeur. Est-ce que c'est "bon" ? Est-ce que ça fait de moi un individu "bon" ? (Est-ce que ça suggère, même de loin, que je suis "bon" ?)  

Je n'aurai jamais la réponse à ces questions. 

Je veux dire que même lorsque je parviens à écrire un roman, je ne sais jamais s'il est "bon", ni qui je suis après l'avoir écrit.

Pas même après qu'il a été publié. Parce que voyez-vous, j'ai publié déjà beaucoup de romans (neuf chez P.O.L, huit chez d'autres éditeurs), mais je ne sais toujours pas s'ils sont "bons". Je les ai tous écrits avec la même énergie, le même désir de raconter, de transmettre et d'émouvoir, mais certains ont eu beaucoup de succès, d'autres très peu, ce qui me confirme que le succès (mesuré par le nombre d'exemplaires vendus) ne dit rien de la "qualité" des livres, ou de l'accomplissement qu'ils représentent pour l'auteur·e. 

Et encore moins des qualités de l'auteur·e concerné·e. 

Et je me trouve donc devant ce paradoxe : écrire sans savoir si ça vaut (si je vaux) quelque chose. 

Et donc, si ça en vaut la chandelle. 

Ma blonde me dit souvent : "Tu sais, tu n'as rien à prouver. Tu as travaillé très fort, tu n'es plus obligé d'écrire pour gagner ta vie et élever tes enfants. Tu pourrais rester devant la télé à regarder des films ou des séries et à manger des bonbons, je ne trouverais pas ça scandaleux."  

Et pourtant, je me trouve toujours de nouvelles idées de romans, d'histoires à raconter ou d'essais à composer. Sans savoir si ces idées valent le prix de l'encre, et surtout du papier sur lesquelles on les imprime. 

En ce moment, je suis dans ce creux, cette hésitation, cet enlisement.   

Je lis des documents, je regarde des films, j'écoute des émissions pour un roman qui se déroulera à Tours en 1942, en sachant à peu près et chaque jour un peu mieux - car le récit se construit dans ma tête, on écrit même quand on n'écrit pas - ce que je veux en faire, mais sans savoir "ce que ça vaut". 

C'est le moment le plus désagréable de l'élaboration d'un roman. Un moment de doute, de "vide symbolique", de profonde incertitude. Ce n'est pas un moment douloureux mais juste un moment où je me demande ce que je fous là, pourquoi je le fais et pour qui ? 

Chaque fois (pour chaque roman), c'est comme si j'accumulais des planches, des outils, de la peinture pour fabriquer un labyrinthe (ou une maison) en les empilant là, en vrac. Et pendant des semaines, je passe mon temps à étudier et à redessiner les plans de ce que je veux construire. Sans jamais enfoncer un clou. 


Et puis, il arrive un moment où je me sens tellement las que je m'endors, sous les planches, les étais et des cloisons. Et quand je me réveille, je découvert que pendant mon sommeil, il y a eu une tempête. Protégé par mon attirail, je n'en ai rien vu mais à présent, tout mon chantier est enfoui sous le sable (ou sous la neige). 

Je n'aime pas ça. Je tolère très bien d'être bloqué dans mon travail par la trop grande abondance de documents à étudier, mais pas d'être enfoui sous la neige ou le sable. Alors je sors, je prends une pelle et je déblaie. 

Et, en déblayant, je me dis que cette cloison-ci devrait aller ici; cette cloison-là, par là. Que l'entrée devrait se trouver de ce côté, la sortie de l'autre... Et, peu à peu, à mesure que j'extrais mes planches de la neige ou du sable, je me me mets à construire le labyrinthe narratif dont je me propose de sortir. 


Alors, en ce moment, j'ai beau être dans le creux, le doute, la mélasse, je sais - parce que je suis déjà passé par là - que je vais en sortir et, cela, d'une seule manière : en pelletant - ou plutôt : en écrivant. 

En commençant par la phrase que j'ai choisie pour le début : ("La bibliothèque était en flammes") et en écrivant une phrase après l'autre, en direction de la fin (une phrase que j'ai déjà dans la tête, mais qui peut encore changer, alors je ne vous la livre pas...). Et en me frayant un chemin non seulement dans le sable/la neige, mais aussi dans les matériaux. En ne gardant que ce qui me semble (ce que je sens) à sa place, et en oubliant le reste. Au jugé. Intuitivement. 

Non parce que mes intuitions sont toujours "bonnes", mais parce qu'elles sont qui je suis. Pour le meilleur et pour le pire. 

Et j'écrirai sans plus me poser de questions. Simplement parce que tout ce que j'ai accumulé, j'ai envie de l'assembler, et d'en faire quelque chose qui tient debout. Je ne saurai jamais ce que ça vaut. Mais je sais que j'aurai fait de mon mieux. Et peut-être que d'autres que moi auront envie de s'y plonger, dans cette histoire-labyrinthe, de s'y perdre et de l'explorer avant d'en ressortir. 

Et peut-être que ça leur fera plaisir. 

Et en pensant à ce double plaisir (celui d'avoir à le construire ; celui qu'auront d'autres, peut-être, à le lire) je me dis que le jeu en vaut la chandelle. 

Allez, au boulot ! 

(A suivre...) 

Les épisodes précédents : 

Premier épisode : La résidence

Deuxième épisode : Genèses

Troisième épisode : Une université, un cinéma, une librairie

Quatrième épisode : L'histoire (de l'Occupation) en images

Cinquième épisode : L'année 1942  

lundi 16 décembre 2024

Comment je suis en train d'écrire un de mes romans - 5e épisode : L'année 1942


Depuis l'épisode précédent, j'ai beaucoup lu, et amassé bien des informations, et je me sens de plus en plus submergé. 

Car, à mesure que mon intrigue se construit (j'en ai déjà les grandes livres, les personnages principaux, le début, le milieu et la fin, et un certain nombre d'autres "balises"), je me rends compte peu à peu de l'ampleur de la tâche. Situer un roman pendant l'Occupation, c'est prendre en compte d'innombrables éléments qui faisaient partie de la vie quotidienne des Françaises et des Français à une époque difficile et très en rupture avec tout ce qui avait précédé et ce qui a suivi. 

Un exemple très simple : si je veux qu'un personnage se déplace, de nuit, dans une ruelle humide et sombre, je dois non seulement penser à l'éclairage (présent ou absent) des rues, à ce qui recouvre le sol, à ce qui se trouve dans la rue, etc. Mais en 1942, je dois aussi penser à ses souliers. Au beau milieu de l'Occupation le cuir était introuvable en raison des restrictions et des réquisitions opérées par l'armée allemande ; quand on faisait ressemeler ses souliers, il fallait leur mettre des semelles en bois. Bruyant, quand on marche dans la rue... Et le bois sur des pavés mouillés, ça glisse... 



Et donc, mon héroïne, si elle arrive en 1942 avec des chaussures de 1968, celles-ci auront l'air... déplacées. Etranges. Surtout si ce sont (par exemple) des tennis en toile avec des semelles en caoutchouc, très banales au cours des années 60, surtout au printemps... mais qui n'existaient pas en 1942... 

Du fait même de l'extrême dureté de la vie pendant la guerre, je me rends compte que faire passer un personnage de 1968, année de richesse (que j'ai connue), à 1942, année de restrictions extrêmes (que je découvre), ça demande beaucoup d'attention et de précision, si je veux que mon récit semble plausible... 

***

En plus des films, je me suis mis à écouter des émissions de radio et des podcasts, en particulier ceux de 2000 ans d'histoire, la série documentaire de France Inter. Ce sont des émissions courtes (30 min le plus souvent) et focalisées sur un sujet précis, à l'occasion d'une publication ou d'une exposition : la ligne de démarcation ; le cinéma français pendant l'occupation ; les tsiganes pendant la guerre ; le marché noir ; les femmes dans la résistance française, etc. 

Ce matin (lundi 16) j'ai commencé à écouter un épisode de 2000 ans d'histoire consacré à la politique antisémite de Vichy. L'invité en était le journaliste et historien Maurice Rajsfus (1928-2020), qui était adolescent pendant l'Occupation, porta alors l'étoile jaune et échappa par miracle avec sa soeur aux rafles, tandis que leurs parents étaient envoyés à la mort. 

Il est question du trajet de Rajsfus dans l'un des livres que je lis en ce moment : The Unfree French de l'historien britannique Richard Vinen, consacré à la France pendant l'Occupation. Ce livre passionnant et brutal n'a pas été traduit, alors qu'il date de 2006, et c'est très dommage. C'est une histoire sociale de la période, racontée par ses acteurs : Vinen a puisé dans les innombrables témoignages rédigés à l'époque ou juste après la guerre.  

Le tableau est infiniment pire que ce qu'on voit dans les fictions. 




En parallèle, je lis un autre livre, français celui-là : Les Français au quotidien 1939-1949 de Eric Alary, Bénédicte Vergez-Chaignon et Gilles Gauvain. Les deux ouvrages se complètent et se répondent, et donnent de l'Occupation et de la vie quotidienne une description impressionnante. 

Deux documentaires viennent à l'appui (visuel) de ces livres : 

Le temps des doryphores, film français datant 1967, mais aussi En France à l'heure allemande, document de Serge de Sampigny plus récent diffusé par Arte, et constitué d'archives cinématographiques privées françaises et allemandes croisées par le montage. 

Je ne vous cache pas que l'immersion dans cette période est très éprouvante. Moins éprouvante que de l'avoir vécue, bien entendu, mais plus que je ne l'imaginais. J'ai grandi à une époque où les films de guerre étaient légion, mais ils parlaient surtout de "hauts faits d'armes" (ou de résistance), pas de la vie au jour le jour de madame et monsieur tout-le-monde, du port de l'étoile jaune, des vieillards, des enfants, des personnes handicapées. Ils montraient la violence et la mort de manière "stylisée", mais pas la faim, le froid, la fatigue extrême d'avoir à faire la queue pendant des heures pour s'entendre dire qu'il n'y a plus rien à vendre ou à marcher des kilomètres pour aller travailler. 

Ces livres, en revanche, le restituent dans les moindres détails. 

(A noter qu'Eric Alary, historien spécialisé dans la période, a beaucoup écrit sur la Touraine et la ligne de démarcation. Ses livres sont un des piliers de ma documentation, ainsi que les conférences ou les émissions de radio innombrables auxquelles il a participé.) 

***

Lire tout ça est difficile (je fais des pauses souvent et je lis les livres en épisodes), mais entendre des extraits d'émissions de propagande dans lesquelles on parle des Juifs ou des Tsiganes comme des "parasites" qui profitent de la richesse française et méritent d'être expulsés du pays est proprement glaçant, d'autant plus qu'en 2024,  les propos fascistes et racistes qu'on peut entendre aux Etats-Unis, en Italie, en France et même au Québec, n'ont rien à leur envier. 

Incidemment, l'écoute de ces émissions d'époque remet en perspective certaines figures "célèbres" (et célébrées) du Panthéon culturel français. L'émission consacrée au cinéma pendant l'Occupation illustre les contorsions auxquelles se sont prêté(e)s, volontiers ou sous la contrainte, certaines vedettes de l'écran. Et au début de l'émission sur Vichy et les Juifs, on entend un certain Chaumet, président en 1940 de l'association des journalistes antijuifs (sic !) déclarer : 

"Cet envahissement de la France [par les Juifs] tient tout entier dans une phrase de Ferdinand Céline : 'Un termite, toute la termitière. Une punaise, tout le bois de lit.' " 

***

Ce qui m'apparaît plus clairement, aussi, à mesure que je lis, regarde et écoute, c'est que 1942 est une année très périlleuse, à tous points de vue, pour situer un roman. Certes, les Etats-Unis sont entrés en guerre après Pearl Harbour, en décembre 1941 et les troupes d'Hitler sont en train d'en découdre avec l'URSS depuis novembre de la même année, mais les jeux ne sont pas encore faits, et de loin. C'est aussi en 1942 que Vichy impose le port de l'étoile jaune, que les rafles de Juifs, d'homosexuels et de Tsiganes prennent toute leur ampleur et que les premiers convois partent de Pithiviers ou Drancy en direction  d'Auschwitz et des autres camps de la mort... 

En 1942, la fin du cauchemar n'est pas pour demain, loin de là. 

Mais c'est pendant cette année-là que j'ai décidé d'envoyer ma protagoniste. 

Et, comme elle, sans doute, je me demande ce que je fous là. 

A suivre... 

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Les épisodes précédents : 

Premier épisode : La résidence

Deuxième épisode : Genèses

Troisième épisode : Une université, un cinéma, une librairie

Quatrième épisode : L'histoire (de l'Occupation) en images


lundi 9 décembre 2024

Comment je suis en train d'écrire un de mes romans - 4e épisode : L'histoire (de l'Occupation) en images

(c) J.C. "Grec" Decoudun 

Plusieurs lectrices et lecteurs de ce blog (et de ce feuilleton) ont exprimé leur (bonne) surprise en se voyant invité·e·s dans ma "cuisine" (ou mon garage ; je parle souvent de "soulever le capot pour regarder comment ça tourne") et m'en ont remercié. 

C'est très gratifiant, et je l'apprécie beaucoup, mais ça me surprend toujours un peu : je ne trouve pas particulièrement extraordinaire de partager ma démarche. Quand j'étais adolescent, je passais mes samedis après-midi chez un ami artiste, Jean-Claude "Grec" Decoudun, et je le regardais peindre pendant qu'on parlait de science-fiction, de jazz et de BD (c'était un grand fan de Gotlib, entre autres). C'est un de ses tableaux que je vous montre ci-dessus. (A la fin de sa vie, il les a photographiés et m'a envoyé un CD des tableaux qu'il préférait...) 

Quand je lui demandais pourquoi il utilisait tel pinceau ou telle couleur, il me répondait volontiers et me montrait comment il rectifiait des cartes de marine (c'était aussi un excellent navigateur). 

Ca me laissait sans voix : j'étais infoutucapable de dessiner un pot de fleurs, alors le voir peindre me fascinait, même quand il répondait à toutes mes questions. Mais peu à peu, j'ai compris que peindre (ou écrire, ou faire de la musique, car il jouait aussi du trombone ) est un travail. 

Et quand on travaille longtemps, patiemment, on acquiert "du métier", comme mon ami Grec, et ça donne aux personnes qui n'ont pas fait le même travail le sentiment que les gestes sont "magiques". Ce qui rend toutes les explications un peu surprenantes... parce que justement, elles n'enlèvent rien à la magie... 

Mais cette magie, comme on dit en anglais, elle est in the eyes of the beholder, dans les yeux de la personne qui regarde. Comme quand on voit évoluer un couple de danseurs professionnels, ou une gymnaste qui jongle et fait des acrobaties avec un cerceau... ou un prestidigitateur qui fait disparaître un éléphant. 

L'écriture, c'est un peu la même chose. Le roman qui vous transporte, c'est l'équivalent de la séquence de Dansons sous la pluie que Gene Kelly et Stanley Donen et toute l'équipe du plateau ont mise en place, répétée et filmée pendant... trois semaines avant d'avoir obtenu un résultat satisfaisant, c'est à dire une suite de plans et de plans-séquences qu'il a ensuite fallu monter et intégrer au reste du film... Pour cinq minutes de produit "fini", quel boulot !!! 




En vous faisant entrer dans ma "cuisine", comme je le fais ici, je ne vous montre pas mon travail -- pour ça, il faudrait que je place une caméra au-dessus de mon épaule et que je filme à la fois mon clavier et mon écran, et que vous regardiez ça pendant... plusieurs heures, plusieurs jours de suite, ce qui serait un tantinet fastidieux. 

C e que je vous montre, ce sont les ingrédients. C'est la checklist, les pièces détachées. Et, croyez moi, j'en ai beaucoup plus qu'il ne m'en faut. Une fois que j'aurai fait le tri, faudra monter tout ça. 

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Ecrire un roman historique et fantastique (puisque c'est de ça qu'il s'agit) s'accompagne d'un certain nombre de difficultés, surtout quand on veut être "crédible". Je me souviens avoir eu un jour une conversation avec Hervé Gagnon, écrivain et historien québécois, auteur d'excellents romans policiers historiques, au cours de laquelle je lui demandais comment il procédait, et s'il vérifiait tout. Il me répondit que l'essentiel, c'était d'être plausible et de faire confiance aux lecteurs. Quand un personnage ouvre une porte, que ce soit au 20e ou au 19e siècle, il n'est pas nécessaire de la décrire dans les moindres détais. Tout le monde sait ce qu'est une poignée de porte, parce que les portes n'ont pas changé beaucoup en un siècle (ni même en quatre). Ca ne devient nécessaire que si ladite porte (ou sa poignée) ont des caractéristiques qui entrent en jeu dans la narration : un lourd verrou, un judas, que sais-je ? Mais bien sûr, quand il s'agit d'un objet important (usuel ou non), la moindre des choses consiste à vérifier qu'il existait au moment où se déroule l'action. Et aujourd'hui, grâce à n'importe quel moteur de recherche, c'est possible de le faire pour à peu près tout, à l'année près... 

Dans le cas qui m'occupe, ce ne sont pas les portes qui me soucient, mais des éléments presque aussi triviaux : les vêtements que portent les personnages, ce qu'ils mangent, comment ils s'expriment, la circulation dans les rues (ce qui y circule)... 

Le moyen le plus simple de savoir tout ça, c'est de regarder des films. Le vingtième siècle est celui du cinéma, et l'apport documentaire d'un film sur l'époque à laquelle il a été tourné  est inestimable. Et, quand il s'agit d'un film historique tourné bien après l'époque représentée, il en dit beaucoup sur la manière dont on voyait et représentait cette époque lointaine au moment du tournage. 

Mais même si on s'en tient à des films qui se passent "dans leur temps", quand on voit Bogart téléphoner dans Le faucon maltais ou Le grand sommeil, on constate que les téléphones des années 40 n'avaient pas la même tête que ceux des années soixante. Outre qu'on évite un anachronisme (il n'y avait pas de téléphone sans fil, à l'époque), ça rappelle aussi que tout le monde n'avait pas le téléphone, qu'il y avait des cabines téléphonique à l'intérieur des cafés, par exemple, et qu'à une certaine époque, pour demander un numéro longue distance, il fallait passer par l'opératrice (qui pouvait par conséquent identifier l'origine de l'appel).  

Mais même l'âge d'un téléphone, c'est trompeur. Je revois Frasier (ça se prononce "frayjeur", pas "frazié"), la comédie télévisée, en ce moment. Elle date du milieu des années 90 et je ne me rappelais pas qu'il y avait déjà des téléphones cellulaires à l'époque (avant les smartphones). 


(Niles, le plus beau personnage de la série, interprété par l'extraordinaire David Hyde Pierce.)

Or, tous les "détails" et/ou objets usuels peuvent servir d'éléments de narration, même le téléphone. Je m'en suis servi par exemple dans Abraham et fils pour définir les modalités, en 1942, d'une dénonciation anonyme qui n'avait pas laissé de traces. 

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Pour (d)écrire de manière plausible la ville de Tours en 1968 et en 1942, j'ai donc entrepris de regarder des films des années 60 et 40 (je vous en ai cité un certain nombre dans l'épisode précédent). 

Je n'ai pas encore tout regardé, la liste comporte une quinzaine de films en tout, mais voici ce que j'en ai tiré jusqu'ici (dans l'ordre de visionnage). 

La Ligne de démarcation (Cl. Chabrol, 1966) est tournée de manière semi-documentaire et plutôt réaliste, ça se passe en province, dans une ville située au bord d'un cours d'eau qui sert, de fait, de frontière entre la zone occupée et la "zone nono" (non-occupée). La châtelaine (Jean Seberg), d'origine britannique, apporte son concours à un réseau de "passeurs" qui aident des fugitifs à franchir la ligne. Le film s'efforce de représenter une sorte de "micro-société" de l'Occupation : les Allemands, les Français riches (le châtelain, officier de retour de captivité) mais qui ne veulent pas se mouiller, le traître (qui escroque et livre une famille juive à l'Occupant), les résistants, les villageois qui font de leur mieux pour survivre, les hommes  réfugiés à Londres qui se font parachuter en zone occupée pour apporter une radio et des informations aux maquisards, etc. Le film n'est pas dénué de "messages" plus ou moins subliminaux sur la résistance ordinaire (des femmes, en particulier), la trahison, le courage, la fidélité, la solidarité face au drame et à l'oppression. Le récit est simple, linéaire, et dans une certaine mesure chaque personnage joue le rôle qu'on attend de lui. Mais ce qui semble aujourd'hui convenu ne l'était peut-être pas en 1966. En tout cas, c'était une entrée en matière intéressante. 

La Traversée de Paris (Cl. Autant-Lara, 1956) est plus ancien de dix ans, et plus sombre. Et même très sombre, bien qu'il n'y ait pratiquement pas de coups de feu et pas de morts (du moins, au cours du récit). C'est une comédie noire, dans laquelle un homme ordinaire (Bourvil), "porteur de valises" pour joindre les deux bouts, doit véhiculer un cochon entier entre la boucherie qui l'a découpé (et le vend au noir) et le boucher qui doit le mettre sur le marché. Contrairement à ce que je pensais, ce n'est pas une description du marché noir, mais une analyse assez antipathique de la manière dont les Parisiens font face à l'Occupation. Le protagoniste est en effet obligé de faire équipe au dernier moment avec un inconnu (Jean Gabin) qui, pendant toute leur équipée, lui met des bâtons dans les roues, se moque de lui et le fait tourner en bourrique. Il se révèle être un privilégié, peintre qui vit bien de ses tableaux et qui l'a accompagné "pour voir jusqu'où ça mène". Autrement dit, il s'est offert une visite en touriste parmi les pauvres, cette "saleté de pauvres" (c'est lui qui le dit) qui tentent de survivre. C'est un film très antipathique, dans lequel aucun personnage n'est attachant, et qui se termine de la manière la plus sombre qui soit : même en temps de guerre, les riches s'en tirent toujours, et les pauvres portent les valises des autres. 

Le film ne dit pas grand-chose sur l'Occupation, il en dit bien plus sur le regard du cinéaste, mais je n'arrive pas à déterminer si ce regard est nihiliste et méprisant, ou s'il se veut une analyse mordante de la lutte des classes en temps de guerre. En tout cas, je n'ai pris aucun plaisir à le voir... 

Le Père tranquille (René Clément, 1946) est un film infiniment plus sympathique. Inspiré par des personnages réels, il met en scène un petit homme discret (Noël-Noël), fonctionnaire retraité, qui passe son temps à faire pousser des orchidées mais est en réalité chef d'un réseau de résistance provincial. Et cela, à l'insu de sa famille - sa femme n'y voit que du feu, son fils (José Artur, tout jeune) le prend pour un planqué et brûle d'entrer dans la Résistance, et sa fille finit par le percer à jour. C'est un film réaliste, mis en scène de manière très économe, qui m'a fait penser aux films britanniques de la même époque, où la gravité et le drame sont contrebalancés par des moments de comédie inhérents à la situation et qui ne sont jamais gratuits. 

C'est un film aussi chaleureux que le précédent est froid. Il n'a pas la réputation du film d'Autant-Lara, mais il me semble plus proche, dans le temps et dans l'esprit, de ce que devait être vraiment la vie sous l'Occupation, y compris dans des familles dont certains membres avaient, à l'insu des autres, une activité clandestine. Comme dans le film de Chabrol, le rôle des femmes dans la transmission des informations et la cohésion des réseaux est bien montré. La Résistance n'aurait pas pu s'organiser et survivre sans elles. 

La Grande Vadrouille (G. Oury, 1966) est une comédie, l'un des plus grand succès du cinéma français, et je me suis décidé à le revoir avec réserves (j'ai dû le voir quatre ou cinq fois pendant mon adolescence - au cinéma à sa sortie et à la télévision par la suite), tant je craignais de m'infliger un pensum. Eh bien, j'ai passé un très bon moment. C'est un film authentiquement drôle, grâce au duo Bourvil-De Funès mais aussi au trio qu'ils font avec Terry Thomas (une scène aux bains turcs absolument hilarante, à bien des niveaux, quand on devine que si le pilote anglais a donné rendez vous à des résistants, c'est qu'il a dû fréquenter l'endroit assidûment avant-guerre, et pas seulement pour les eaux...). 

L'argument est simple : deux Français que tout sépare - un peintre en bâtiment et un chef d'orchestre de l'Opéra - aident trois parachutistes britanniques abattus au-dessus de Paris à franchir la ligne de démarcation. Le scénario est très bien écrit et cohérent, les dialogues excellents, le jeu des acteurs, les gags visuels et de slapstick tout à fait réussis. Ca m'a rappelé les films de Buster Keaton et de Mack Sennett (c'est une course poursuite avec l'armée allemande dans le rôle des Keystone Cops) mais il m'a fait aussi penser (je sens que certains vont hurler, mais j'assume) à la plus grande comédie qui se déroule pendant la seconde guerre mondiale : j'ai nommé To Be or not to Be d'Ernst Lubitsch (1942), que je ne saurais trop vous recommander si vous ne l'avez jamais vue ou pas revue récemment. 



C'est à ce pur chef-d'oeuvre que le film rend hommage, à mon avis, et cela sans se déshonorer ni déshonorer son modèle. 

Il y a dans le film de G. Oury une folie burlesque réjouissante, sans une seule de ces plaisanteries graveleuses ou scatologiques dont les comédies françaises sont pourtant friandes. Et ici encore, des femmes (interprétées par Marie Dubois, Colette Brosset et  Andréa Parisy) jouent un rôle actif et majeur et non "utilitaire" dans l'histoire.  C'est drôle, c'est efficace, et historiquement parlant, ça ne raconte pas n'importe quoi ; la contribution des nonnes des Hospices de Beaune à l'équipée des fugitifs a eu un équivalent dans la réalité : lesdites religieuses ont effectivement caché, pendant des mois, un chef de réseau au risque de se faire arrêter et fusiller. 

Comme je le disais dans l'épisode précédent, il y a un lien entre le film d'Oury et le musée du compagnonnage à Tours. Dans ledit musée est en effet exposé une grande reproduction des Hospices de Beaune entièrement fabriquée avec en nouilles alimentaires par un compagnon cuisinier bourguignon, Georges Bouché. 

A mes yeux, La Grande vadrouille est en un sens une oeuvre de compagnonnage, de par le principal moteur qui anime ses personnages : la solidarité.  

Last but not least, j'ai revu Le chagrin et la pitié - chronique d'une ville française sous l'Occupation (Marcel Ophuls, 1969). Commandé par la télévision française, ce documentaire de quatre heures en deux parties raconte la période à travers des images d'archives mais aussi grâce à des entretiens avec des témoins français, allemands et britanniques -- soldats d'occupation, résistants, collaborateurs plus ou moins avoués, hommes politiques et "simples citoyens".  

C'est un document passionnant et exceptionnel, qui contribua à mettre à mal l'image d'Epinal qui prévalait après-guerre - celle d'une France unanimement hostile à l'occupant. On y apprend une foultitude de choses et il peut être revu deux ou trois fois sans effort tant il est riche et dense. 

Preuve qu'il "gênait aux entournures", la télévision refusa de le programmer une fois terminé et c'est grâce à une sortie en salles qu'il toucha le public français. D'après Marcel Ophüls, le directeur de la RTF serait allé demander au Général de Gaulle ce qu'il pensait de la diffusion de ce document "révélant des vérités encombrantes". De Gaulle lui aurait répondu "Les Français n'ont pas besoin de vérité mais d'espoir." 

Je n'en ai pas trouvé de bande-annonce en français (c'est dire...) mais on peut voir beaucoup d'extraits et l'intégralité du film en ligne sur divers sites... 

Du point de vue strictement factuel, Le Chagrin est l'oeuvre la plus éclairante de cette liste, bien évidemment, mais il met en relief la manière dont chacun des autres films représente et reflète fidèlement ou au contraire "romance" l'ambiance de l'époque. 

Dans le prochain épisode, je vous parlerai d'autres films et des premiers documents écrits que j'ai consultés ces dernières semaines.  

(A suivre...) 

Les épisodes précédents : 

Premier épisode : La résidence

Deuxième épisode : Genèses

Troisième épisode : Une université, un cinéma, une librairie