à Danièle Grivel et Roland Lacourbe
J'ai toujours lu
des nouvelles policières. Je piquais Hitchcock
Magazine à ma mère ; l'un de mes premiers achats fut une anthologie de
Bergier et Sternberg intitulée Les
chefs-d'œuvre du crime (je l'ai toujours) ; j'ai lu cent fois les Confessions d'Arsène Lupin, Les Mémoires de Sherlock Holmes, les Histoires
Mystérieuses d'Isaac Asimov. J'aimais l'exposition rapide, le ton
immédiatement perceptible, les personnages bizarres, l'action imprévisible, la
chute sèche ou grinçante.
Pour un garçon
qui s'escrimait à écrire, la nouvelle était un modèle à suivre, un objectif
réaliste, tandis que les voyages extraordinaires de Jules Verne, les
anticipations de H.G. Wells et les systèmes d'horlogerie sophistiqués d'Agatha
Christie me paraissaient hors d'atteinte. C'est donc en suivant les traces de
mes nouvellistes préférés que j'ai commencé à écrire ; à l’adolescence, en
Amérique, en même temps que j'apprenais à taper à la machine, j'écrivis
plusieurs nouvelles en anglais ; pendant mes études de médecine, un texte de
Theodore Sturgeon intitulé "Suicide" fut ma première traduction
littéraire ; et mon premier texte de fiction achevé, "Spectacle
Permanent", fut accueilli en 1987 par deux nouvellistes chevronnés, Claude
Pujade-Renaud et Daniel Zimmermann, dans leur revue Nouvelles Nouvelles.
J'ai, depuis
toujours, un faible (c'est peu dire) pour un genre particulier : le "crime
impossible" et en particulier l'énigme en chambre close. En 1985 et 1988,
l'anthologiste, écrivain et critique Roland Lacourbe publie deux anthologies sur
ce thème - les premières d'une longue série. Je serai un de ses fidèles
lecteurs et - plus tard, son correspondant, son ami et le traducteur de
quelques textes pour ses recueils. Parmi tous les auteurs qu'il m'a fait
découvrir, le plus marquant, le plus attachant se nomme Edward D. Hoch. Ses
nouvelles sont souvent très courtes, son style sec et efficace, ses
constructions diaboliques, son intelligence et son humour noir délectables.
Presque exclusivement nouvelliste, Hoch avait pour spécialité le crime
impossible, sous toutes ses formes : assassinat dans une pièce close ou
inaccessible, défenestration d'un PDG qui met quatre heures pour tomber du
vingt-et-unième étage, strangulation d'un parachutiste au cours d'un saut en
solo. Il avait aussi le don de créer des personnages hauts en couleur : Nick
Velvet, le cambrioleur qui dérobe, sur commande, des choses apparemment
absurdes – le tigre d'un zoo, l'eau d'une piscine, une toile d'araignée, le
journal de la veille … ou la poussière d’une pièce vide ; Simon Ark, le
prêtre copte âgé de 2000 ans qui enquête sur des événements en apparence
surnaturels ; Jeffery Rand, l'agent secret spécialiste des codes secrets ; Ben
Snow, détective au temps de la conquête de l'Ouest. Parfois, au détour d'une
nouvelle, ses personnages se rencontrent…
J'ai une
affection particulière pour le capitaine Leopold, officier de police désabusé
qui, dans une ville sans nom du Connecticut, se penche sur des crimes
d'apparence banale. Hoch n'est jamais simpliste, et ces histoires sont toutes
d'une grande finesse psychologique et imprégnées d'une profonde humanité. J'ai
trouvé la même humanité, mêlée de désespoir, dans deux recueils de ses nouvelles
noires, inédits en France, The Night My
Friend et People of the Night.
Hoch s'y montre l'égal discret mais puissant d'un William Irish ou d'un James
M. Cain.
Le personnage
d'Ed Hoch qui m'est le plus proche, ça ne surprendra personne, est un médecin
de campagne, Sam Hawthorne, qui vit à Northmont, bourgade imaginaire de
Nouvelle-Angleterre. Le charme de ses enquêtes de détective amateur réside bien
sûr dans leur cadre (les victimes et les assassins sont ses patients et ses
voisins) mais découle aussi de leur déclinaison en chronique : la première des
soixante-douze enquêtes du bon docteur se déroule en 1922, année de son
installation ; la dernière en octobre 1944. Toutes ont pour trame de fond des
faits historiques et sont racontées au coin du feu par le vieux praticien, un
verre de brandy à la main, à un auditeur anonyme qui pourrait être vous ou moi.
Intelligent,
chaleureux, concis, précis et toujours surprenant, Hoch était considéré comme
un "grand maître" par les auteurs, amateurs et critiques du genre.
Mais il reste un écrivain rare. Une dizaine de recueils sont disponibles en
langue anglaise ; sans Roland Lacourbe qui l'accueillit dans toutes ses
anthologies, et rassembla quinze nouvelles dans Les Chambres closes du Dr Hawthorne (Rivages), il serait resté
ignoré en France. Malgré cela, des deux côtés de l'Atlantique, son œuvre
discrète mais impressionnante reste en grande partie méconnue. Il détient un
record : celui d'avoir vu figurer chaque mois, pendant trente-cinq ans (de 1973
à 2008, année de sa mort), un texte
inédit au sommaire de l'Ellery Queen's
Mystery Magazine et publia de son vivant neuf cent cinquante nouvelles. Je
ne pourrai jamais les lire toutes, et j'en suis heureux : tant que je vivrai, j'aurai
ses presque mille et une nuits noires à découvrir.
Rivages rééditent Les Chambres closes du Dr Hawthorne au format de poche. Lisez-les, vous m'en direz des nouvelles !
NB : Ce texte a paru dans les pages du Monde à l'été 2012.
NB : Ce texte a paru dans les pages du Monde à l'été 2012.