Janie prétend
qu’elle s’appelle Claude. Elle est devant moi, elle donne un cours de
gymnastique douce. « On respire, on se redresse, voilà ». Elle fait
comme si je ne savais pas. De mon côté, je l’appelle Claude, comme tout le
monde. En même temps, je vois bien qu’elle est encore contrariée. On s’est
disputées une heure plus tôt, normal qu’elle s’en souvienne.
Sauf que tout à
l’heure, elle se faisait appeler Dominique. On était toutes les deux au bureau,
et comme souvent, on s’est fâchées.
Comment fait-elle
pour vivre ses deux vies, sans se mélanger les pinceaux ?
Elle ne se
trompe jamais. Un jour, pour voir, je l’ai appelée « Claude » dans le
couloir : elle a continué son chemin.
Je sais qu’elle
sait que je sais. Je suis la seule à
savoir qu’elle s’appelle en réalité Janie. Personne d’autre que moi ne la
connais sous ce prénom. Parfois, j’ai peur. Cette double vie si parfaite cache
quelque chose. Peut-être qu’un jour elle voudra éliminer un témoin gênant.
Peut-être qu’il faudra que je prenne les devants.
Je ferai bien
d’en parler. J’ai déjà essayé.
« N’importe quoi, elles ne se ressemblent pas du tout » m’a
dit un jour Thérèse, que j’avais amenée au cours de gym. J’avoue qu’elle m’a
fait douter.
Mais alors,
comment expliquer le fait qu’elle garde de la rancœur contre moi le soir, quand
on s’est accrochées dans la journée ? Et pourquoi un grand sourire au
cours de gym les fois où on a bien rigolé
à la pause café ?
Je ne lui en ai
jamais parlé. C’est tellement troublant pour moi. Dans un sens, je suis heureuse
de partager son secret, notre secret.
Janie, moi seule
te connais vraiment.