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dimanche 8 mars 2020

8 mars 2020 - Je me souviens de ces femmes

Je me souviens de la femme qui s'est occupée de moi quand j'étais tout petit. Mon souvenir est fantôme, et je n'ai que quelques photos, mais sa tendresse s'est imprimée en moi à jamais.

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Je me souviens de la femme qui s'approcha de moi juste avant une rencontre dans une librairie du Mans pour me dire à voix basse que, vingt ans auparavant, je lui avais fait du mal, sans me rappeler qui elle était ni comment je lui avais fait du mal, et qui m'a laissé sans voix - car il n'y avait rien à dire sinon : J'entends et je regrette - et qui a disparu sans que je puisse dire quoi que ce soit.
Je pense à elle souvent.
Elle représente toutes les femmes à qui j'ai fait du mal, même si je ne savais pas que je le faisais. Même si je croyais "bien" faire.
Et je pense à elles souvent.

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Je me souviens de la femme sans nom qui est entré un jour dans mon cabinet médical, s'est assise, n'a répondu à aucune de mes questions ni invitations à lui parler, et puis a secoué la tête et est sortie sans rien dire. Et je la remercie de l'avoir fait. 

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Je me souviens de la femme qui pendant plusieurs années est revenue une ou deux ou trois fois par an au centre d'IVG parce qu'elle était enceinte et qui, chaque fois qu'on lui proposait une contraception, répondait en soupirant : "Mais ça ne marchera pas, je voudrais une ligature de trompes" et à qui tous les gynécologues refusaient de la faire. 

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Je me souviens de la jeune fille américaine qui me disait "Be yourself". C'était sa manière de me dire qu'elle m'aimait et je ne l'avais pas compris. 

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Je me souviens de la camarade de fac qui, en 1977, m'a confié, alors que nous étions assis sur un banc au jardin botanique, qu'elle avait subi une IVG clandestine deux ou trois ans plus tôt. 

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Je me souviens de la patiente alpha. 

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Je me souviens de l'admiration que j'avais pour C., qui, en 1975, alors qu'elle n'avait pas vingt ans, parlait trois langues, citait Benoîte Groult et Simone de Beauvoir, et tenait tête à tout le monde.

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Je me souviens de l'admiration que j'ai toujours eue pour A., qui s'occupe de tout le monde autour d'elle --- et il y a beaucoup de monde autour d'elle.

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Je me souviens de l'admiration que j'ai toujours eue pour G., qui était chef d'entreprise à une époque où une femme (disait-on) ne pouvait pas l'être.

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Je me souviens de ce que Betty, ma mère américaine, m'a appris. Et de ce que m'apprennent aujourd'hui ses petites-filles, chaque fois qu'elles partagent leurs expériences sur Facebook.

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Je me souviens de D., qui soigne les maux par la parole. 

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Je me souviens de G. J'avais seize ans, elle remplaçait mon père et pour la première fois de ma vie de fils de médecin, j'entendais une femme me parler du métier de médecin.

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Je me souviens de Nicole et Marie-Jo, qui ont guidé mes premiers pas (maladroits) de soignant.



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Je me souviens d'Yvonne, qui m'a appris à sortir de mon paternalisme et à respecter les femmes avec la même bienveillance que celle qu'elle voulait me voir pratiquer.



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Je me souviens de l'admiration que j'avais pour tout ce que ma mère savait faire et que je me sentais incapable de faire.


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Je me souviens de l'admiration que j'ai toujours eue pour le courage et la détermination de ma soeur, de mes cousines, de nos mères et de nos filles.



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Je me souviens de mon admiration pour une de mes camarades de fac le jour où elle a mis un coup de poing à un connard de notre année qui l'emmerdait depuis des mois. Après ça, il changeait de trottoir en la voyant.



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Je me souviens que ma perception des femmes a été lentement mais sûrement modelée par toutes celles que j'ai croisées.

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Je me souviens que le 7 mars 2020 au soir, des forces de police ont chargé une manifestation pacifique de femmes contres les violences faites aux femmes. Et je me souviendrai que ça se passait à Paris, en France, "le pays des droits de l'homme" - où manifestement pendant les manifestations on maltraite les femmes autant et aussi aveuglément que les hommes...
Et je n'oublierai pas leur colère et la mienne.




Marc Zaffran/Martin Winckler



6 commentaires:

  1. Merci pour ces beaux mots et surtout de vous rappeler et de partager.

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  2. Et à Nantes le dimanche 8 mars, quand des femmes ont commencé à chanter devant le château, la police leur a envoyé une pluie de grenades lacrymogènes. Mais ce n'était peut-être pas lié au chant, la présence de bébés était peut-être le vrai motif d'intervention...
    https://www.facebook.com/chloe.beulin/videos/10221731437534824/

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  3. Je me souviens que je me suis dit que peu d'hommes, dans leur corps d'homme, leur éducation et construction d'homme,comprennent ce que peut vivre, ressentir, éprouver une femme.
    Et inversement, qu'en est-il?
    En tant que thérapeute, je m'adresse à un être humain, le genre et le sexe d'appartenance le colorant de diverses façons. Auxquelles je m'adapte, tout en proposant des pistes, des ouvertures, des questionnements...
    Et en étant dans la vigilance de ne pas trop projeter, catégoriser, interpréter.
    Car... nous n sommes QUE des êtres humains, dit Irvin Yalom!

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  4. Merci à vous, je vous suis depuis si longtemps... Les femmes, l'avenir de l'homme ? Qui sait ? Peut-être les hommes et les femmes sont-ils surtout amenés à trouver comment vivre ensemble... sereinement..
    Mais votre hommage aux femmes est un hymne, magnifique. Reste à chacun à conquérir son empathie, son altruisme, en trouvant peut-être quels ont été ses modèles, hommes ou femmes.
    Encore merci de ce que vous insufflez.
    Fabienne

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  5. Vous avez été cité Marc en tant que Martin Winckler écrivain mais surtout médecin dans l'émission présentée par Maria d'Encausse "le monde en face " l'avortement, le prix à payer ...

    C'est vrai que je vous ai vu non pas en lieu et place du gynécologue qui était sur le plateau mais en plus. Il est aussi formidable que vous, un autre gynéco serait dans le reportage , z hommes donc mais 2 hommes comme vous qui respectent et nous défendent.

    J'ai lu tous vos livres. Je voulais vous écrire concernant la nevralgies pudendale dont vous parlez dans le livre "tu comprendras ta douleur" ..... sur les critères de Nantes et le pourcentage d'amelioration dont ils vous ont fait état. ... Il y a à redire ... car je suis touchée par ces douleurs du périnée depuis plus de 13 ans ...
    Je voudrais témoigner peut être accepterez vous que je puisse le faire. Merci aussi à Alain Gahagnon.

    Très cordialement

    Christine (je suis de votre génération et j'ai cette très longue histoire de ma vie de femme qui va continuer hélas à souffrir jusqu'au bout.

    PS : Je vais réserver votre livre. J'ai lu les quelques premières pages disponibles à la lecture et à presque 68 ans je découvre seulement maintenant tout ce qui se passe dans le corps d'une adolescente ... c'est, comme d'habitude superbement écrit.

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