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mercredi 6 août 2014

Je viens de perdre un ami


Je vous rassure, il est bien vivant. Enfin, aux dernières nouvelles. Mais quelque chose me fait penser qu’il ne m’en donnera plus, depuis qu'il m'a envoyé un message assez difficile à encaisser, me laissant entendre du bout des lèvres qu’il n’a plus très envie d’avoir affaire à moi.

On se connaissait depuis douze ans. C’était un de mes meilleurs amis. J’avais partagé avec lui des choses que je n’avais jamais dites à d’autres. Je crois qu’il avait fait de même. On ne vivait pas dans la même ville mais on se parlait souvent, par téléphone ou par Skype, on s’envoyait des messages pour se tenir au courant de ce qui nous arrivait. Il y a trois ans, à une période très difficile de ma vie, il m’a accueilli chez lui pendant quinze jours. Il avait alors été soignant et attentif, encore plus qu’il ne l’avait été auparavant, et je lui en garde une reconnaissance profonde. C’était certainement mon ami le plus proche, ces dernières années. Je pensais qu’il en allait de même pour lui, mais manifestement, je me trompais.

Je ne pense pas m’être trompé sur la réalité de notre amitié mais, comme tout le monde, j’imagine, je me suis trompé en croyant que nos sentiments n’étaient pas seulement réciproques (ils l’étaient, jusqu’à ces derniers temps) mais aussi identiques et, qui plus est, indestructibles. C’était faux. Nous avons le même âge et nos sensibilités étaient très proches – je veux dire qu’elles entraient en résonance sur de nombreux sujets – mais nous ne sommes pas la même personne. Même quand on a des goûts, des valeurs, des affinités qui se ressemblent beaucoup, il reste des différences au plus profond de nous-même. Je ne suis donc pas étonné qu’un jour les différences se soient manifestées. Je suis en revanche surpris, et peiné, qu’il n’ait pas cherché à les surmonter et qu’elles l’aient déterminé à mettre fin à notre amitié, sans qu’il m’en parle. 

Car il ne m’en a pas parlé tout de suite. J’ai senti nos relations se dégrader peu à peu : il était moins affectueux ; il n’avait plus aucun humour ; il ne m’écoutait plus  (alors qu’il avait toujours patiemment écouté ce que je lui confiais, et m’avait, lui aussi beaucoup confié, au fil des années) ; il se montrait impatient à mon égard, comme on le fait face à quelqu’un qui vous ennuie.

Ça m’a surpris, et blessé parce que je ne comprenais pas ce qui se passait ; je ne comprenais pas pourquoi, sans raison apparente, il se montrait évasif, fuyant, froid et vaguement désagréable. Quand un ami est distant, irritable, évasif, on se demande s’il n’a pas des soucis. Mais sa vie allait très bien, tant sur le plan personnel que professionnel, et il en parlait volontiers.  

Je ne m’expliquais pas cette transformation, et il ne disait rien qui me permette de la comprendre – ni remarques, ni reproches, ni questions, ni désir de communiquer. S’il avait une raison, il n’en parlait pas et ne voulait pas en parler. Il était évitant, à tous égards.

Ma confusion était d’autant plus grande que, pendant cette période de dégradation, nous nous sommes parlé au téléphone, nous avons participé ensemble à la même manifestation, et nous avons eu l’occasion de nous voir et de déjeuner ensemble dans sa ville, à deux ou trois reprises. Quand on se rencontrait, il me tendait la main au lieu de m’embrasser comme il le faisait auparavant. Il ne me regardait plus dans les yeux. La dernière fois qu’on s’est vus, il ne m’a même pas fait monter chez lui, il m’a rejoint en bas de son immeuble.

La dernière fois que je me suis rendu dans sa région, je l’ai prévenu à l’avance, et je lui ai écrit pour proposer qu’on déjeune ensemble. Il n’a pas répondu. Du tout. J’ai passé huit jours dans sa ville sans qu’il me fasse le moindre signe. Je savais qu’il avait reçu mon message, je n’ai donc pas voulu débarquer chez lui sans prévenir, mais ça m’a fait mal de rester dans le silence.

De retour chez moi, je lui ai écrit pour lui demander ce qui se passait. En exprimant, de manière assez banale, qu’à un ami, on dit ce qu’on a sur le cœur, même quand on pense qu’il va mal le prendre ; en réaffirmant qu’il était mon ami, et qu’à ce titre je pouvais tout entendre ; en lui demandant si moi, j’étais encore le sien. Si je l’avais blessé ou lésé d’une quelconque manière, fût-ce sans m’en rendre compte, je ne demandais qu’à savoir en quoi et à faire mon possible pour réparer.

Sa réponse m’a coupé le souffle. 

Son message commençait par une phrase éclairante, dont je n’ai pris toute la mesure que plusieurs jours après : « Je pense que l’amitié n’a rien à voir là-dedans. »

Il poursuivait en disant :  « Tu as décidé de vivre ainsi. Tu aurais dû comprendre que ça me contrariait. Pensais-tu que ça n’aurait aucune incidence sur ton entourage ? Comment as-tu pu me faire ça, à moi ? Que vont dire mes collègues de travail ? Tu me dégoûtes. »
(Je paraphrase et je contracte, mais le sens est là. Il a bien utilisé le verbe "dégoûter".)

Un événement avait récemment fait prendre à ma vie un tournant inattendu ; il l’avait pris comme une insulte personnelle et une tache sur sa carrière, et il m’en voulait. Mais il n'en avait rien dit. (Si je ne précise pas de quel événement il s'agit, ce n'est pas seulement par discrétion, c'est aussi parce que ce n'est pas mon sujet : je ne cherche pas à débattre pour savoir s'il avait raison ou tort, mais à souligner le caractère arbitraire de sa réaction, et surtout, le fait qu'il n'ait rien dit. Or, si j'étais son ami, j'aurais compris qu'il me parle franchement...)

Je peux comprendre son malaise, car j’ai conscience de vivre quelque chose de pas très conventionnel et susceptible de faire réagir certaines personnes. Mais tous mes autres amis, quand ils ont appris ce qui m’arrivait, se sont réjouis : c’était une bonne nouvelle, ça me rendait heureux, ça les rendait heureux aussi. Certains ont relevé que la situation était inhabituelle ; mais en dehors de lui, aucun ne s’est offusqué, et personne n’a mentionné que ça remettait en cause notre amitié (ou qu'ils seraient gênés d'en parler à leurs collègues, car ils ne parlent pas de leurs amis intimes à leurs collègues...).

Sa réponse, en revanche, signifiait : « Tu as commis un acte moralement répréhensible, je ne veux pas être complice. » (Il a d’ailleurs utilisé ce mot.)

« Je pense que l’amitié n’a rien à voir là-dedans. »  Plus rien, effectivement.

Ce qui m’a fait le plus mal, dans ce message, n’est pas qu’il ait été choqué (je peux le concevoir) ou qu’il l’ait pris de manière personnelle (je trouve ça idiot, mais tout le monde peut réagir de manière idiote face à une situation surprenante), mais que d’emblée il ait placé ça sur le plan moral – comme s’il était évident qu’il y avait un problème moral en jeu – et surtout qu’il ait mis de nombreux mois à me le dire. Et enfin qu’il ait choisi de me dire qu’il était « dégoûté ».

On peut toujours dire à un ami : « Tu es con ! Tu fais ou tu dis des conneries ! », ça veut dire « Je suis en colère contre toi ! » La colère est une expression d’un sentiment d’injustice ou de révolte ou d’incompréhension ou de peur. La colère, ça donne envie de crier, de donner des baffes, de secouer l’autre. C’est une réaction de défense. Quand ça finit par s’éteindre, on peut se remettre à discuter. Et surtout, la colère exprime quelque chose, même si elle le fait de manière démesurée. La colère, ça parle.

En revanche, dire « tu me dégoûtes », c’est dire : « Ne m’approche plus. » et « Je ne veux plus te parler. »

Ce qui m’a fait mal, c’est qu’il m’exprime son dégoût, comme ça, après s'être tu pendant longtemps.

Après m'avoir laissé sans voix, sa réponse m'a scandalisé ; dans un premier temps, j’ai eu envie de lui reprocher de porter un jugement sur ma vie (il ne l’avait jamais fait, et je n’avais jamais de porté de jugement sur la sienne), de ne pas avoir parlé, d’avoir laissé se dégrader nos relations et, lorsque je lui avais demandé de s’expliquer (comme il me semblait que je pouvais le faire, puisque nous étions amis), de m’avoir fait un reproche incompréhensible :  « Tu aurais dû prévoir que ça me contrarierait. »Ben non, j'avais pas prévu, mon pote : c'est ma vie, pas la tienne et, jusqu'à preuve du contraire, on n'est ni mariés, ni siamois ! 

Bref, j’avais envie de répondre par une rafale d’insultes et une volée de mots verts car s’il était dégoûté, moi j’étais en colère.

Je ne l’ai pas fait. Je me suis calmé. J’ai relu son message. Comme j’aime bien qu’on mette les points sur les i, et vérifier que j’ai bien compris, je lui ai écrit en substance, dans un message très court : « Ce que tu écris est difficile à entendre, mais je t’entends. Et je te repose la question : suis-je encore ton ami ? » C’était une question simple. Un mot de trois lettres suffisait pour répondre : Oui ou Non. Non aurait suffi pour que je fasse mon deuil. Oui aurait suffi pour que j’attende qu’il veuille à nouveau me voir et me parler.

Mais à ce court message, il n’a pas répondu. J’aurais compris qu’il prenne trois jours pour réfléchir mais ça fait à présent quinze jours, de l’eau a coulé sous les ponts, quand on ne répond pas tout de suite à ce genre de question c’est qu’on n’a pas envie d’y répondre. Et surtout, qu’on se moque bien de laisser celui qui l’a posée dans l’expectative. Autrement dit : qu’on ne se soucie pas de ce qu’il ressent.

Il a choisi de répondre par le silence.

Le plus ironique, dans l’affaire, c’est que notre amitié s’est nouée le jour où j’ai répondu à un message qu’il m’avait envoyé en pensant que je ne donnerais pas suite (« Les écrivains français ne répondent jamais aux messages », m’avait-il ensuite expliqué). Elle s’est terminée le jour où il n’a pas donné suite à l’un des miens.

Je pourrais lui envoyer l’un des trois cent cinquante messages que je lui ai écrits ces derniers jours, et qui passaient de la colère tonitruante au sarcasme, du sarcasme au paternalisme, du paternalisme à l’interrogation désespérée, du désespoir à la fatigue. Mais je ne les enverrai pas. Après avoir écrit et réécrit, je me suis senti désabusé : « Au fond, à quoi est-ce que ça va servir ? Il n’a plus assez d’estime pour répondre à ma question, comment pourrait-il en avoir assez pour me lire ? » Son opinion était faite, je n’allais pas le convaincre. Le traiter de tous les noms me ferait peut-être du bien mais le conforterait dans l’idée qu’il avait eu raison de rompre. 

J’aurais donc dû en rester là. Accepter de ne pas comprendre ce qui a transformé son amitié en dégoût. Accepter que cette rupture est irréparable, quoi que je fasse. Accepter de ne jamais plus pouvoir en parler avec lui. De ne plus pouvoir parler avec lui, tout court. Faire le deuil de cette relation.

J'aurais dû en rester là et passer à autre chose. C'était sage.

Mais je n’arrivais pas à rester sans rien faire.

Car il a beau me dire qu’il ne veut plus me voir,  à mes yeux, il est toujours le même homme ; il a toujours les qualités que je lui trouvais auparavant. Et, périodiquement, comme on le fait toujours quand on est bourré de scrupules et qu’on ne se pense pas supérieur à ceux qu’on aime, je lui trouve tout un tas d’excuses ou de bonnes raisons. J’éprouve de la colère, de l’incompréhension, du chagrin, mais pas de dégoût. Je lui en veux, indiscutablement. J’ai le sentiment d’avoir été puni d’un acte que je n’ai pas commis pour des raisons que je ne comprends pas. Et, même si je ne les ai pas envoyés, ça m’a fait du bien d’écrire des messages dans lesquels je le traitais de tous les noms. Ça m'a soulagé de le traiter d’orgue du Laos, de lui souhaiter un bon voyage à Khonostrov, de le surnommer El Jerko. El Sharkhono. El Khonostro.

Mais je ne comprenais pas. Parce que j’avais encore de l’amitié pour lui. 

Il en va de l’amitié comme de l’amour : ça ne se déconnecte pas comme on veut. La fin d’une amitié peut être brutale – je viens de le constater une nouvelle fois – mais on ne décide pas de mettre fin à une amitié. C’est un processus aussi involontaire que peut l’être son début. La vie est faite de liens mais aussi de ruptures. Vivre, c’est nouer, rompre et renouer sans arrêt. C’est pour ça qu’on a du mal à regarder nos photos d’enfance (« Misère ! J’avais cette dégaine-là à quatorze ans ? ») ou celles des personnes qui ont compté pour nous puis sont sorties de nos vies. Celles qui sont mortes, celles qu’on n’a plus voulu voir, celles qui n’ont plus voulu nous voir. (Tiens, ça me fait penser qu’il faut que j’efface toutes les photos de lui que j’ai sur mon ordi…) 

On a beau le savoir, on ne s’y attend pas ; quand il a commencé à se transformer en El Jerko (imaginez un méchant des films muets, avec une petite moustache, un sourire torve et des canines pointues…) je me remettais d’autres soucis, j’allais mieux et, comme il m’avait soutenu jusque là je ne m’attendais pas à le voir faire volte-face. Quel connard ! Pourquoi m’a-t-il fait ça, à moi qui comptais tant sur lui ?

Du coup,  la colère a fait remonter en moi le souvenir de ruptures passées.

Ce n’est pas la première fois qu’un homme que j’aime et admire m’envoie paître de manière assez ignominieuse. Je veux dire : non pas en disant « Je ne suis pas d’accord, je ne peux plus être ami avec toi, restons-en là » mais en me laissant entendre que je suis moins que rien. Que s’il met fin à cette amitié, ce n’est pas parce que je lui ai fait quelque chose, mais parce que je suis ce que je suis.

Quand un ami nous dit ça, la surprise est grande parce que ça sous-entend que cette amitié, au fond, était un malentendu ; que les liens s’étaient noués autour de perceptions erronées, d’une compréhension illusoire, de points communs imaginaires. Que pour l’un, cette amitié n’avait pas le même sens que pour l’autre. Que nous étions de faux amis. 

Après la surprise et la colère, il y a la douleur du sentiment d’abandon, l’humiliation de se sentir trahi, la honte de se savoir dés-estimé, voire méprisé, le sentiment insupportable, en outre, d’être soi-même accusé de trahison. Car l’ami qui rompt nous dit : « Tu m’as trahi, c’est pour ça que je ne veux plus te voir. » Comment comprendre une accusation dont on ignore la nature ? C’est du même ordre que Joseph K. dans le procès. Il est accusé, mais ne comprend pas de quoi, personne ne veut le lui expliquer.Il ne peut donc ni se défendre, ni assumer sa faute. Insoluble.

Et puis, quand on reprend ses esprits, on s’interroge : si je n’ai rien fait de mal, si ce ne sont pas mes actes mais ce que je suis (ou ce qui m’est arrivé) qui a provoqué cette rupture, qu’est-ce qui a changé ? Est-ce moi, ou est-ce la perception que l’autre avait de moi ?

Car il n’y a pas vérité d’un côté, erreur de l’autre. Quoi qu’on en pense, il s’agit toujours de perceptions. Sa perception de ce que j’étais et suis devenu ; ma perception des changements que j’ai vus en lui et de leurs causes. Les unes ne valent pas mieux que les autres. Ce qui rend les choses douloureuses, ce n’est pas de se rendre compte de ça, c’est de ne pas savoir pourquoi, comment c’est arrivé, et de ne même pas pouvoir s’asseoir à une table et en parler. Si on pouvait le faire, ça voudrait dire qu’on est encore amis. Qu’il a été secoué, qu’il reste circonspect, mais que son amitié – ou au moins son estime – est toujours là.

Et puis, j’en suis venu à me demander : pourquoi devient-on amis ? Et qu’est-ce que l’amitié ? Ce ne sont pas des questions simples, car l’amitié n’est pas plus facile à définir que l’amour, les définitions sont multiples selon l’individu, la culture et la société environnantes, les circonstances, l’âge, les expériences communes… Et je ne cherchais pas une définition universelle – il n’y en a pas, même s’il est probable qu’on pourrait trouver des éléments de définition communs en recueillant ce qu’en disent les membres de nombreuses cultures – ni même une définition « modèle » pour d’autres que moi. J’avais envie, simplement (si tant est que ce soit simple) de délimiter ce qu’est, pour moi, être un ami et tenir quelqu’un pour un ami.

Les premiers mots qui me sont venus à l’esprit étaient « soutien », « entraide/coopération » et  « loyauté ». Un ami, c’est quelqu’un avec qui on s’entraide, avec qui on coopère et l’on se soutient mutuellement et envers qui on est loyal.

De ces mots, le plus problématique, c’est « loyauté ». Nous sommes liés à tant de personnes à la fois – famille d’origine, conjoint, famille élargie, amis, communauté, groupe professionnel – que les conflits de loyauté sont inévitables, et ils sont légion. Il me semblait que le lien d’amitié a de particulier par rapport aux autres qu’il n’a pas toujours pour objet ou pour finalité un intérêt ou un profit concrets. Je m’explique : la loyauté envers famille, conjoint et enfants est ancrée dans la nécessité inconsciente de préserver nos gènes pour les faire passer à la postérité. La loyauté envers le groupe (communautaire ou professionnel) est ancrée dans la nécessité de profiter des ressources du groupe (et d’y rester inclus) pour survivre à l’environnement – qu’il s’agisse du climat ou des prédateurs. Etre déloyal envers la famille ou le groupe, c’est considéré comme une trahison des projets communs – le plus souvent implicites – que sont la survie des gènes et du groupe. Quoi qu’on fasse, ces enjeux et intérêts restent présents en filigrane.

Mais j’avais le sentiment qu’on pouvait être ami avec quelqu’un sans qu’il soit question (en première approximation) de survie, individuelle ou génétique, ou d’intérêt matériel immédiat. On trouve des amis en général hors de son cercle familial, et hors de son cercle professionnel. Dans mon esprit, l’amitié pouvait être indépendante des intérêts premiers de chaque individu, autrement dit, on peut être l’ami d’une personne sans que l’un ou l’autre en tire de bénéfice notable. 

Il semble que ce soit faux. 

La lecture toute récente (depuis ma rupture avec El Khonostro) de « The Evolutionary Origins of Friendship », article de Robert M. Seyfarth and Dorothy L. Cheney paru en 2011 dans la revue Annual Review of Psychology (Annu. Rev. Psychol. 2012.63:153-177) me porte à croire que le caractère « désintéressé » que j’attribuais aux liens d’amitié est un pur fantasme. On devient toujours l’ami de quelqu’un parce qu’on en tire bénéfice. Chez beaucoup d’animaux, à commencer par les primates, les liens d’amitié existent, et sont favorisés/facilités par trois éléments d’importance décroissante : d’abord, l’appartenance à la lignée maternelle : parmi les babouins, on est volontiers ami(e) de ses tantes, de ses sœurs, de ses cousines ; ensuite, les individus de même âge qui pourraient être des enfants du père biologique : chez les chimpanzés, les femelles se regroupent et élèvent ensemble leurs petits pouvant être issus du même mâle, de sorte que les petits deviennent proches et s’allient ; enfin, parmi tous les primates, les liens d’amitié se nouent entre individus de rang social similaire, ce qui leur permet de constituer des alliances. Les avantages de ces liens d’amitié sont évidents, aussi bien génétiquement que socialement. Et on observe que les liens d’amitié entre individus appartenant à une même famille de rang élevé sont plus forts que ceux des familles de rang inférieur. Ce qui veut donc dire que ces « motivations » d’être amis se renforcent mutuellement.

Si on extrapole ça aux humains, dont la structure sociale et les mécanismes psychologiques sont très proches de celles des autres primates, ça veut dire qu’une amitié a d’autant moins de chance de se nouer ou de durer que les deux amis sont éloignés génétiquement et ont un statut social différent. De plus, comme je l'ai mentionné, les comportements « non conformes » aux règles en vigueur dans le groupe sont souvent sévèrement punis par les membres du groupe (par la mise à l'écart, l'exclusion, le meurtre) ;  ça veut donc dire aussi que si l’un des deux amis enfreint (ou semble enfreindre) les règles implicites ou explicites du groupe auquel ils appartiennent tous deux, la probabilité que l’ami non exclu choisisse son ami, et non le groupe, est extrêmement faible. Et si c'est l'ami lui-même qui "décide" que l'autre a enfreint les règles, alors, il n'hésitera pas à l'exclure.

Un article paru dans Communication Quarterly en 2004, (« The process of relationship development and deterioration: Turning points in friendships that have terminated ») nomme cinq circonstances/motifs-clé pouvant favoriser la fin d’une relation d’amitié :

- la fin de la cohabitation (quand les amis vivaient ensemble) ;

- les conflits (il n’est pas précisé lesquels)

- le partenaire amoureux de l’un des deux amis ;

- l’accroissement de la distance géographique ;  

- le fait qu’un des amis « change » (le type de changement n’est pas précisé).

Bien sûr, plusieurs facteurs peuvent se combiner… 

(Un ami - un vrai - en lisant ce texte, m'a demandé pourquoi je n'évoquais pas des raisons psychanalytiques à cette rupture, en suggérant qu'il y a sûrement d'autres hypothèses. Il a raison, et je l' ai envisagé. Mais ce texte n'est pas destiné à expliquer son comportement avec des hypothèses, car je ne suis pas dans sa tête - et, à vrai dire, je n'ai pas envie d'y entrer. Ce texte est simplement destiné à exprimer ce que je ressens devant une attitude qui me semble inexplicable.) 


Lire ces deux articles m’a beaucoup éclairé – même si ça m’a aussi attristé. Parce que je me suis mis à revisiter les ruptures que j’avais vécues (ce n’était pas la première, et c’est presque toujours l’autre qui a rompu, pas moi). Et je me suis rendu compte que chacune de ces ruptures était, effectivement, liée à l’un de ces facteurs – le plus souvent, à un tournant dans ma vie. J’en déduis que mes ex-amis ont perçu ce tournant comme étant incompatible avec la poursuite de l’amitié. Que c’était un deal-breaker, en quelque sorte. Je parle, encore une fois, de perception, puisque pour chacune de ces « ruptures », ils ne sont pas venus me donner une explication rationnelle. (Mais peut-il y avoir une explication « rationnelle » à la fin d’une amitié, alors qu’il n’y en a pas lorsqu’elle commence ?)

Chaque fois, j’ai été surpris. Ces ruptures se sont produites à des moments très précis : lorsque j’ai publié mon premier roman, en 1989, certains amis l’ont très mal pris ; quand j’ai divorcé, au début des années 90, plusieurs n’ont plus voulu me voir ; et, quand j’ai eu la chance de recevoir un prix littéraire, en 1998, la plupart de mes amis ont accueilli mon succès avec beaucoup de joie, mais deux d’entre eux l’ont très mal vécu.

Je cherche ici à expliquer des mécanismes, en sachant qu’ils restent incertains. Comme le font remarquer les auteurs de l’article, ils n’ont interrogé qu’un des deux amis concernés par la rupture. Chacun probablement, avait sa vision propre. Leurs intérêts – et leurs motifs d’être amis – n’ayant jamais, au fond, été superposables, il serait douteux que leur vision de leur rupture l’ait été. Je doute que mes anciens amis aient de notre rupture la même perception que moi. Pour ce que j’en sais, certains pensent peut-être, en toute sincérité, que c’est moi qui ai rompu.

Aujourd’hui, je serais tenté d’en conclure qu’il est vain de porter des jugements hâtifs sur nos liens d’amitié ou de prédire leur avenir. Pas plus que l’amour, aucune amitié n’est là pour toujours. Les relations nées de l’une sont aussi contingentes, influençables et labiles que celles qui naissent de l’autre. Elles se forment pour des raisons apparentes, raisonnées a posteriori, qui masquent les motifs réels, inconscients et probablement calculés. Car l’amitié, nous disent l'anthropologie, l'ethnologie, la psychologie, la sociologie, nous est utile, émotionnellement et socialement. Elle facilite l’intégration sociale, la stabilité à l’intérieur du groupe, mais aussi la réussite individuelle. Et il est probable que lorsqu’elle ne remplit plus l’une ou l’autre fonction, elle cesse. Pour celui qui décide de rompre, il est moralement plus satisfaisant de se dire qu’on rompt parce que l’autre a trahi ; mais il est beaucoup plus plausible que lorsqu’on met fin à une amitié, c’est parce qu’elle n’apporte plus ce qu’on en attendait. L’ami qui décide de rompre ne fait, au fond, que se débarrasser d’une relation encombrante.

Pour celui qui n’a pas voulu rompre, la perte est brutale et profonde. C’est sans doute pour cela que ça lui est si pénible : il se voit simultanément refusé un soutien moral qui lui était bénéfique, et nié dans sa capacité d’apporter la même chose à son ami. Autrement dit, quand un homme met fin à une amitié il dit : « Tu ne me sers plus à rien, débrouille-toi. »

Celui qui a été rejeté se sent également accusé d’être le responsable de la rupture. Sans possibilité de pouvoir faire amende honorable, sans même pouvoir déterminer si c’est vrai. Perdre un ami, c’est douloureux, mais le perdre en ayant le sentiment qu’on a été déclaré coupable sans avoir, à aucun moment, pu se défendre – c’est profondément injuste.

C’est ce qui permet de sortir du deuil. Parce qu’un ami, justement, c’est loyal. Ça nous aborde de front quand quelque chose ne va pas. Il peut choisir de nous engueuler et de nous secouer. Ou alors, de se taire en se disant : « C’est mon ami. Il a tort, mais je n’ai pas à lui donner de leçon. Il a besoin que je sois là, même s’il se trompe. » Mais quoi qu’il décide, il l’assume. Par amitié. Un ami, ça ne nous met jamais dans une situation insoluble.

Lorsqu’un ami rompt sans explication, c’est parce qu’il n’est plus notre ami ; parfois, depuis longtemps. Nous étions dans l’illusion de l’amitié passée, une illusion qu’il n’a pas eu le courage ou qu’il a choisi sciemment de ne pas dissiper. Que nous soyons ou non coupables de lui avoir fait du tort, ça ne justifie pas qu’il se soit tu et qu’il nous fasse porter pêle-mêle la responsabilité de la rupture et des conditions de celle-ci. C’est déloyal. Ce n’est même pas respectueux à l’égard de l’amitié passée.

Quand un ami rompt ainsi, dans le silence, ou avec dégoût, il trahit aussi ce qu’il a été. Il se trahit lui-même. Il se disqualifie et disqualifie aussi ce qu'il dit : il ne peut pas  à la fois prétendre rompre au nom de l'amitié passée et, en même temps, nous en rendre coupable. C'est lui qui rompt. Ses motifs sont respectables, mais il n'a pas à nous attribuer l'acte de rupture lui-même. Pour nous l'attribuer, il faudrait que nous en ayons été informés... 

J'en ai conclu qu'en me faisant porter le chapeau sans discussion possible, mon ex-ami s'est comporté très connement : en juge, parti et bourreau. El Jerko Sinistro. El Khonostro Diabolico. 

Il a rompu, et c’était son droit. Mais il l’a fait connement ; et si c’était aussi son droit, c’est le mien de penser qu’il a été un con sur ce coup-là. Car il l’a fait sans respect et sans courage, ce qui est très très con. 

Penser cela ne m’a pas, à proprement parler, consolé. Mais ça m’a aidé à ne plus me sentir coupable : je n’ai pas à me sentir coupable du manque de respect et de courage d'un autre.

Je peux en revanche continuer à apprécier à leur juste valeur le respect et l’amitié qu’on me porte. 

Je n’ai pas beaucoup d’amis. Et, depuis que j’ai émigré, mes amis intimes vivent ailleurs. Mais ce qui me réconforte, c’est que la distance et les événements bons ou mauvais de la vie - ils en ont eu leur lot, moi le mien – ne semblent pas affecter ces autres amitiés. Avec certains, ils semblent même les renforcer. Ou plutôt, quand quelque chose arrive, ils sont là où je pense les trouver. Ils m’accueillent quand je leur annonce que je viens les voir. Ils m’envoient des messages de temps à autre pour garder le contact. Ils ne sont jamais loin. Je sais qu’ils ne dépendent pas de moi, et que je ne dépends pas d’eux. Nous sommes amis parce que nous aimons être amis. Et parce que le sentiment d'amitié est, en lui-même, plus gratifiant que ses "intérêts" potentiels. 

C’est peut-être ça seulement, le test d’une amitié : on reste amis quoi qu’il arrive parce que l’on sait déjà suffisamment sur l’autre pour l’accepter tel qu’il est, jusqu’au bout ; parce qu’on est assez autonome pour vivre et s’apprécier sans attendre autre chose que le plaisir de se voir et de passer du temps ensemble autour d’un repas en famille à leur table ou dans un delicatessen, à un concert de James Taylor ou à une exposition de Gotlib. Les amis nous rappellent les choses que nous aimons – ils les aiment aussi ; ils nous en font découvrir d’autres ; ils acceptent que nous leur en fassions découvrir de nouvelles. Ils acceptent que la vie nous arrive comme elle leur arrive à eux. Et que le changement, ça fait partie de la vie.

Quand on perd un ami, on apprécie encore plus les amis qui sont là. Et, parce qu’ils sont là malgré le temps, malgré les événements, malgré les changements, ils nous disent qui nous sommes – ce que nous avons été, ce que nous sommes devenus.



Marc Zaffran/Martin Winckler


27 commentaires:

  1. je dirai quand même 'sincères condoléances' parce que c'est clairement tout un travail de deuil par lequel on passe.

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  2. Je ne sais pas si je dois te dire : "merci" ou "désolée" ou un peu des deux. J'ai aussi une amitié à enterrer depuis 2 ans sans bien y arriver. J'ai toujours l'impression qu'il n'y a qu'un malentendu à 3 balles (de francs, même pas d'euros), qu'il faut juste que je trouve les bons mots. Et ce WE, on s'est retrouvés à la même manifestation, avec des tas d'amis communs (parce que c'est ça une amitié, des amis communs, des groupes de potes) et il a préféré resté tout seul dans son coin que de devoir me saluer. Le plus parfait mépris venant de quelqu'un en qui j'avais eu toute confiance, quelqu'un qui m'avait raconté comment il montrait ce qu'il pense vraiment aux autres... Il a donc attendu que je m'absente pour ostensiblement venir saluer les autres, pour bien montrer à quel point je n'étais plus fréquentable. Ce que j'ai trouvé très blessant. Surtout avec les autres qui font mine de dire que ce n'est ni grave ni important, tout en ayant bien compris le sens de la manœuvre.
    Bref, le vide, l'incompréhension, la fin du dialogue, la culpabilité, forcément, et le fait de ne plus pouvoir en parler avec personne, parce que, c'est bon, c'est de l'histoire ancienne.

    Et puis, heureusement, il reste les vieux amis, ceux qui nous supportent, moi et mes coups de gueule, et qui m'accepte comme je suis, malgré tout, malgré le temps, la vie qui ne va pas toujours comme je veux et mes doutes, constants. Ceux qui font que j'arrête de penser que je ne suis pas digne d'amitié...

    Grosses bises... c'est bien ce dont on a le plus besoin en ce moment, tiens!

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    1. Je suis d'accord. Il semble que les embrassades (avec ou sans bises) font du bien à tout le monde, alors je suis preneur.

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  3. Cette personne est obtus, la résilience ça doit pas lui parler... Il est vrai que rester avec des phrases équivoques et non objectives sans discussion avec l'intéressé, c'est triste! Je comprends et compatis de tout coeur... Mais vous méritez mieux... A son égard, vous avez fait le maximum... Bonne continuation :) et bien à vous... Une fidèle lectrice

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  4. Des mots sur mes maux ! Cette 'synchronicité' m'ébaubit ! J'ai perdu une amie il y a quelques jours. Merci de ces mots.

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    1. Merci de ce commentaire : du coup moi aussi je sais que je ne suis pas seul.

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  5. Courage pour ce travail de deuil. Et merci pour ce travail de décryptage. A défaut de faire passer la douleur, il en propose une grille de lecture, que chacun(e) appliquera à ses propres expériences en toute confidentialité car le texte donne des éléments qui ne dévoilent rien de biographiquement identifiable. Enfin, chapeau pour l'écriture à la fois sensible et explicative, ce n'est pas évident de mettre des mots sur tant d'émotions surtout si celles-ci sont conflictuelles. (Une lectrice belge)

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    1. Non, c'est pas facile. J'ai mis du temps à l'écrire, ce texte, pour qu'il soit "non biographique" et cependant précis. Merci d'avoir vu le travail. :-)

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    2. Je n'aurais su mieux dire que la lectrice belge qui m'a précédée. C'est exactement ça.
      (et encore merci)

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  6. Pour moi quelqu'un qui dit "Comment as-tu pu me faire ça, A MOI ? " quand vous faites un choix de vie, n'est pas un vrai ami. Cela veut dire qu'il vous dénie le droit de choisir votre vie, juste parce que cela ne lui plait pas, c'est très égoïste de sa part.

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  7. "on reste amis quoi qu’il arrive parce que l’on sait déjà suffisamment sur l’autre pour l’accepter tel qu’il est"
    Est-il seulement possible d'en savoir un jour suffisamment sur l'autre pour ne pas se tromper ? Cela supposerait que rien ne change jamais, ni pour lui, ni pour soi.

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    1. Je pense que c'est possible. Mais certainement pas à tout coup...

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  8. Bonjour Marc-Martin, me retrouve bouleversée lisant vos mots. L'amitié est pour moi un continent merveilleux mais que beaucoup de bâtons dans les roues, que je me mets moi-même... m'ont souvent empêchée de rejoindre (des roues pour rejoindre un continent...bon pardonnez-moi!). L'amitié m'a sauvée de la noyade cette dernière année, et ce que vos mots racontent, voilà, on dirait...une de mes propres histoires. En fin de compte, on retrouve toujours cela : nous sommes finalement reliés, nous êtres humains, nos cœurs sont comme des gouttes d'eau. Je vous remercie de partager cela ici. Et j'avais envie de vous dire cela: La semaine passée il m'est arrivé quelque chose qui m'a paru inouï: lors d'un séminaire je me suis fait de nouvelles amies! A la soixantaine, ce n'est pas si courant... et j'ai vraiment vécu cela émerveillée!. Voilà, c'est tout simple, c'est ce que je vous souhaite, avec amitié, au-delà des touches.
    Maria

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    1. Ca me fait plaisir pour vous. Il n'est jamais trop tard pour se faire de nouveaux/velles ami.e.s. Quel bonheur.

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  9. J'ai oublié, : la suite de votre analyse est passionnante! Et la fin de votre texte me touche plus que tout.
    Et puis en lisant "El jerko...", j'ai pensé à Dr House, un extraordinaire ami, pas banal comme ami c'est sûr mais quel ami! Et justement si souvent traité de jerk!
    Et puis là ...bon, encore : c'est grâce à vous que depuis quelques temps, après avoir acheté le coffret..., je ris et je pleure avec Dr House! Je n'ai plus la Télévision depuis longtemps, et ne connaissais pas House, vous m'avez donné l'envie de le découvrir ! Et mes grands fils me regardent avec étonnement..." T'es sûre, Dr House?!!" Je vous embrasse comme une amie peut le faire, avec tout mon coeur.
    Maria

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    1. Ca me fait bien plaisir, et je vous souhaite bon voyage avec ce bon vieux Greg. C'est un véritable ami, cet homme. Et, comme vous le verrez, il l'est jusqu'à la fin.

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  10. En cherchant autre chose, j'ai trouvé ce que je cherchais, l'évocation de ce qu'est un ami. Et c'est Albert Einstein qui m'a offert cela.
    A mon tour de transmettre...

    Ein Freund ist ein Mensch, der die Melodie deines Herzen kennt und sie dir vorspielt, wenn du sie vergessen hast.

    Un ami c'est quelqu'un qui connaît la mélodie de ton cœur et qui la joue pour toi quand tu l'as oubliée.


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  11. Je trouve ce texte en rentrant de vacances et je me sens presque pas bien en le lisant. Sûrement parce que cela me rappelle de mauvais souvenirs, comme tout un chacun... Je commence par dire que je rentre de vacances parce que le retour est le moment des retrouvailles pour mon amie et moi. J'ai eu des amies mais celle-ci, c'est un peu une autre histoire. Quand nous sommes trop longtemps séparées, le manque se fait durement sentir. Sans elle, c'est comme si je devais parler une autre langue en permanence. La retrouver, c'est pouvoir reparler ma langue. Cette amitié là est peut-être avant tout intellectuelle ou plutôt spirituelle. Quand nous sommes loin l'une de l'autre, nous devons garder tout ce qui nous vient à l'esprit sans possibilité de le sortir. Ensemble, c'est facile parce qu'on décortique tout, on défait ce monde, on échange à propos des livres, des films. On déballe le fond de soi avec l'assurance que l'autre comprendra, entendra, rebondira. Des discussions sans fin, des fou-rires, des bêtises de gamines, un lit toujours prêt pour les soirs de tumulte... Dix ans que ça dure. Nous avons eu notre première vraie dispute cet hiver. Trois semaines sans se voir, des mots par mails très durs. J'ai cru la perdre. Elle non. Elle n'a pas peur de me perdre, seulement que je meure. Martin, ce n'était tout simplement pas un ami. Vous avez raison, si vous aviez agi contre lui, il aurait sans doute eu raison. Un ami, on l'aime même lorsqu'il déconne. Alors, on lui fait savoir, avec bienveillance. Ce "dégoût" me laisse penser qu'il veut davantage vous faire mal que se protéger de votre "crime". Les leurres d'amitié sont légion. Derrière le mot "ami" se cachent souvent "faire-valoir", "exutoire", "manque de reconnaissance", "besoin d'un point d'ancrage" et aussi malheureusement "perversité". C'est une page de dix tonnes à tourner. Mais elle se tourne. Grâce aux amis.

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  12. j'avais un ami et puis je l'ai perdu. des années plus tard nous nous sommes retrouvés, par hasard, nous ne savions même plus pourquoi nous nous étions "séparés", j'avais souvenir pourtant du chagrin de notre séparation; alors nous avons repris notre amitié. rien n'est définitif mais il y a des chagrins d'amitiés comme il y a des chagrins d'amour.

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  13. Je n'ai rien d'autre à ajouter à ce long texte explicatif, qui me remet en exergue cette amitié soudaine, à propos de laquelle j'étais un peu incrédule, car si subite et pas forcément pour des raisons habituelles pour moi (comme si j'avais été prise en amitié par elle), et qui a été piétinée de la même façon que la vôtre.
    Je veux dire que j'ai d'abord perçu un éloignement, puis j'ai posé des questions et elle m'a répondu que je l'avais déçu, m'a expliqué des tas d'événements que je n'avais pas perçus comme problématiques et qui l'avaient heurtée, des moments pour lesquels je ne pouvais pas être responsable puisqu'étant absente, des paroles de mes enfants qui l'avaient choquée (hors de ma présence donc invérifiables). Et voilà que maintenant lorsque nous sommes en présence elle me hait ostensiblement, me tourne le dos et fait comme si je n'existais pas. Alors que je n'ai absolument rien contre elle. C'est une situation à la fois de rejet et de dégoût que je ne comprends pas. Alors que moi je n'ai rien changé à mon attitude, restant droite dans mes bottes. C'est bien ça : je n'ai pas cessé d'être moi, elle a décidé que ce que j'étais n'était plus aimable. Qu'est-ce qui a bien pu changer en elle qui l'a poussée à me rejeter ?
    J'aurais tendance à dire qu'à un moment, ce que je suis (trop ceci, too much, entière dans mes expériences de vie) l'a tellement heurtée qu'elle ne pouvait plus comprendre, que cela lui a fait peur, lui a semblé si extrême et hors de son cadre personnellement acceptable, qu'elle a préféré fermer les yeux, se couper de tout, et m'éliminer de sa vie en disant que j'avais la peste (ou la rage).
    Et cela m'était déjà arrivé, en effet, à d'autres reprises, de susciter ce genre de réaction allergique, plus ou moins immédiate. Je crois que l'étrangeté que l'on peut dégager peut faire peur. Comme cette étrangeté que peuvent dégager les personnes en deuil, celles dont tout le monde s'éloigne, au cas où ce serait contagieux (et ça l'est !).
    Non, vous n'êtes pas seul.
    Un big hug, parce que l'amitié c'est effectivement se comprendre, se respecter dans nos différences, et ne pas se juger.

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  14. Comment ça va, maintenant, Marc ? Je veux dire, après tout ce temps passé. J'ai envie de sourire, vous ne pouvez pas être pire que l'opinion que l'on se fait de moi... portez vous bien ��

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  15. Vous vous donnez beaucoup.

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  16. Merci pour ce texte détaillant tout le processus de deuil et les sentiments successifs de l'acceptation de l'inacceptable. Cela va aider de nombreuses personnes à comprendre leur propre cheminement.
    Je croyais qu'un ami était une personne qui vous aime tel que vous êtes sans jamais porter de jugement sur ce que vous êtes, mais seulement donner son opinion, sans censure, pour pouvoir avancer ensemble vers une solution commune. On peut tout dire à un ami et réciproquement. Mais ce genre d'ami, est plus proche du frère voire du jumeau, qui vous répond de manière totalement désintéressé, et vous aime sans vous juger, ce genre d'ami existe-t-il finalement ?
    Merci pour vos textes en général et celui-ci en particulier !

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  17. Merci beaucoup pour ce texte, qui porte une lumière nouvelle sur une amitié également rompue il y a quelques mois, par un cruel silence radio. Et malgré toute la philosophie du monde, l'optimisme et la volonté de ne pas se laisser aller à la morosité voire au désespoir (à certains moments), difficile de ne pas souffrir de l'injustice de cette décision ... inexplicable car inexpliquée.
    Bonne continuation à vous et encore merci !

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  18. Très beau récit qui me rappele cruellement comment le conjoint d'une amie, qui comptait énormément pour moi et pour qui je comptais aussi beaucoup, a mis fin, par jalousie, à notre amitié.

    Autant pour elle que pour moi ce fut un drame, un véritable travail de deuil, long (presque qu'une année) avant d'arriver de passer à autre chose.

    Désormais il y a encore beaucoup d'amertume quand je repense à ces très nombreuses années d'amitié. C'est ça le plus difficile, une fois la colere passée : ne pas laisser cette amertume prendre le dessus et tenter de se projeter, sans aller trop loin dans l'avenir, afin de combler le vide en nous.

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