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lundi 17 février 2014

Le métier d'écrivant (16) - France Inter, 2002-2003

Que s’est-il passé lorsque vous avez assuré une chronique à France Inter ?




A chaque rencontre, depuis dix ans, il y a toujours quelqu’un pour évoquer cette expérience, et ça me ravit, parce que malgré tout, je n’ai été à l’antenne que pendant neuf mois, de septembre 2002 à juin 2003… 

Toute l'histoire est un peu longue à raconter, et si vous voulez les détails, tout est décrit par le menu sur mon site internet ; j’y ai également posté un bon nombre des chroniques. Quand je les relis, je me dis qu'une bonne partie ont bien tenu le coup, et aussi que j'ai abordé beaucoup de sujets très différents, ce qui me fait vraiment plaisir. 

Ca a été une une grande expérience, difficile à certains égards, mais qui a eu des retombées extrêmement positives pour moi. D’abord, il n’est pas donné à tout le monde de disposer de trois ou quatre minutes chaque matin, à une heure de grande écoute, pour faire une chronique scientifique sur la principale chaîne de radio publique. Ça m’a obligé à beaucoup lire, à beaucoup apprendre, à beaucoup écrire. 

J’ai pris un immense plaisir à le faire, même si ça m’obligeait à me coucher à deux heures du matin et à me relever à six. Je l’aurais volontiers fait une année de plus, mais probablement pas au-delà : j'aurais eu peur de me répéter. 

L'un des aspects les plus positifs, c'est que ça a été la première occasion de mettre en œuvre mon désir de partage du savoir, de manière directe et à très grande échelle. J'ai invité les auditeurs à m’envoyer des questions, et en retour ils m'ont envoyé aussi des informations, ce qui fait que bon nombre des chroniques s’appuyaient sur des documents qu'on m'avait confiés – en particulier ce que j’ai raconté sur l’archéologie ou le langage parlé-complété pour les enfants sourds. 

Comme je m'efforçais d'avoir une attitude scientifique, lorsqu'un auditeur m’écrivait par courriel pour me dire que je m’étais trompé, ou que l’information que je donnais était inexacte ou incomplète, je faisais un rectificatif, parce que je voulais montrer qu’un chroniqueur est un être humain, pas un surhomme, et que le savoir peut toujours être remis en question et débattu. Ce n'était pas du tout du goût du directeur de la rédaction de l'époque, qui m'a appelé dès les premières semaines pour me dire de ne pas le faire.
Moi : "Je suis un chroniqueur scientifique. Si je dis quelque chose de faux, je me dois de rectifier ! " 

Lui : "Ca ne se fait pas !" 
Moi : "Mais pourquoi ça se fait pas ?" 
Lui : "Parce que ça ne se fait pas. Ca fait 30 ans que je fais de la radio, et je te dis que ça ne se fait pas." 
Fermez le ban. 

Dialogue impossible, on le voit, et qui n'allait pas du tout avec l'idée que moi et beaucoup d'autres nous nous faisons de l'information en général, de la transmission de l'information scientifique en particulier. Ensuite, quand j'ai continué à faire des rectificatifs, il n'a pas insisté. Il voyait bien que je n'étais pas sensible à son non-argument.  

J'avais donné mon adresse internet à l'antenne ; autre "interdit" que m'a reproché la responsable du site internet de France Inter, en me disant, une fois de plus, que ça ne se faisait pas.
Moi : "Pourquoi ?"
Elle : "Parce que les auditeurs vont comprendre que toutes les adresses sont faites sur le même modèle, et ils vont écrire aux journalistes !" 

Moi (stupéfait) : "Et il ne faut pas ? "
Elle : "Eh bien non !" 
Moi (stupide) : "Les adresses courriel ne sont pas faites pour qu'on écrive aux journalistes ?" 
Elle : "Si, mais pour qu'ils s'écrivent entre eux ! Pas pour que les auditeurs leur écrivent !!!" 

(Je vous jure que c'est vrai, sur la tête de mes enfants...) 





Les auditeurs et les éditeurs avaient noté l'adresse (et puis, ils m'écrivaient via le site de la chaîne, et j'y affichais mon adresse...). J'ai reçu beaucoup de messages de félicitations (beaucoup plus que de messages négatifs) et beaucoup de documents : des livres en particulier, car il est vite apparu que ce que je racontais éveillait l'attention des auditeurs. C'est ainsi que j'ai reçu un certain nombre de bouquins sur l'industrie pharmaceutique, dont celui de Philippe Pignarre, Le Grand Secret. D'un seul coup, je me suis retrouvé en situation de "prescripteur" de livres... 

Autre élément extrêmement positif : en dehors de la toute dernière semaine de ma collaboration pour laquelle on m’a interdit d’antenne, j’ai disposé d’une liberté absolue, et j’ai dit ce que je voulais. C'était une situation bizarre, presque incompréhensible : plusieurs membres de la rédaction m'avaient appelé - ou fait des remarques - pour me reprocher telle ou telle intervention, telle ou telle attitude, mais la chronique s’est poursuivie pendant toute l’année, probablement parce qu’elle avait son public et que mon « impertinence » était trop impalpable pour justifier mon éjection prématurée. Et je crois aussi que l'écoute était bonne. Et puis, je ne m’attaquais à personne en particulier, et quand j’avais des « têtes de turc », c’étaient la directrice de la fiction de France 2 ou l’industrie pharmaceutique dans son ensemble, et non un homme politique en vue. Difficile, dans ces conditions, de me demander de partir. Enfin, j'imagine. Car je ne vois pas une station comme France Inter conserver un chroniqueur contractuel, renouvelé tous les trois mois, si la chaîne n'y trouvait pas son compte. 

On a beaucoup dit – et j’ai moi-même pensé – que c’étaient mes attaques contre l’industrie (en particulier cette chronique-ci et cette chronique-là)  qui m’avaient valu de voir ma collaboration à Inter interrompue brutalement cinq jours avant la fin prévue, mais je pense que la raison réelle était autre : j'irritais beaucoup ceux qui m'avaient invité à parler. Il faut aussi savoir que je n'étais pas leur premier choix. J'ai croisé plusieurs personnes à qui on avait proposé la chronique (qui remplaçait, tâche difficile, celle d'un humoriste de fort gabarit, très populaire en son temps) et qui l'avaient refusé. On avait fini par me la proposer in extremis, quinze jours avant la rentrée, faute de mieux sans doute. C'est probablement ce qui a incité par la suite Jean-Luc Hees à parler d' "erreur de casting". :-) 

J’irritais profondément la rédaction parce que j’exprimais mon opinion sans respecter les règles non dites des institutions françaises "élitaires". Et en particulier celle-ci : je m’adressais aux auditeurs en égal, et non en aristocrate de la radio. Et je parlais en citoyen : je m’indignais que les médecins transfusent les témoins de Jéhovah sans leur demander leur avis, alors que la loi dit qu’on doit respecter la volonté du patient, quelle qu’elle soit. Je donnais des informations sur la contraception à l’usage de tous. Je suggérais malicieusement aux journalistes de la chaîne d’aller jeter un coup d’œil au curriculum vitae du directeur de cabinet du ministre de la santé – en sachant parfaitement que c’était un ancien vice-président de laboratoire… Bref, je ne parlais pas pour montrer que j’étais plus intelligent que les auditeurs, je leur faisais la chronique de service public que moi, auditeur, j'aurais voulu entendre. J'ai grandi en voyant mon père lire Le Canard Enchaîné (et en le lisant par-dessus son épaule). Je voulais faire une chronique digne du Canard et de lui.  

Et c’est cela, je crois, qui a irrité l’équipe de France Inter. Ils se sont mis, je pense, à croire que je les attaquais directement, que je leur reprochais implicitement de ne pas faire leur boulot. Et ils se sont trompés parce que, pendant que je faisais ma chronique, j'avais plus du tout le temps d'écouter les autres émissions !!! En tout cas, ma chronique n'a pas plu à ceux-là même qui s'étaient réjoui de m'accueillir parmi eux, en particulier le service littéraire. Je faisais ma chronique de chez moi, mais une ou deux fois par mois, j'allais à Paris et je la faisais depuis la Maison de la Radio. Quand j'entrais dans le studio, un froid polaire s'installait dans la salle et le présentateur du 7-9 me disait à peine bonjour et au revoir. Quand j'ai voulu savoir ce qui se passait, on me répondait : "Mais vous le savez bien." sans plus d'explication. Ce que je faisais ne plaisait pas, "parce que ça ne se fait pas". Quand on est enrôlé par une institution, il faut respecter les règles de l'institution, même et surtout si elles sont non-dites. 

Ce fut aussi ma première expérience étendue de communication tous azimuts sur l'internet. Cette année-là, je publiais Plumes d'Ange, mon deuxième livre en ligne sur le site de P.O.L, mais ma chronique à Inter me valait un courrier électronique considérable. J'avais donc demandé, très tôt, à afficher le texte des chroniques en ligne, pour que les auditeurs puissent les (re)lire ou les copier (le fichier sonore n'était en ligne qu'une journée, à l'époque) ; à la fin de l'année, il y en avait 200 - comme une petite banque de données sur tout plein de sujets différents. Une banque de données qui a disparu du site du jour au lendemain... mais que des internautes prévoyants avaient soigneusement colligée au format PDF. 

Il peut être périlleux, en France, de trop chatouiller un média national : lorsque la rédaction d'Inter a décidé de m'interdire d'antenne (la toute dernière semaine), la page internet de ma chronique a disparu et la chaîne a déclaré qu’elle ne mettrait pas son estampille sur l’édition papier de mes textes. Un livre qui en rassemblait la moité est sorti au Cherche-midi, mais l'éditeur s'arrachait les cheveux parce que chaque fois qu'il appelait un journaliste, celui-ci lui répondait : "Je ne vais pas en parler, je ne veux pas me mettre mal avec France Inter." Tout naturellement, le bouquin a fait un flop. 

Alors que j’avais été la « mascotte » de la chaîne entre 1998 et 2002, invité à tout bout de champ pour y parler de mes livres, sollicité pour promouvoir le Livre Inter, interrogé sur les problèmes de santé, etc., je suis devenu persona non grata à France Inter. Et je le suis encore : depuis douze ans, aucun de mes livres n’a été chroniqué par un journaliste de la chaîne et je n’ai été invité qu’une fois (par Ivan Levaï, pour une émission sur la télé...). Ca m'a donc un peu fait rigoler quand, il y a quelques semaines, des amis m'ont dit avoir entendu parler de moi "avec émotion" au cours des émissions d'auto-célébration des 50 ans de la station. 




Une autre anecdote intéressante : à deux reprises, entre 2003 et 2008, de jeunes producteurs d'Inter m'ont appelé pour me proposer de participer à leur émission d'été, consacrée aux téléséries. L'un et l'autre m'ont longuement parlé au téléphone, pour définir comment je pourrais contribuer et, après s'être réjouis de ma participation, ils m'ont rappelé quelques jours plus tard me tenant tous les deux le même discours : "On en a parlé autour de nous et nos chefs nous ont fortement "déconseillé" de vous inviter." Si ça ne s'était produit qu'une fois, je n'en aurais pas tiré de conclusion. Deux... ça veut peut être dire quelque chose. 

Eh bien, croyez-le ou non, cette exclusion a eu des conséquences formidablement positives pour moi. D’abord parce que ça m’a transformé - à mon corps défendant - en symbole de la liberté d’expression : j’avais osé m’attaquer à l’industrie pharmaceutique à une époque où personne n’osait le faire et les auditeurs ont perçu mon exclusion comme une confirmation, surtout lorsque la chaîne a diffusé, en lieu et place de ma dernière chronique, un communiqué des industriels disant qu’ils étaient blanc comme neige de tout ce dont je les accusais, les pauvres choux ! 


Ensuite, le fait d'être persona non grata m'a, de fait, libéré d’une crainte qui me travaillait depuis longtemps : est-ce que j’étais lu parce que les lecteurs avaient envie de me lire ou parce qu’on parlait régulièrement de moi à France Inter ? A partir de la fin 2002, je n’ai plus reçu ni soutien ni invitation de la chaîne (1) mais Les Trois Médecins, Le Chœur des femmes, En souvenir d’André et plusieurs autres livres ont touché beaucoup de lecteurs avec le soutien de la presse écrite, essentiellement, et en dépit d’un climat difficile pour l’édition et la librairie. De sorte qu’aujourd’hui, je sais que mes livres sont lus par des gens qui ont envie de les lire, et non parce que je suis un habitué des ondes, ou le "chouchou" d'une chaîne de radio nationale. C’est très réconfortant. 

Autre conséquence importante de cette expérience : juste après la fin de la chronique, (je raconterai comment dans un prochain épisode), j’ai commencé à tenir mon Webzine. Aujourd’hui, le site a onze ans, il abrite plus d’un millier d’articles sur les sujets les plus divers – à commencer par la santé et la télé – et ça a été une formidable expérience d’échange et de partage. Sans cette interface, je n’aurais pas pu approfondir ma réflexion sur la contraception et la maltraitance médicale et partager gratuitement des centaines de pages d’information avec les personnes qui en ont besoin. La brutalité de la rupture avec France Inter a certainement représenté une motivation profonde pour constituer ce site et l’alimenter. Donc, vous voyez, pour ce qui me concerne, l’expérience a été très positive.




Une autre conséquence très très très positive, que me rappelle mon ami Thierry Tinlot après avoir lu une version antérieure mais scandaleusement incomplète de ce texte, c'est que la chronique de France Inter m'a valu d'être contacté par le susdit (alors rédac-chef de Spirou, avant de devenir celui de Fluide Glacial). Comme il appréciait mes interventions, il me proposa de co-créer, avec l'excellent Johan De Moor, une chronique dans Spirou. Pendant plusieurs années, j'ai donc rédigé les textes du Docteur Je Sais Tout, une chronique illustrée dans laquelle je répondais aux questions des jeunes lecteurs (et à d'autres que j'inventais tout seul, faut bien le dire). 

C'était une expérience épatante, je me marrais chaque fois que je voyais les dessins hilarants que Johan avait composés en contrepoint impertinent de mes textes. Ca m'a valu deux ou trois séjours plus que sympas (et bien arrosés) à Bruxelles et Charleroi, une visite de la rédaction de Spirou guidée par "Le Boss" en personne, une photocopie couleur d'un album perdu de Michel et Thierry (de Piroton et Jadoul) intitulé La pluie était sèche, et l'insigne honneur de voir un numéro "Spécial Docteur Je Sais Tout" porter ma photo (arrangée) en couverture et ma gueule en BD dans tout plein de pages. 
Je ne suis pas le seul médecin-écrivant français de ce début de 21e siècle, mais je suis le seul à avoir fait la couv' de Spirou. Et ça, j'en suis pas peu fier !!! 




(ci-dessus, Thierry Tinlot, animateur pour la jeunesse ; ci-dessous, Johan De Moor, artiste-peintre)




Est-ce que vous aimeriez refaire de la radio ?

J’en ai refait, sous d’autres formes : des conversations à bâtons rompus avec les auditeurs sur le thème de la contraception , dans l'émission de Brigitte Lahaie sur RMC ; des chroniques plus écrites, plus littéraires, pendant trois ans sur arteradio.com. (Elles sont toujours en ligne sur le site, et j’en ai repris et développé certaines dans Histoires en l’air (2)) . Et puis il y a eu "Ethique en séries", sur Radio-Creum, la radio du centre où j’ai passé trois ans à l’Université de Montréal, et d’autres plus occasionnellement à Radio-Canada dans l'émission "La tête ailleurs" . Evidemment, je serais très heureux d’avoir une heure rien qu’à moi, comme l’écrivant Stanley (3) Péan, qui anime une épatante émission hebdomadaire sur le jazz à Radio-Canada… Mais bon, ce n’est pas comme écrire un livre : une grille de programmes ce n’est pas extensible comme un fonds d'éditeur, il n'y a pas de place pour tout le monde. La radio, c'est un métier. J’ai déjà la chance de publier à peu près ce que je veux, je n’ai pas besoin en plus d’aller squatter les ondes. Et puis, c’est du boulot, et j’en ai déjà pas mal. 

Après le succès de "La Maladie de Sachs", pourquoi n'avez-vous pas poursuivi dans la publication de romans médicaux ? 

(A suivre) 




(1) J'ai continué à être invité régulièrement à des émissions sur France Culture et des journalistes de France Info (Philippe Vallée, en particulier) ont régulièrement chroniqué mes livres. Ce qui semble bien indiquer qu'il s'agissait d'une décision délibérée de la première chaîne de radio française et non d'un désintérêt général de l'ensemble du service public pour mon travail...

(2) P.O.L, 2007
(3) J'avais d'abord écrit "Sydney", mais un amateur de Béchet ne m'en aurait pas voulu... 

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