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mercredi 16 octobre 2013
Fictions et essais pour professionnels de santé en formation
Des films, des séries, des romans et des essais qu'on devrait (à mon humble avis) donner à voir/à lire à tous les professionnels de santé - à commencer par les étudiants en médecine.
Toutes ces oeuvres de fiction et essais soulèvent des questions essentielles sur la nature du soin et de l'altruisme, les relations patients-médecins et patients soignants, la "nature humaine" et l'éthique biomédicale. Ils peuvent servir de matériau pédagogique au cours de la formation.
Ils peuvent aussi faire l'objet de débats sur le rôle et le statut des soignants dans les différentes professions : médecins, infirmier(e)s, kinésithérapeutes, orthophonistes, psychologues, etc.
(Listes non limitatives, par ordre alphabétique)
Films :
Akihige (Barberousse, Kurosawa Akira, 1965)
Amour (Michael Haneke, 2012)
Johnny Got His Gun (Dalton Trumbo, 1971)
Bande annonce
Film entier
M*A*S*H (Robert Altman, 1970)
Memento (Christopher Nolan, 2000)
People Will Talk (On murmure dans la ville - Joseph Mankiewicz, 1951)
Sept Morts sur Ordonnance (Jacques Rouffio, 1975)
The Hospital (Arthur Hiller, 1971)
The Miracle Worker (Miracle en Alabama, Arthur Penn, 1962)
Wit (Bel esprit, Mike Nichols, 2001)
Romans et nouvelles :
The Body in the Library (Anthologie - Iain Bamforth, 2003)
The Cider House Rules (L'oeuvre de Dieu, la part du Diable, John Irving, 1985)
The Doctor Stories (William Carlos Williams, 1984)
The House of God (Samuel Shem, 1978)
Le Journal d'une femme en blanc (André Soubiran, 1963)
Middlesex (Jeffrey Eugenides, 2002)
Le Passage (Jean Reverzy, 1954)
La Peste (Albert Camus, 1947)
Récits d'un jeune médecin (Mikhail Boulgakov, 1925-1926)
Séries :
Becker
Chicago Hope
ER (Urgences)
Grey's Anatomy
House, M.D. (Docteur House)
M*A*S*H
Masters of Sex
Scrubs
St Elsewhere
Essais/Textes autobiographiques :
Changer de sexe - identités transsexuelles (Alexandra Augst-Merelle & Stéphanie Nicot, Le Cavalier Bleu, 2006)
La Consultation (Norbert Bensaïd, Mercure de France, 1974)
Contre-Visite (Marie Didier, Gallimard 1988)
Hosto-Blues (Victoria Thérame, Des femmes, 1976 - Rééd. 2007)
La Maladie Humaine (Ferdinando Camon, Gallimard "Du monde entier" 1991)
Mars (Fritz Zorn, Gallimard "Du monde entier" 1977)
She's not there - A life in two genders (Jennifer Finney Boylan)
La Ventriloque (Claude Pujade-Renaud, Des femmes, 1978)
Une mort très douce (Simone de Beauvoir, Gallimard 1964)
vendredi 11 octobre 2013
Ecrivains/médecins - par Mar(c)tin Winckler
Quels sont les
écrivains-médecins que vous admirez le plus ?
Que l’auteur soit
médecin ou non m'importe peu, c’est le livre qui compte. Et même si mon intérêt
pour le soin et le partage me pousse vers certains types de livres, ils ne sont pas tous
"médicaux" ou inspirés par la médecine. Et ceux qui m’ont marqué n’ont pas tous été écrits par des médecins.
Je pourrais citer Le Passage de Jean
Reverzy, Contre-visite de Marie
Didier, Les hommes en blanc d’André
Soubiran, les Doctor Stories de
William Carlos Williams, les Contes de
Jacques Ferron, Une éducation anglaise de
Christian Lehmann ou Les Aventures de
Sherlock Holmes mais aussi La
ventriloque de Claude Pujade-Renaud, Hosto-Blues
de Victoria Thérame, Le spectateur de
Daniel Zimmermann, La Peste d’Albert
Camus, Middlesex de Jeffrey
Eugenides, L'enterrement de François Bon, Tom est mort de Marie
Darrieussecq, Philippe de Camille
Laurens, Mars de Fritz Zorn, La maladie humaine de Ferdinando Camon, La Maîtresse de Wittgenstein de David
Markson, Cigarettes de Harry Mathews,
The Cider House Rules de John Irving, The House of God de Samuel Shem, W ou le souvenir d’enfance de Georges
Perec… D’ailleurs, ma thèse de doctorat en médecine était dédiée à la mémoire
du Docteur Bernard Dinteville, personnage discret de La Vie mode d’emploi ! Ce que j’admire, c’est le travail,
l’intelligence, la sensibilité, l’engagement que je perçois dans les livres qui
me touchent.
Vous ne citez pas
Céline…
Non. Je me refuse à
le lire. Je ne reprocherai à personne de le lire, et je m’opposerais à ce qu’on
brûle ou censure ses textes, car il faut qu’ils puissent être étudiés – comme Mein Kampf, d’ailleurs – mais je déteste
la haine, je lis par plaisir et pour m’éclairer sur le monde, et les « qualités »
supposées de son écriture ne sont pas suffisantes, en elles-mêmes, pour que je m’immerge
dedans. A mes yeux, les « accomplissements » artistiques d’un homme ne
justifient jamais d’absoudre son comportement en tant qu’être humain, car ils
ne lui sont pas extérieurs. Ce que raconte un écrivain et la manière dont il le
raconte ne peuvent être séparés de ce qu’il est, de ce qu’il pense, de ce qu’il
fait. Dire : « Céline était une crapule, mais c’est tout de même un grand écrivain », cela laisse
entendre que l’homme et ce qu’il produit peuvent être considérés selon des
critères moraux distincts, a fortiori si le type en question est mort. Or, les
valeurs morales d’un écrivain guident ce qu’il raconte et sa manière de le
raconter, et survivent, dans ses textes, à son existence physique ; mais
de plus, à mon sens, une pareille dichotomie n’est pas défendable, car elle
sous-entend que la production artistique finit par s’affranchir des valeurs
morales qui l’ont produite. Or, notre appréciation de l’art clame le
contraire : il ne viendrait à l’idée de personne de déclarer que El Tres de Mayo de Goya ou Guernica de Picasso n’ont rien à voir
avec leur sentiment de colère et d’injustice devant les atrocités que leurs
tableaux décrivent. Il ne viendrait à l’idée de personne de déclarer que Le triomphe de la volonté de Leni
Riefenstahl ou Octobre de Eisenstein
ne sont pas des films de propagande. Ce que j’entends dans le « Céline
était une crapule, mais c’est tout de même un grand écrivain », est
à mon sentiment une déclaration complaisante qui suggère que le « style
célinien », comme disent les exégètes, serait aujourd’hui – grâce à des
vertus qu’il faudrait d’ailleurs définir – innocent des intentions de l’auteur.
Ou encore qu’il y aurait deux Céline, l’auteur des « chefs-d’œuvre »
et l’auteur des pamphlets antisémites, lesquels n’auraient rien à voir l’un
avec l’autre. On ne peut pas défendre d’une part que Céline est un humaniste
dans Le Voyage et, d’autre part,
qu’il s’abstient de l’être dans Bagatelles…
S’il était montré qu’après avoir écrit Mort
à crédit, Céline a pris des drogues hallucinogènes et qu’il a écrit Bagatelles pour un massacre et les autres
pamphlets en état de délire paranoïaque permanent, on pourrait débattre. Mais
ça ne résoudrait pas la question de savoir pourquoi, après son amnistie, il ne
regrette pas publiquement avoir incité au massacre. Il dit avoir péché par
vanité, mais il ne regrette rien. Cela aussi dénote une posture morale
particulière. Rien, ni dans l’attitude de Céline, ni dans celle de ceux qui
l’admirent, n’est parvenu à me convaincre que je peux me laisser pénétrer par
la grandeur de sa prose sans risque de valider l’hypothèse de « l’art
innocent des intentions ». Cela équivaudrait à admettre que les valeurs qu'il défend, dans ses « chefs-d’œuvre » comme dans ses pamphlets, n’ont
plus d’importance aujourd’hui. Et je ne veux pas dire « J’ai lu Céline », inviter
à ce qu’on me demande : « Qu’en pensez-vous ? » et
me retrouver entraîné dans une discussion sur ses qualités d’écrivain. C’est une
discussion que je choisis de ne pas avoir. Philip Roth revendique le droit de
« suspendre sa conscience juive » à l’égard de Céline. Je respecte
son désir, mais en échange je revendique celui de ne pas suspendre ma conscience d’individu en ce qui le concerne. Et
de faire ce choix sans qu’on m’accuse d’obscurantisme littéraire. Car encore une fois, chacun est libre de le lire et d'en penser ce qu'il veut. Pourquoi ne serais-je pas libre de ne pas le lire ? Pourquoi mon refus ne serait-il pas tout aussi respectable et légitime, intellectuellement parlant ?