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mercredi 13 avril 2011

Impressions de voyage (Ex n°17, rattrapage) par Wejna



Nicolas,

J’ai bien reçu tes photos de Tasmanie. Tu as fait un crochet, me dis-tu, en allant en Nouvelle-Zélande, par cette île du bout du monde qui me fait encore rêver. Merci pour cette pensée.
Il fait nuit noire et je pense à toi qui te réveille à peine. J’ai eu envie à mon tour de t’envoyer une carte postale, mon décor.
Il y a une grande véranda s’ouvre sur un jardin. Derrière, quelques immeubles. Assise là sur un banc de fortune, je me vois contempler le monde. Au fond du jardin, un houx a été planté comme le veut la tradition, pour éloigner les mauvais esprits. La rambarde en fer forgé me fait penser à Cyrano et des belles à conquérir. Dans le jardin, la végétation est si dense qu’elle en devient noire, indéchiffrable la nuit venue. Au coucher du soleil, les palmiers se couvrent d’une lumière ocre, chatoyante, le sol qui a gardé la chaleur de la journée est encore tiède sous les pieds. C’est une région tropicale et un guépard va sauter de derrière une branche. C’est l’Amazonie, c’est Cuba. Le soleil devient rose. La pastille rouge disparaît derrière les bâtiments blancs, cubiques. Seuls les toits restent encore éclairés, rougeoyants. J’y vois des casbahs, la tour du muezzin. J’entends d’ici son chant. Des chauves-souris tournoient et le ciel a revêtu sa cape noire.

Je me déplace peu. Je n’ai plus le goût des longs courriers. J’aime toujours prendre un train ou rouler pour rouler. La mondialisation a apporté l’exotisme en bas de chez soi. Il n’est plus nécessaire d’aller loin pour observer le monde. Je vais au café les dimanches, dans les vieux quartiers où les épiceries et les petits restaurants sont tenus par des Indous, une Syrienne, un Libanais, un Argentin. A n’importe quelle heure de la journée et de la semaine, c’est ouvert, ça sent l’huile et les épices. Je m’assoie à la terrasse du Bistrot 64, avec un cahier et un crayon. Dans cette petite ruelle, tard dans la soirée, les communautés d’Indiens s’y retrouvent. Des familles maliennes ou sénégalaises s’y promènent. Les femmes parfois vêtues de boubous avancent avec des poussettes, ou en sari tiennent un fils par la main. Elles ont les bras couverts de bracelets dorés. Autour d’elles les murs de pierres sont gris, les vitrines sont fades et le ciel est presque toujours menaçant. Elles semblent égarées. Je les regarde, je les griffonne, je les peins. J’ai un cahier rempli de silhouettes. On dirait un carnet de voyage mais il n’est fait que de gens croisés au coin de la rue. Au milieu de ces cartes postales vivantes, il y a quelques pépés sur des vélos Peugeot, des garçons de café aux bras tatoués et des petites pépettes aux doigts vernis. J’aime les regarder, tous. J’aime les imaginer, je leur invente des histoires, j’essaie de deviner. Le nature humaine est un territoire infini. Il y a beaucoup à apprendre de son voisin, de l’inconnu d’en face qui éteint toujours sa lumière à la même heure ou de la boulangère toujours un peu trop fardée. Mon étonnement est déconnecté des kilomètres. A bien y regarder, le boulevard à deux blocs est un vaste monde. Je peux être émue en sortant de chez moi, juste en regardant.

Pour l’heure, je suis dans la véranda et je fume. C’est ici que je voyage aussi. Les embarquements nocturnes m’emmènent souvent loin. J’attends que le jour se lève.

Agnès  

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