Rubriques

dimanche 25 juillet 2010

Feuilleton d'été (7) - par Mar(c)tin Winckler

Comptabilité

- Combien d’exemplaires vendus, déjà ? demande le présentateur
- Eh bien, je n’ai pas compté à la main, mais beaucoup... Évidemment je n’ai pas battu Paolo Coehlo ou Mary Higgins Clark ou Philippe Delerm, mais...

Qu'est-ce qu'il écrivait, le critique professionnel, trois mois après le début du succès du livre, en constatant (bien obligé) que les piles dans les librairies n'en finissaient pas de se reformer ?

 « Le succès de La Maladie de Sachs s'affirme de jour en jour. À l'évidence, il n'est pas dû à la presse, mais [faut bien le reconnaître] au bouche-à-oreille. Prix du livre Inter en mai, (...) aujourd'hui à 135 000 exemplaires vendus. Gros livre [comment se fait-il que tant de gens achètent un livre aussi gros alors que personne ne lit plus ?] pas dès l'abord comme de lecture facile (...) éditeur connu pour son exigence (...) premier gros succès de vente seulement en 1996 avec Truismes de Marie Darrieussecq (...) roman expérimental [d’ailleurs il publie que ça, le POL, d’où la perplexité du critique : au dessus de 40 000 exemplaires c’est sûrement un malentendu] record inattendu soulève des interrogations. Le monde de l'édition sait qu'il est aussi difficile d'expliquer un succès, après coup, que de le prévoir. [mais ça ne doit pas empêcher un critique littéraire d’essayer... ] « (...) (présélectionné par des critiques professionnels [c'est quand même pas n'importe qui]  (...) mais [notez bien le "mais"] couronné par un jury de 24 lecteurs (...) prix bénéficie d'un crédit de confiance (...) amateurs de littérature avaient certes déjà repéré le livre, sans publicité [étonnant, non ?] avec seulement trois articles parus dans la presse nationale (Libération, Le Nouvel Observateur, Le Monde) [Bon, dans Le Monde, fallait le trouver l’ "article", dix lignes en haut d'une colonne, et il donnait pas spécialement envie de le lire, le bouquin, alors le repérage était tout relatif mais bon c’est Le Monde, quand même alors c'était un honneur, n'est-ce pas ?] atteint 7 000 exemplaires avant (...) ce prix populaire [tandis que les grands prix de l’automne ne le sont plus trop...].

 « Mais le bond dans les ventes ainsi provoqué est exceptionnel. (1) Quant à son éditeur, il croyait, certes, au roman de Winckler, dont il avait publié, il y a neuf ans, le premier livre, La Vacation, qui traitait déjà, sous une forme littéraire expérimentale [comment "la masse" peut-elle donc lire un roman "expérimental" ? D’ailleurs, le premier, elle ne l’avait pas acheté] un thème médical, l'IVG, mais il ne s'attendait pas à une telle déferlante [les bons critiques littéraires non plus, d’ailleurs...]

 « L'hypothèse qu'on peut risquer [parce qu’on voit vraiment pas d’autre explication que celle-là et faut quand même qu’on en trouve une sinon c’est à n’y rien comprendre] est que la personne la plus importante dans la vie de la majorité des Français n'est pas leur compagne ou leur compagnon de vie, mais leur médecin généraliste.[Oui, je sais, ça surprend un peut quand on le lit, mais si c’est un critique littéraire chevronné qui l’écrit et si vous y réfléchissez bien, peut-il, franchement, y avoir une autre explication ? Ca peut pas être la qualité du texte, ce serait trop simple...] Pouvoir pénétrer, tel Asmodée, [Surintendant des Enfers, Asmodée sème dissipation et erreur. Selon certaines versions, il serait le serpent qui séduisit Ève. Il apprend aux hommes à se rendre invisible. Mais vous saviez déjà tout ça, hein, puisque vous lisez Le Monde, non ? ] dans le cabinet de consultation du médecin, voir et entendre ce qui s'y passe avec les autres patients [et comment il joue au docteur en leur mettant les mains partout], connaître la vie du médecin au travail, en savoir plus sur sa vie privée [et ses problèmes fiscaux] que les racontars de quartier ou de petite ville ou de village [où l’on passe son temps à bavasser, les Français sont tellement racontards] c'est ce désir-là, ou cette forte curiosité [pour ne pas dire pire] que [ce gros pavé, avec ses gros sabots] vient combler

(...) "je" du médecin transformé en "tu" du patient qui s'adresse au médecin et décrit son activité (...) cette deuxième personne à la place de la première [c’est ce truc-là qui lui donne son petit air « expérimental », mais bon, c’est pas nouveau, hein ?] avait fait le succès de La Modification de Michel Butor, sur un thème assez banal d'adultère [et si ça marche pour les histoires de cul, pas étonnant que ça marche pour les histoires d’hémorroïdes] Martin Winckler, médecin lui-même mais écrivain de vocation [la médecine il fait ça à ses heures perdues pour recueillir les histoires croustillantes qu’il livrera en pâture au lecteur] , (...) lointain modèle Le Passage de Jean Reverzy (...) Roger Martin du Gard, La Consultation (...) médecin humaniste, Antoine Thibault, entièrement dévoué à son métier, qui est, comme celui de Bruno Sachs, de soigner et non d'exercer un pouvoir grâce à un savoir [sujet fondamental mais pas assez bien traité dans le livre pour en expliquer le succès, d’ailleurs les lecteurs n’ont certainement pas fait le rapprochement] « Sans évoquer l'immense succès des Hommes en blanc d'André Soubiran dans les années 50 [c’était pas de la littérature], ou celui du film Un grand patron avec Pierre Fresnay [c’était que du mauvais cinéma académique pré-nouvelle vague], ni le succès international de la série des romans de Frank G. Slaughter [c’étaient que des romans de gare U.S. ! ], qui relèvent d'une autre mythologie [de seconde zone] de la médecine, c'est aux séries télévisées américaines [qui ne sont même pas du niveau des torchons sus-cités] qu'il faut se référer (...) telles que Urgences et NYPD Blue. Martin Winckler en est un amateur averti [et là, tout s’explique : un succès "commercial" pareil ressemble furieusement à l’engouement pour les séries ce qui du coup invite à s'interroger sur les qualités proprement littéraires de ce...]

 « (...) livre autobiographique [l’excellent critique littéraire est certain, il peut dire d’emblée, sans se tromper, à coup sûr, du premier coup, ce qui est « autobiographique » dans un roman et ce qui ne l’est pas] (...) autofiction sociale [histoire de laisser entendre qu’il ne faudrait pas tout de même le ranger au rayon des laissés-pour-compte, l’expédier, le disqualifier trop vite, ce roman-expérimental-publié-par-l’éditeur-le-plus-exigeant-de-Paris-et-qui-a-rencontré-un-succès-inexpliqué-jusqu’à-la-publication-de-cet-article], la seule crédible aujourd'hui, semble-t-il, [pasqu’il n’est plus question que les lecteurs fassent le même succès à un Céline, ça c’était un médecin et un écrivain, des vrais !] Martin Winckler a sans doute réussi [on ne sait comment, mais sûrement pas par la qualité de l’écriture dont le lecteur attentif aura certainement remarqué que le mot n’est jamais prononcé dans notre article] à faire ressentir aux patients que nous sommes tous le besoin et peut-être la nostalgie du [bon vieux] généraliste [du bon pain, du bon fromage] à l'ancienne, qui vous écoute avec empathie, [quel brave type...] soulage vos souffrances [quelle sensibilité... ] et peut-être simplement [...improbable...] reconnaît votre douleur.

C'est ce qui a touché [parce qu’on ne comprendrait pas, sinon, qu’un éditeur si exigeant...] Paul Otchakovsky-Laurens, et c'est sans doute ce qui touche les lecteurs aussi [parce qu’on ne voit pas, autrement, pourquoi tant de gens ont - acheté, car il est impossible de savoir s’ils l’ont - lu un livre aussi pas-facile-d’abord]. Peu importe alors que ce livre soit littérairement une réussite ou non [le grand critique littéraire du Monde préfèrerait ne pas se prononcer] on peut en disputer [si on veut, si on a vraiment du temps à perdre], du moment qu'il touche cette plaie, cette misère, [un peu comme Saint Louis touchait les écrouelles, vous voyez ?] que Pierre Bourdieu [histoire de rappeler que le grand critique littéraire ne maîtrise pas seulement les références littéraires et cinématographiques] et son équipe de sociologues avaient mise au jour d'une autre façon [autrement plus sérieuse parce qu'attention, comparons pas, La misère du monde, ça c'était un livre, y’a pas photo, la comparaison est faite seulement pour suggérer au lecteur cultivé qu’il a mieux à lire que ce roman, que tant de gens - beaucoup plus de "gens" que de "vrais" lecteurs - achètent]. »

C'était signé Michel Contat, Le Monde, 17 juillet 1998.


 - Un beau succès public, non ? insiste ton interlocuteur.
 - Euh... oui, acquiesces-tu en souriant bêtement. On peut dire ça...
 - Et un succès critique, aussi, sûrement !
 - Ah, là, je saurais pas vous dire, réponds-tu sur un ton rêveur. Je ne lis jamais les critiques de mes livres.

(A suivre)

-------------------------------------
(1) Le bilan de la première édition fut le suivant : 330 000 exemplaires vendus en édition P.O.L, plus de 100 000 en éditions club, beaucoup de traductions (Anglais, Espagnol, Italien, Néerlandais, Allemand, Hongrois, Coréen, Japonais...). Pendant les dix années qui ont suivi, les deux éditions de poche (J'ai Lu puis Folio) se sont également très bien portées. Pour un bouquin "pas dès l'abord comme de lecture facile", c'est honorable. Enfin, je trouve. Mais bien sûr, je suis partial... (MW)

8 commentaires:

  1. Narcisse n´est-il pas tombé dans l´eau à trop vouloir contempler son propre reflet?

    RépondreSupprimer
  2. Don Bruno de la Vega26 juillet 2010 à 09:05

    C'est vrai que tu es très certainement un opportuniste de première !!!
    Et que dans le pays que tu quittas (je fais l'écrivain...), on ne peut être (bons )médecin et écrivain et musicien et père de famille et amateur de série et de films/livres sérieux...et gentil !

    RépondreSupprimer
  3. @ Don Bruno : ouais, surtout gentil. "Trop bon, trop con", dit quelqu'un que je respecte...
    @ Anonyme : Merci pour cette contribution brève mais... réfléchissante. Je vous rassure tout de suite, je sais nager. Et sous l'eau, encore mieux. Plus sérieusement : je n'ai pas le sentiment que le commentaire d'un article "critique" datant de douze ans relève du narcissisme... D'autant que l'article en question ne parle aucunement du contenu du livre, mais de ce qu'il affirme avoir compris des raisons de son succès. Et des sous-entendus méprisants qu'il adresse donc aux lecteurs, plus qu'à l'écrivain. Désolé d'avoir à préciser. Je n'ai pas dû être assez clair. Si, de votre côté, vous voulez élaborer plus avant, cette page vous est ouverte.

    RépondreSupprimer
  4. Au sujet du "Monde des livres", la lecture de "La littérature sans estomac" (tout le chapitre consacré à Philippe Sollers) et de "Petit déjeuner chez tyrannie/Le crétinisme alpin") est assez édifiante.

    RépondreSupprimer
  5. Je connaissais Michel Contat comme critique de jazz dans Télérama. Je ne lis pas le Monde des Livres, faute de temps... Il est sans doute meilleur sur Sartre ou Ellington que sur Winckler... Ca me rappelle une émission navrante du Masque et la Plume ou des critiques quinquagénaires compétents en cinéma mais décalés par rapport au sujet de l'excellent film ("Ma vie en rose") dont ils parlaient, avaient déplorés ce qu'ils appelaient "une imagerie rose bonbon" sans y reconnaitre l'imagerie des poupées Barbie, une référence qu'ils ne pouvaient comprendre manifestement, mais omniprésente dans le film.

    RépondreSupprimer
  6. Cher monsieur W,
    Je viens de terminer Au-delà du Mépris. Une bonne journée, tiens. Et surprise, j'y ai trouvé en note de base de page une référence toujours non élucidée à Asmodée. Je pensais que, depuis le temps, vous aviez capté qu'il parlait d'Asmodée, le Diable boiteux, dans le roman de Le Sage, celui qui, pour remercier son libérateur, lui rend transparentes les maisons de Madrid et lui dévoile les turpitudes intimes des habitants. Du coup, on comprend mieux, non, dans le contexte de La Maladie de Sachs ?
    Pour le reste, j'étais très agacé au milieu du bouquin par tout un tas de trucs, et puis, comme d'hab, je vais en recommander la lecture. Allez comprendre :-)
    Just my 2 cents.
    TD

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Cher Timeo Danaos,
      Ben vous voyez, j'avais pas compris parce que je n'avais pas la référence : je n'ai pas lu "Le Diable boiteux" de Le Sage. Vous avez raison, ça se comprend mieux comme ça, mais dans une certaine mesure, ça confirme mon propos : combien de lecteurs lambda (et j'en suis) ont lu Le Sage ? Si Contat avait précisé ("l'Asmodée du "Diable boiteux", de Le Sage"), tout le monde aurait compris. Mais il n'a pas jugé utile de le faire... En tout cas, merci de votre appréciation. L'agacement que vous avez ressenti en lisant le livre ne me surprend pas. J'étais très agacé, moi aussi, en l'écrivant. Merci de me lire et de m'écrire.

      Supprimer