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vendredi 15 janvier 2010

Something happened, 2 - par Gilda

J'aimerais rentrer tôt pour une fois ce soir. C'est l'investiture de Barack Obama. Un moment qu'on sent historique ne se dédaigne pas.

La responsable du service où je tente de conserver un sens à un boulot d'informaticienne qui n'en a plus, a encore planté un processus de mise-à-jour avec des scripts de commandes automatisées.

Je ne veux pas d'ennuis. Il reste deux ans et demi de maison à payer.
Après je partirai.
Mon salaire sert à rembourser les prêts. Des contraintes liées à mon contrat font que si je démissionne il me faudra le faire en mode anticipé.

Je ne veux pas d'ennuis, elle a fait planter la mise-à-jour, ça n'est pas la seule fois. Les données au lendemain doivent être disponibles : je dois donc rester "after hours" pour réparer.
Barack, raté ; même si je travaille vite et bien.
Les plantages générés par les maladresses d'autrui sont plus longs à diagnostiquer : on ignore ce qu'ils ont précisément effectué. Il convient de procéder par essais ou étapes dissociées.

La cheffe déboule dans le bureau, furieuse. Comment ça pas encore fini.
Sans l'accuser directement j'essaie, Telle commande n'a pas été acceptée par le système, il faut reprendre le processus.
Sa colère hélas dès en entrant était incontrôlable. Contre elle-même ? À cause de tout autre chose ?
J'ai conscience d'encaisser parce que je suis là, seule à être restée tard.
Ça aide à ne pas perdre le contrôle ni répondre à la violence verbale par la violence physique. Je sens pourtant qu'en gardant calme je pompe sur des réserves profondes, celles que la dureté des années précédentes, les deuils, les maladies, les ruptures dont celle qui a failli m'achever, ont tant asséchées.
Et à présent les cris de cette femme à qui l'entreprise confie charge de hiérarchie alors que sa psychorigidité et son instabilité d'humeur confinent au pathologique, et qui depuis deux ans use également mes collègues et quelques hautes hiérarchies qui se prétendent impuissantes et ferment leur bureau à clef quand elles la savent sur zone.

Ce soir-là, je lui laisse le dernier mot, un très sec On en reparlera, censé m'effrayer, et pars en saluant. Je sais qu'elle dormira mal cette nuit ou avec l'aide de la chimie. Je n'ai à me reprocher que d'avoir fait preuve d'un trop grand sérieux.

Dans la rue, m'abat la rage devant l'injustice. Je l'ai trop contenue. Elle se venge en intensité. Je paie pour l'incompétence d'une personne bien plus que moi payée.

À l'instant où je quitte le bâtiment une décision se prend en moi de toute fermeté : je n'y remettrai plus les pieds, c'est fini d'être traitée comme un punching-ball ou une serpillière, pour l'argent comment on fera, mais cet esclavage s'arrête là.

Je n'ai pas décidé, ça se décide en moi.

Et pas même pour venir rechercher mes affaires personnelles.

L'animal interne intime a senti rôder la mort. Depuis 4 ans elle tente toutes sortes d'approches et de séductions. Je ne veux ni tuer, ni me tuer.
Cette fois-ci il ne s'agit pas d'une maladie, ni de peine infligée par quelqu'un qui compte - je ne vois cette personne que par contrainte professionnelle -, j'ai un degré de liberté qui est de cesser ma présence en ces lieux. Je le saisis. Éloignement. Aucun job ne vaut de mourir, sauf ceux qui consistent à risquer pour sauver.

J'appelle une amie qui pourra m'aider - et le fera, grâce lui soit rendue, elle n'a rien à y gagner que certains ennuis -, une autre qui ne comprendra pas - mais ça ne m'étonne pas -. Le lendemain je vois notre médecin de famille, auquel mon état n'échappe pas. J'ai peu à dire, il voit.

Plus tard je consulterai un ami spécialisé dans l'aide aux salariés malmenés. Le dossier constitué ne servira pas : l'entreprise est grande et le service chargé du personnel se montrera à mon égard d'une correction parfaite.
J'avais pendant longtemps donné satisfaction.

Pendant 3 mois je dormirai sans arrêt. Mon bien-aimé en rit encore. J'encaisse 23 ans d'efforts faits dans un emploi qui ne me convenait pas. Jeune on s'embarque, en se disant le temps d'un peu puis je changerai ; les jours passent, la famille s'agrandit, il faut sans faille gagner sa vie. Adultes et raisonnables, on reste, on s'use, on subit.

Je pars désendettée. Le jour de la signature des remboursements j'ai perdu mes semelles de plombs. Il m'a fallu beaucoup d'efforts pour ne pas m'envoler. D'un seul coup délestée.

Un an après, quelques séquelles, légères. Certaines amnésies. Un chagrin d'amour (quel luxe !). Et un manuscrit, ou doit-il rester à l'état de fichier sans éclabousser du papier ?
Une vie simple, dépenses minimales. Du restant de ma prime je n'ai rien gardé. Certains de mes amis étaient plus mal lotis.
Une vie simple, mais la grande vie : mon temps, enfin, m'appartient.
Le jour d' Obama sera le dernier où je l'aurai vendu.
Si j'y parviens et s'il le faut je vendrai mon travail mais plus mes heures. À moins que pour aider ceux que j'aime.

Méfiez-vous de la liberté, quand on y a goûté, on ne peut s'en passer.

(spéciale dédicace au tenancier qui fait partie de ceux qui longtemps en amont m'ont aidée à piger qu'il ne fallait pas tout accepter et en revanche le faire des mots lorsqu'ils venaient, même maladroits et désordonnés).

7 commentaires:

  1. Votre changement de voie a vous :) je comprends maintenant... votre enthousiasme autant que votre courage transparaissent dans ce tres joli texte. bonne chance pour la suite

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  2. Bravo Gilda !
    La prise de conscience de cette liberté possible fut longue, mais elle est savourée maintenant qu'elle est effective !

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  3. Ton ex-cheffe me rappelle furieusement quelqu'un... C'est désolant.
    Ce genre de rupture est salvatrice, je pense comme toi qu'on a autre chose à vivre que la soumission. La vie est courte, ne la gâchons pas, elle peut prendre x formes ! youhou !

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  4. La phrase que je préfère dans votre texte c'est : "je n'ai pas décidé, ça se décide en moi". En effet, cela se décide parfois en nous, on ne sait pas pourquoi, même si a posteriori cela paraît logique. Quel est ce "ça"? Il y a un mystère là dedans... un chemin aussi sans doute, et une conjonction, une prise de conscience, une accumulation... mais cela n'épuise pas le mystère du basculement intérieur.

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  5. Gilda dit-elle la vérité ou est-ce un atelier d'écriture de fictions?
    Car les commentaires semblent bien dire que c'est la réalité.
    Certain(e)s peuvent la dire, pas d'autres?

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  6. Attention, jamais il n'est dit dans l'exercice que ça DOIT être vrai. D'ailleurs, ici, je présuppose que tout exercice donne lieu à un texte, qui doit pouvoir être lu, au choix, comme une fiction ou non.
    Donc, il n'est pas question de "vérité". Nulle part. C'est un atelier d'écriture, point. Est-ce que les "Haïkus" sont des fictions ou des non fictions ? Ni l'un ni l'autre.

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  7. Je n'avais pas vu que des commentaires avaient été déposés, pardon et merci beaucoup. C'est toujours intéressant d'avoir un retour sur ce qui est venu.
    Dans un sens, tant mieux puisque Martin a répondu mieux que je ne l'aurais fait.
    Je ne crois pas que le fait de savoir si c'est réalité ou fiction soit au fond ce qui compte (sauf pour qui écrit puisque c'est sa vie - ou justement pas-). Si le texte remue quelque chose à qui le lit, c'est qu'il était juste. S'il laisse froid c'est que quelque chose ne va pas et demande travail.

    De toutes façons la réalité telle que nous la percevons n'est pas la même que celle de qui y participe en même temps, donc rien que notre compréhension personnelle de ce qui advient est déjà une forme de fiction.

    Parfois un événement survient qui nous fait écrire sur l'élan de ce qu'on ressent, quelque chose qui est à des lieues de ce qui a eu lieu.
    (quand ma meilleure amie m'a quittée, au surlendemain, j'avais écrit ceci http://gilda.typepad.com/traces_et_trajets/2006/02/la_gele.html dont je peux garantir qu'à part le déchirement et que la mort rodait, il n'y a rien à voir avec le vrai).

    Cela dit, il y a effectivement dans ma vie présente liberté effective qui fut chèrement gagnée (merci lyjazz, merci tutim) et qu'il va falloir se battre pour pouvoir conserver.

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