Rubriques

jeudi 31 décembre 2009

Out of the Past (8) - par Muchanuit

Alors tu l'as écrit ce livre ? Tu l'as vraiment écrit ? Je le crois pas. Pincez-moi, je rêve. Comment tu as pû me faire ça ? Me faire ça, à moi.
Moi qui aurais vendu toutes les fleurs, toutes les plantes, tous les pots, toute la boutique avec tous ses clients et tous ses fournisseurs.
J'aurais bossé à en crever.
J'aurais fleuri la terre entière, j'aurais même fleuri les cimetières et les églises et les monuments. J'aurais livré à domicile, j'aurais facturé, j'aurais encaissé, j'aurais enregistré.
J'aurais embauché,déplacé, vidé, dénoncé, j'aurais fait tout ce qui se fait ou se fait pas.
Pour que tu puisses « travailler ».
Non. Vendeuse c'était pas assez bien pour toi. Casse-toi tu me disais. Il faut que tu capitalises sur tes études. Je t'en foutrais des capitalistes, oui je sais ce que tu voulais dire mais moi ce que je voulais c'était que tu le finisses ce putain de bouquin qui nous pourrissait la vie , que c'était ton but, ton objectif, ton enfant, ton bébé (tu parles), que tu le portais en toi.
Et moi je portais quoi en moi ? Il en fallait de la tune pour quand il arriverait ? Alors ?
Alors c'est toi qui t'es cassé.
Et moi depuis hier soir je lis ce bouquin sans pouvoir m'arrêter.
Sauf pour aller voir et revoir le nom, la ville, l'année, ça colle trop bien, tout colle, je suis sûre que c'est toi.
Je te vois, je te sens, je t'entends, c'est à moi que tu parles, c'est de nous que tu parles, de nous deux, si petits, si mignons, si grave amoureux.
Trop petits, trop mignons.
Pas assez amoureux.

mercredi 30 décembre 2009

Out of the Past (7) - par LyJazz

De Lyjazz (lyjazz@gmail.com)
à S (info@polyse.fr)

S
Je pense toujours à toi au mois de décembre, parce que je me souviens de ta date d'anniversaire.
Et cette fois j'ai fait des recherches pour retrouver ton adresse mail.
Tu m'avais bien confié il y a 10 ans, lors de notre rencontre fortuite et très brève à Marciac ton adresse postale et ton n°de téléphone, mais j'ignore s'ils sont toujours les mêmes.

Or donc, comment commencer ?

L'an dernier j'ai confié toutes les lettres que je t'avais écrites en 1990 à une amie. Elle me connait bien, elle est professeur de littérature. Je voulais savoir si ce texte de 30 page n'avait de valeur que pour moi, ou s'il pouvait former la trame de quelque chose. Je voulais m'en défaire, qu'il sorte de chez moi pour être crié. Savoir si mes états d'âmes sont transposables et peuvent toucher d'autres personnes.

Cela m'a donné l'occasion de le relire, en diagonale d'abord. De retrouver mes élans, ma puissance et ma fragilité d'alors, mes questionnements, ma folie. De revivre au printemps des affres de sève qui monte et des envies de nudité dans l'air chaud, sous les arbres, d'écrire ensuite des textes qui racontent la fête des corps et le magnétisme que nous ressentions quand nous étions en présence. Il est toujours très fort, très puissant. Et je sais maintenant qu'il touche les adolescents, garçons et filles.

Tu vois, je me donne de nouveau la permission, la légitimité de l'écriture. Et le temps est venu d'utiliser ces lettres. Comme je l'avais prévu dans le même temps que je les écrivais et les vivais.

Depuis je ne cesse de penser à t'écrire.
Mais je suis partagée.
Tu es devenu un étranger. Je ne sais rien de ta vie. J'ai changé intérieurement : je deviens forcément ce que je voulais être. Je suis toujours en couple avec le même homme qu'alors. Et tu travailles dans une entreprise dont je ne cautionne pas du tout l'impact écologique. Et ça, c'est plutôt rédhibitoire pour moi, qui ai besoin d'une grande loyauté entre la personne et son activité.

Je n'ai rien ressenti de particulier lorsque je t'ai revu, dans ce chapiteau au milieu de 5000 personnes. Hormis le fait que je suis passé à cet endroit-là à ce moment-là, alors que je vais très rarement dans le public, et que je t'ai reconnu de suite, que ça m'a fait une sorte de coup à l'estomac, une danse dans les yeux, un sourire subit, un arrêt sur image. Et toi aussi tu m'as reconnu de suite. Je n'ai donc pas beaucoup changé physiquement. Si je me souviens bien nous avons très rapidement, une fois les politesses d'usage échangées, maneuvrés pour que ta compagne (au prénom finissant en A, comme le mien) parle avec A. tandis que nous étions proches pour échanger nos coordonnées. Garder le contact. Savoir que nous pouvions toujours nous retrouver. Même si nous n'avions rien à nous dire. Et que nous n'avions pas envie de reprendre une conversation. Ou parce que tu es toujours aussi peu prolixe et que tu avais peur de me redire de nouveau « Ecris-moi », de lâcher la bonde de nouveau? Il me semble que nous en éprouvions tous les deux le besoin (de connaître nos adresses). Et être juste à côté l'un de l'autre. Comme lorsque nous nous sommes rencontrés, la première fois, à Toulouse, tu te souviens ? Notre complicité et notre compréhension d'emblée ? Alors que nous n'avions que 18/20 ans ?


Il s'est passé beaucoup de temps depuis nos émois. Des années ponctuées par quelques cartes. La seule qui ne soit pas impersonnelle de ta part me disait que tu avais changé d'entreprise et de compagne, et c'était en 1998 peut-être ? Moi je ne pouvais m'empêcher de te faire partager mes passions et je te parlais du festival de jazz de Marciac. Ce qui t'a poussé à venir pour une soirée en 2001.

Longtemps je me suis demandée si notre histoire aurait duré si nous avions fait le choix de vivre ensemble.
Et j'en ai été malade pendant au moins deux ans après notre rupture. Ta fuite, qui fait pendant à mon errance, ce soir de juin sur le boulevard en fête....

Je souhaite juste te dire que ces textes seront rendus publics puisqu'ils vont être lus en scène. Et qu'ils deviendront sûrement un livret.

Tu peux les relire (si tu les as gardés) pour me dire si tu souhaites que l'un ou l'autre passage soit transformé ou supprimé. Mais je n'ai pas l'impression que tu apparaisses vraiment dans mes lignes. Ou juste en négatif, dans mon idée, mes mots et mes phrases, mon rythme. Je t'avais dans la peau et tu y es resté longtemps. Mais ton évocation seule ne donne lieu à rien qui puisse être reconnaissable. Je ne nommerais même pas ton prénom.
Je compte sur toi pour me contacter si tu en éprouves le besoin.

Lyjazz

mardi 29 décembre 2009

Out of the Past (6) - par Ornella

From : jessicam2709@yahoo.fr
Sent : Thursday, December 24, 2009 22:38
To : etiennelou@gmail.com
Subject : Out of the past

Cher Etienne,
Non, ne cherchez pas, vous ne me connaissez pas. Enfin, nous nous sommes croisés il y a cinq ans mais il n’y a aucune chance que vous vous souveniez de moi. Vous vous demandez certainement pourquoi je vous écris un 24 décembre alors que vous ne savez même pas qui je suis. Je vais vous dire. D’abord, je ne fête pas Noel alors je m’emmerde le 24 décembre ce qui explique que je traîne sur Facebook , que je sois tombée par hasard sur une photo de vous au bras d’une jolie brune et que je vous aie reconnu immédiatement. Ensuite, Etienne, j’ai hésité à vous écrire mais j’ai pris cette photo comme un coup du destin. Alors il fallait que je vous dise…
Le jour où nous nous sommes rencontrés, j’étais mal en point. Encore une infection urinaire que j’avais laissé trainer. Je me suis retrouvée aux urgences par un dimanche ensoleillé. Faut croire que je m’en voulais vachement pour me gâcher une si belle journée en passant quatre heures à l’hôpital. J’avais 27 ans. Ca faisait quatre ans que je travaillais dans une agence de pub ou je faisais pas grand-chose et le double de temps que je me demandais quelle connerie m’avait poussée à ne pas faire médecine.
Je me suis donc retrouvée aux urgences à pisser dans un bocal et vous êtes arrivé pour m’examiner. Et là, j’ai réalisé. J’ai réalisé que vous étiez plus jeune que moi et que vous étiez déjà interne. C’est bête à dire mais c’est en vous regardant m’examiner, pas très sûr et un peu gêné, que j’ai réalisé que je ne serai jamais médecin. Jusque-là, j’avais pensé « je suis jeune » comme pour me convaincre que tout était encore possible. Et je ne me l’étais jamais formulé aussi clairement.
Pourquoi vous ? Pourquoi à ce moment précis ? Je ne suis pas naïve, je sais que c’est un cheminement et que vous n’avez été qu’un élément déclencheur. Mais en même temps que cette constatation sonnait en moi comme un deuil, j’ai réalisé que je ne m’y résoudrai jamais.
Je suis rentrée chez moi avec des antibiotiques et j’ai tapé sur Google : « faire des études de médecine tard », « changer de voie pour la médecine » et tout ce qui me passait par la tête. Et pendant deux ans, j’ai compté mes économies en me demandant si j’envisageais un projet impossible.
Et puis j’en ai parlé à mon mec. Qui m’a quittée.
Et à mes parents. Qui m’ont ri au nez.
Et enfin à moi-même. Je me suis regardée dans un miroir. Je vous ai revu, vous, plus jeune, hésitant, apprendre à soigner et je me suis revue, moi, onze ans plus tôt, invoquer mon envie d’international pour mettre de côté les études de médecine que je voulais faire depuis toute petite. Alors je me suis décidée.
C’était il y a trois ans. Aujourd’hui, je suis en troisième année de médecine. C’est difficile, je me sens souvent très seule et ce n’est que le début. Je suis parfois déçue et je suis en décalage complet avec les étudiants autour de moi. Je ne peux m’acheter aucune des jolies robes que je vois dans les vitrines du boulevard Saint-Michel en allant à la fac. Et je ne pourrai pas envisager de devenir mère avant des années. Mais quand je me regarde, je n’ai plus honte, je vois la Jessica que je m’imaginais devenir dans mes rédactions de CM2. Et quand je me lève le matin, je n’ai plus l’impression d’être au bord d’un précipice vide de sens, je me suis accrochée à ma vie.
Alors je sais pas si j’ai envie de vous dire merde ou merci.
Mais ce dont je suis sûre Etienne, c’est que cet instant aux urgences a été décisif et que la décision qui en a découlé m’a sauvée.
J’espère juste que je serai un bon médecin.
Bonne continuation a vous.
Amicalement,
Jessica.

lundi 28 décembre 2009

Out of the Past (5) - par Zelapin

Meilleurs vœux !

Il y a dix ans que je ne t’ai pas souhaité une bonne année.
Forcément, me diras-tu.
Mais ton futur passage dans la ville m’amène à reconsidérer pas mal de choses : il y a dans mon salon une plaquette de ce foutu congrès sur laquelle j’ai vu ta photo (impossible de ne pas te reconnaitre) et lu ton nom. Et ton email.
J’ai régulièrement culpabilisé des ces parasitages de ma vie affective par des résurgences de ces quelques mois de jeunesse, j’ai élaboré dix mille scénarios à mes heures perdues et voilà que tu vas débarquer. Vais-je te rencontrer ?
J’ai quelqu’une dans ma vie, charge d’âmes, passé recomposé et tu vas être là.
En évoquant cela, je ne trompe personne, je trompe tout le monde. Moi en premier.

Pourquoi ces contacts périodiques, tous les dix ans ?
Remarque j’exagère un peu, puisqu’il n’y a que vingt ans entre le début de notre histoire (quoi, j’exagère en appelant ça « notre histoire » ?) et ce jour !
D’autant c’est toi qui avais dégainé la première last time, me téléphonant. Je n’aurais pas osé.
Et je t’avais demandé de m’écrire tout ça, comme un courrier de confirmation (je voulais me délecter de mots ruisselant sur ma tête, me doucher de tes phrases, profiter de l’aubaine). Je n’osais pas y croire.
Et portant je t’ai éconduite.
J’ai eu peur en percevant chez toi la même maladie. Peur des possibles à la suite (je n’ai pas de carrure, toujours pas ou si peu), peur de l’échec aussi. On n’est jamais à l’abri. Surtout toi et moi, on l’a prouvé.
J’avoue avoir entretenu l’illusion que tu viendrais quand-même.

Je sais que je mens à tue-tête, à toi, à moi (il y a toujours un tiers dans cette histoire ! Quel humour mal venu…), mais j’ai envie de penser que les choses se sont passées ainsi.
« Dis-moi que tu m’aimes, si même tu mens », dit la chanson.
Ta détestation de ce phrase me revient, tu étais « brute de décoffrage », très premier degré, très jeune, trop verte. Peut-être aujourd’hui es-tu plus sereine, plus avide de saisir les moments de l’existence qu’on ne doit pas laisser filer, même s’ils ne sont pas taillés dans le granit. Surtout s’ils ne le sont pas.

Mais je crois que tu as enfin oublié cette non-relation, que ce que tu m’écrivais il y a dix ans est retombé. « Comme un soufflé » dirait le lieu commun mais qui illustre tellement bien ce que je veux te dire ; la chaleur et la complexité de ce que tu étais capable d’éprouver pour moi a dû progressivement s’évaporer, s’échappant en volutes par une petite cheminée au travers de la surface craquelée, fendillée par ma réponse distante et déprimée.
Je suis un con, je le savais déjà mais je me le confirme, petit piqûre de rappel (sans que Roselyne n’y soit pour rien, je ne veux pas de son vaccin).

Je viens chercher ton mépris, je viens quémander ton indifférence. Je pourrai alors passer à autre chose ; ce qui est faux : je pourrai continuer cet autre chose, avec celle qui me fournit l’apparence d’une existence normale (égoïste je suis, comme tu peux le voir).

Je ne sais plus vraiment pourquoi je viens t’importuner au fur et à mesure que cette lettre s’écrit, elle semble évoluer pour son propre compte, ne prenant que rarement mon avis, étalant sur cet écran les pigments ternes des sentiments.que je crois éprouver. On dirait qu’elle cherche à leur redonner de l’intensité et qu’elle pense que tu es cette alchimiste-là, qui d’un peu de boue pourrait créer de l’alizarine Crimson ou du chinese Vermillion.

J’essaie de te flatter, tu vois, pour que tu finisses par te jeter d’un pont, pensant avoir gâché ta vie.
Non, je plaisante encore, cruel et malheureux, je veux que tu lises ça, que tu aies un pincement au cœur et que tu plaignes le pauvre nase qui l’a écrit, te demandant à quoi il tourne à présent.

En vrai, j’aimerais que tu fasses comme tu le sens (je mens encore). Que tu viennes, comme tu voulais le faire « avant », qu’on s’approche, timides et empruntés, puis de plus en plus libres, heureux (le mot est lâché) de nous retrouver, puis carrément en phase et enfin prêts à vivre quelque chose.
Quitte à ce que ça s’arrête demain parce-qu’ « il n’y a pas d’amour sans amour » (ça t’énervait aussi, cette affirmation).


En vrai, j’aimerais savoir que tu n’as personne dans ta vie, que tu n’as pas d’enfants, ou que tu as une famille nombreuse et un mari ombrageux, j’aimerais que tu aies encore 19 ans, moi 24 et que tu m’attendes sur la plage à Gruissan (Djian, Betty, les chalets, la mer).

En vrai, j’aimerais ne jamais t’avoir rencontrée et ne jamais avoir eu envie de t’écrire.

Pour rester théâtral, je vais publier ce message sur le net, comme une bouteille à la mer (j’ai le sens du tragique ridicule, comme toi) pour que tu le croises « par hasard » (qui pourrait bien faire les choses, est-ce-que tu traines sur le net «littéraire» ?) et que tu te demandes longtemps s’il t’est adressé.

Pour de faux, je t’ai toujours aimée.

Pour de vrai, je ne sais pas aimer (et ce n’est ni toi ni mon ex-femme, ni mes échecs suivants qui me contrediront).

Meilleurs vœux et à jamais (comme d’habitude) ?

M. le maudit.

dimanche 27 décembre 2009

Out of the Past (4) - par Brigitte C.

Monsieur le Maire, Cher Monsieur, Cher,

Je vous remercie d'avoir pris le temps de me répondre que, oui, nous nous étions sans doute connus, puisque tu y a bien vécu, au Louvrassou. Je te remercie aussi de ne pas m'avoir dit que tu ne te souvenais pas de moi, ou si ?

Je ne sais si je pourrais me faire pardonner mon intrusion en vous expliquant ce qui m'y a poussée (mais vous pouviez envoyer, d'un clic, mon courriel dans le vide).

Un exercice d'écriture (oui, je m'y essaie dans mon oisiveté conquise, mon lent retour à un semblant de vie.. je n'ai pas ta force et ta vocation.. ne ricanez pas, vous n'avez d'ailleurs, ça m'a fait un choc en voyant votre photo à côté de vos dernières oeuvres – une belle, une qui me déçoit – ta barbe douce, qui devenait bouclée quand tu voulais séduire, et où se réfugiaient tes remarques, mais une moustache qui vous donne un petit air de Georges) un exercice donc consistait à écrire à une ancienne connaissance, perdue de vue depuis au moins vingt ans – délai que nous pulvérisons, cher – et je ne sais, ne veux savoir, pourquoi notre groupe, ou votre groupe avec moi en lisière, m'est venu à l'esprit, et puisque bien entendu votre nom, désolée, était le plus facile à retenir.. c'est lui que j'ai cherché sur Google, heureuse pour vous de découvrir cet article, et cette photo à côté d'une intelligente femme aux cheveux gris et sourire chaleureux, une amie ?

Je ne sais si je vais publier cette lettre qui, malgré mes efforts, veut absolument s'évader en tous sens et dire sans ordre ce qui n'intéresse que moi. Je ne sais si je vais te l'envoyer, qu'en ferais-tu ? Je crains que, même si vous n'avez pas oublié ma maigre maladresse parmi tous les visages, les silhouettes, rencontrées depuis ces, combien, quarante ans, ou un peu plus, nous n'ayons plus de rencontre possible, sauf à tâtonner et je ne pense pas que vous désiriez prendre ce soin (et j'ai un peu trop peur pour le désirer, ou ne l'ai pas eu réellement)

Mais il m'est doux, après ma longue plongée dans un monde de travail gris, soigneusement encombrant, absorbant, abêtissant où se perdait toute une part de moi, cette longue mort affairée, de retrouver le souvenir, que je ne crois pas tout à fait rêvé, des veillées, de marches sous les arbres dans la nuit, des vaisselles en commun, de l'atelier sous bâche dans la neige, et de mes efforts entêtés et infructueux, soigneusement maladroits dans la crainte d'un espoir, dans le calme, la chaleur du poêle, et vous à côté, travaillant, de votre chien aussi – il doit être mort – en arrêt devant on ne sais quoi sur la neige, roux dans un rayon de soleil, et puis...

Ah ! cher, excuse moi, je ne vous ennuierai pas, voici que - absurdement ? - ces lignes ont renvoyé ces souvenirs dans un passé délicieusement indifférent.

samedi 26 décembre 2009

Out of the past (3) - par GM

Tu te souviens ?

La dernière fois que nous nous sommes croisés, on s'était déjà perdus de vue pendant plusieurs mois. On s'était retrouvé dans ce café qu'on appelait le "bip's" alors que ce n'était même pas son vrai nom. On y avait passé des heures à refaire et à défaire le monde et, cette fois encore, l'habitude revenant vite, je crois que nous y sommes encore restés plusieurs heures à nous raconter nos bouts de vies respectives et maintenant séparées, nos peurs, nos peines, nos petites médiocrités, nos rires, nos sourires, comment on était en train de renoncer.

Je me souviens qu'à la fin tu m'avais demandé : "toi et moi, on devait devenir écrivains, tu te rappelles ?". Je crois que j'ai soupiré, l'air un peu triste, silencieux.

Et puis aujourd'hui, ni toi et moi, ni écrivain(s).

Et toi, comment tu vas ?

GM

vendredi 25 décembre 2009

Out of the Past (2) - par Martine B.

De: mimics@gmail.com
A: patvy@free.fr
Objet: C’est Noel !

Oui, je sais, ce courriel va te surprendre. J’en suis la première étonnée d’ailleurs, et je ne sais pas bien par où commencer.

Cela fait longtemps …vingt ans, exactement.

Il y a vingt ans, nous nous étions retrouvés par hasard chez des amis communs et avions projeté de nous revoir. J’ai eu le malheur d’en parler à une « bonne copine » », et la suite tu la connais.

Enfin, non, tu ne sais pas que cela fait vingt ans que je m’en veux, que je me demande ce qui aurait été différent dans ma vie si cette rencontre avait eu lieu, que j’ai le sentiment d’avoir été piégée et que c’est difficile à digérer parfois. Tu ne sais pas que tu es présent dans mes meilleurs souvenirs, et qu’il y a des endroits où je ne peux mettre les pieds sans penser à toi. Je n’y mets plus les pieds d’ailleurs.

Tu dois t’imaginer que je t’ai oublié puisque je n’ai pas donné signe de vie. J’ai pourtant essayé de te recontacter une fois déjà, il y a une dizaine d’années. Je t’avais écrit une longue lettre, que tu n’as jamais reçue. (Te connaissant, je pense que tu vas apprécier l’ironie de la situation !). Si tu savais comme je me suis sentie bête après l’avoir postée, puis combien j’ai attendu ta réponse, j’ai mis un temps fou avant de comprendre que je m’étais trompée d’adresse…

J’avais fini par me dire que mon erreur était un signe du destin, que ce n’était pas la peine de remuer le passé. C’est facile, finalement, de s’étourdir l’esprit avec son travail, sa famille, ses amis…jusqu’à ce que l’évidence frappe au moment où l’on s’y attend le moins.

L’autre jour, je traversais le marché de Noel. Les décorations, la musique, l’odeur de vin chaud, le sourire d’un inconnu – va savoir pourquoi, ton visage s’est furtivement superposé au sien- m’ont replongée en arrière. Tu te souviens de notre premier Christmas à Londres ? De ce que nous avons vécu ensuite je ne regrette rien. Sauf de ne plus pouvoir en parler …

Vingt ans ont passé et je n’ai pas envie d’attendre encore autant de te revoir. Je suis tombée sur ton adresse électronique dans un bouquin sur les séries télévisées. Je n’osais pas t’écrire ou te téléphoner, mais un courriel, c’est tellement simple. Tu peux me répondre dans les cinq minutes ou bien prendre ton temps, j’attends ton message comme autrefois j’attendais tes lettres.

Ou tu peux cliquer sur « supprimer» et m’ignorer.
Mais je t’en prie, ce serait un si beau cadeau de Noel !

jeudi 24 décembre 2009

Out of the Past (1) - par Gilda F.

De : Vxxxxxxx Xxxxx [mailto:Vxxxxxxx.Xxxxx@9online.eu]
Envoyé : mercredi 23 décembre 2009 0:45
À : Gxxxx Xxxxxxxxx
Objet : out of the past

C'est ton fils Étienne qui sur facebook m'a contactée. Il demande joyeusement avec un mot gentil à être mon « ami ». J'ignore si tu le sais comme j'ignore s'il sait que nous avons cessé il y a quatre ans de nous fréquenter.

J'ai consenti à débarquer sur ce réseau sous la pression des miens de fils, et de mon mari. Ils prétendent que pour le travail et les dérèglements d'agenda ça peut être utile malgré le côté Big Brother que ça a. J'ai vu que tu t'y étais inscrite il y a longtemps déjà et j'y ai trouvé ton mail. Je dois te confesser que je ne l'avais pas gardé.

À un moment donné tu en savais trop, tu devinais le reste, j'avais même l'impression que tu lisais dans mes pensées quand je me contentais de deviner les tiennes. Ce n'était plus assez étanche entre toi et moi.
Pour le travail, je ne savais plus ce que je fabriquais, après la suractivité du début de cette année-là, plus rien n'avançait et j'ai ressenti combien côtoyer quelqu'un qui possède trop d'élan neuf peut alors assécher. Il m'a fallu me protéger.

Tu me parlais aussi d'enfant malade, mais tu n'imagines pas les souffrances que ça rappelait. J'avais mis trois ans et deux cures de causettes pour parvenir à y faire face. Sans parler des effets troublants des médicaments. Par moment je ne reconnaissais plus les gens, même les proches. Ils étaient là auprès de moi comme d'étonnants étrangers.
J'en sortais à peine et ton malheur m'y replongeait. En plus qu'on ne pouvait comparer les maux dont mon garçon aîné et ta fille souffraient. Rien n'est pire que la détresse psychique. La communication, brisée. On ne sait pas si on va ou non retrouver son enfant. Et puis ta jolie A., je l'aimais bien et tu le sais. Alors j'avais trop de peine tout en n'y pouvant rien.
Partir était épouvantable, je le concède. Je pouvais juste espérer que tu comprendrais. Par le père de tes enfants je te croyais soutenue et ne savais pas qu'en amour également en même temps tu morflais.
Il est trop tard à présent pour avoir des regrets. Du trop qu'on s'était dit et du pas assez. Tu as le droit de m'en vouloir pour ce que je t'ai fait.
Quelque chose m'a dépassée. Ce n'était plus du tout possible.

J'ai appris par M. que tu avais changé de vie, une carte aussi que tu m'avais envoyée et que contrairement à d'autres je n'ai pas jetée. J'en suis contente, l'usine ne t'allait pas. Pas certaine d'y avoir contribué autant que tu le crois, à ton évasion. C'est ta vie, ce fut ton choix. C'est le bon. Et aussi d'écrire, même si ça paie pas. J'en suis encore à voyager sans cesse pour boucler des fins de mois. Je m'en tire, note, je ne me plains pas.
À part ça, toujours les mêmes imbroglios familiaux. Du temps a filé, les choses ont peu bougé.

Il y a S. également qui m'a écrit un mot. Nous avons été très proches il y a paquet d'années. À la teneur de son message je suppose que tu le sais. Il ne serait pas un peu amoureux de toi ? S'il n'a pas trop changé je vous verrais bien ensemble lui et toi, tu sais.
Ça t'amusera peut-être de savoir qu'il est l'homme qui m'avait inspiré le personnage du libanais. Ne perds pas tes bonnes habitudes, dis-moi Mais oui, patate, je m'en doutais.

Il m'a raconté votre rencontre par échange de mails au sujet d'un de ses livres et de tes blogs (tu en as combien, maintenant ? 20 ? 30 ?) qu'il lisait, puis après un lot plutôt romanesque de péripéties un an plus tard en vrai ; dit combien je te manquais, comme tu avais été si longtemps discrète en ne parlant que de ce qui s'était passé sans mentionner mon nom, et que seulement deux ans plus tard le recueil collectif où nous avions lui et moi trempé t'avait fait piger qu'on se connaissait. Vous avez fait fort.
C'est une belle histoire. Je n'aurais pas su l'inventer.

J'ai été très touchée, mais incapable de lui répondre. Ça remuait trop de douleurs, trop de passé en moi. Le passé ne passe pas, rappelle-toi.
Il m'a semblé qu'il tentait surtout de me joindre pour toi, afin que je te donne signe de vie.
Comme tu le vois, j'obéis. (parfois)

À présent, c'est moi qui ne serais pas contre une revoyure. On peut changer, crois-le. Tu vas mieux, je vais bien, si tu ne m'en veux pas, et si tu le veux bien, peut-être qu'on pourrait.
Je suis curieuse de faire la connaissance de la nouvelle personne que forcément tu es. Je t'ai connue si enfermée dans une vie étriquée. J'avais compris que ça n'était pas toi, mais je n'ai pas eu la force jusqu'au bout de t'aider. C'était trop loin. Que dire ?
Je comprendrais qu'après ce qui s'est passé, tu ne veuilles plus de moi.

Que les fêtes ne te pèsent pas trop et que la nouvelle année te soit enfin douce à toi et aux tiens. Tu l'as bien mérité. Et avec S., au moins tous les deux, ne vous perdez pas.

Baci (tu m'auras au moins appris ça)
V.

mercredi 23 décembre 2009

Exercice n° 8 : Out of the Past

Vous l'avez intimement connu(e) ou croisé(e) brièvement, hier ou il y a vingt ans. Aujourd'hui, il ou elle ne fait plus partie de votre vie. Et pourtant, vous ne l'avez pas oublié(e) et quelque chose vous pousse à reprendre contact. C'est la veille de Noël ou celle du jour de l'an. Vous avez trouvé son profil sur un social network, ou son adresse courriel sur une page web. Vous hésitez et puis, vous vous lancez. Vous intitulez votre message "Out of the Past".

Pas de limite de longueur.
Date limite d'envoi des textes :31 décembre, minuit.
Début de mise en ligne : dès réception du premier.

BOnnes fêtes à tous et à toutes.

Mar(c)tin

Décrire le désir d'écrire (13) - par Jean Prodhom

A l’horizon, des mots de pierre tout juste bons à fabriquer des rhéteurs, ils sonnent vide. C’est toujours comme cela, à quoi bon alors. On est sur le point de renoncer, de tout jeter par-dessus bord. On permute les galets, on dit que c’est la dernière fois, on s’obstine, mais aucun subterfuge, aucune ruse ne nous évitera, vaurien, une cuisante défaite, nous voici à deux pas d’une froide insomnie.

Soudain la volonté qui s’arqueboute contre le vide pour garder un oeil sur le désir qui s’éloigne, se retire et laisse la place à un, deux, trois, quatre galets imperméables encore il y a un instant. Ils se déclaquemurent, s’amolissent, décollent du lieu où ils adhéraient. Pourquoi je l’ignore. Ils se vident du vide que leur coque retenait et s’avancent liquide au fond d’un maigre sillon qu’ils creusent et qui s’aventure dans une nuit sans limite, l’irriguent de proche en proche, en tous sens. Le corps et l’âme se glissent à leur suite et distinguent ébahis une carte dans la nuit. Ils sont quatre, quatre mots qui s’avancent ensemble pour dessiner un instant le chiffre de ce qui sera à la fin.

Ils ne demeurent pas dans leur combinaison initiale, l’un quitte la scène, puis c’est au tour du second, recouverts un instant par ceux qui veillent au guichet et qui se mettent à clignoter. Le ciel allume ses bougies, la nuit se peuple. Je les aperçois qui reviennent pour me diriger, ils essaiment leurs humeurs et quelques-uns des secrets qui se terraient derrière leur coque, déclenchent un incroyable anticyclone qui balaient la nuit de l’épaisse brume qui ralentissait mon avancée. J’y vais à tâtons, de mot en mot, de galerie en galerie de perspective en perspective: nuit noire de haute pression piquée de mille feux qui dessinent une carte vivante de ce que je ne peux nommer. Rien de sert de semer des cailloux, il y a plus urgent, tout va si vite.

On sortira plus tard les yeux éblouis, comme la taupe de sa galerie, les mains presque vides. Aux lèvres pourtant quelques mots, les mots sont isolés d’un vide sanitaire qui tient leur coeur au chaud. C’est le jour, inutile de se retourner, la carte s’éloigne à mesure qu’on tente de s’en saisir, comme un parfum, comme le rêve à la sortie de la nuit. On n’en saura pas plus.

Notre vie est double et chacune d’elle est la vérité de l’autre, elles nous disent dans l’alcôve chacune leur tour ce qui leur manque, elle nous disent aussi que nous ne serions rien si nous ne les traversions pas toutes deux quotidiennement. Chacune accueille le rêve immémorable de l’autre et le rêveur avance, dans ce jour comme dans cette nuit, sans petit carnet pour noter ses rêves.


Jean Prod'hom

mardi 22 décembre 2009

Décrire le désir d'écrire (12) - par Tutim

« Il lui dit qu’elle se trompait, elle aurait dû continuer à écrire, elle avait beaucoup de talent et cette passion qui rendent les mots touchants. »
A l’époque, j’avais un petit carnet violet à spirales rouges, je faisais parti de l’atelier théâtre de mon lycée, je n’avais pas trop de talent pour la scène et j’ai commencé à écrire les mots, comme ils venaient. Je ne disais pas grand-chose. Je n’étais pas logique. Je m’asseyais et les mots sortaient, nus, sur les petites pages blanches. J’aimais beaucoup les relire. Ils avaient ce pouvoir de me replonger dans l’instant, dans l’endroit et dans la sensation. A l’époque, j’aimais ranimer les moments passés. Mais j’étais toute jeune et le passé n’était jamais bien loin.
Désir d’écrire. Au début, c’est pas vraiment du désir. C’est plutôt un besoin. Le désir suppose une puissance et une profondeur qu’il n’y a pas dans le besoin, synonyme d’immédiateté irréfléchie. Au départ, il y a les jolies formules, l’émotion dans la lecture et l’envie d’être de ceux-là. Oui, ca vient comme ca. Comme la faim ou les larmes. Ca vient comme quelque chose qu’on a vu ailleurs et que l’on ne pourrait pas ne pas imiter.
Ensuite, le désir se construit. Et il permet de coucher les mots sur papier, de construire des histoires, de tenir la longueur, de se relire, de réécrire, d’effacer, de recommencer, de jeter et de transpirer sur des phrases réagencées des dizaines de fois, des phrases qui trouvent leur cohérence dans leur rapport avec des centaines d’autres. Oui, cette sueur et cette peine sont synonymes de désir.
Mais aujourd’hui, ce n’est plus seulement le désir d’écrire qui anime ces après-midi passés derrière l’écran de mon ordinateur. Aujourd’hui, le désir d’écrire s’est doublé de son corollaire un peu prétentieux et mégalo, le désir d’être lue.
Mais pas seulement.
Il est accompagné du désir que mes mots procurent, dans leur rythme, par les personnages qu’ils dessinent, par les histoires qu’ils construisent ou par leur simple agencement, un peu de l’émotion que d’autres m’ont un jour procuré.
Ceux dont je caresse les tranches brillantes, comme des trésors dans ma bibliothèque.
Ceux que je remercie d’avoir, un jour, fait naître en moi, le désir d’écrire.

Tutim
terradelires.blogspot.com

lundi 21 décembre 2009

Décrire le désir d'écrire (11) - par Emmanuelle M.


L’idée de zelapin est excellente, car le désir d’écrire, c’est si compliqué.
Mes pauvres petits mots sont bien raplaplas alors que je les voudrais rimbaldiens, yourcenariens (ça se dit ?). Alors, mon désir d’écrire prend vite une claque quand je lis Arthur Rimbauld, Marguerite Yourcenar, Pierre Michon, Martin Winckler, et quelques autres. Et même pas les lire, juste y penser, rien qu’y penser…
Au travail, je rédige beaucoup, alors mon envie des mots est souvent rassasiée. Oui, ce n’est pas très glorieux, mais c’est vrai. Je fais des notes, des comptes-rendus, et même si j’ai des codes de langage à respecter, j’y trouve quand même parfois mon compte.
Je ne reste quasi jamais une journée sans écrire, car j’ai des correspondants à qui j’écris sur internet, mais surtout à qui j’écris à la main. Et ça, j’y tiens. J’adore recevoir du courrier manuscrit, et j’aime en écrire.
J’ai besoin d’écrire pour exister. Je crois savoir ce qu’il y a en moi comme histoires. J’ai cru longtemps que j’écrivais ce que je n’avais jamais lu et que j’aurais aimé lire. J’avais tort. Beaucoup écrivent des histoires qui sont bien plus intéressantes que celles que j’écris ou que j’ai dans la tête.
La tension que j’ai eue longtemps en moi, « le bouillonnement » comme dit si bien zelapin, je l’ai de moins en moins. Mon désir d’écrire s’amenuise, car je sais qu’écrire un bon livre, un beau livre, c’est beaucoup de temps, de travail et une petite étincelle (le talent ?). Du temps, j’en ai de moins en moins, parce qu’il y a le travail alimentaire, les enfants, le ménage, enfin tout ce qui bouffe la vie d’une femme. Et il me faut 8 à 9 h de sommeil sinon je mords, alors pas question de se lever à 5h du matin pour écrire.
Alors, sois sage, ô mon désir, et tiens-toi plus tranquille…

Décrire le désir d'écrire (10) - par Brigitte Celérier

Suivre les textes qui s'affichent,
peu à peu,
qui disent le désir d'écrire,
goûter ou non leur style,
mais toujours
admirer ce qu'ils disent,
si divers,
ou plutôt l'envier,
un peu, avec surprise.
Et puis finir par se demander
si vraiment ce n'est pas ça,
peut-être,
un peu, juste un peu,
peut-être,
souterrainement,
qui me fait écrire chaque jour,
ces n'importe quoi,
puisque, bien sûr, rien n'ai à dire.


Brigitte Célérier

samedi 19 décembre 2009

La table ronde (Ecrire le désir d'écrire, 9) - par Younes

Une feuille blanche sur une table ronde récemment débarrassée. On vient d’y terminer le tajine rond de pommes de terre au citron et aux olives. Rarement avec de la viande.
Sur cette table ronde et basse, il a remarqué qu’on sert toujours le plat, sans viande sauf le couscous du vendredi, dans des ustensiles ronds. Le cercle est apparemment symbole de l’énergie positive, car l’énergie, c’est rond.


Le stylo à bille écrit en bleu. On le sait grâce à la capsule de sécurité de la même couleur qui protège de l’encre qui déborde dans ses pays où il fait très chaud. Même pour écrire.


La table, il faut qu’elle soit propre et nette comme la feuille.

Attendre qu’on nettoie la table de tout. Elle n’est pas droite, non plus. Une autre feuille, plus blanche celle-là, à cause d’un premier jet est froissée avec l’énergie qui la rendra sous forme de boule, la plus ronde possible. Tassée sous le pied, elle calera la table et lui donnera un semblant de stabilité.


La table est rase. Il peut commencer ce qu’on appelle le rituel du désir, mais il y a toujours ses sillons droits qui s’espacent au fil du temps pour faire apparaître des clous rouillés ou laisser deviner que la colle ne tient plus entre elles les planches de bois. La surface est ainsi dénivelée et il faudra poser la feuille sur la partie plane qui reste, dommage qu’un bout de la blanche rectangulaire déborde d’un arc de cercle et se plie au contact du pull qu’il porte depuis quelques jours.


Avec une feuille de papier, il sait construire un bateau et même un avion. Il n’a jamais réussi à faire voler l’avion en papier, il doit y avoir un problème de construction. Il essaiera toujours, ce n’est pas la volonté qui manque.


Il est temps de déplier le joujou en papier et essayer d’écrire des phrases, une ou deux, tant qu’on pourra. Elles auront l’air froissées, parfois angulaires au gré des plis de l’avion non aplati. Il est vrai que le rituel a commencé, il y a bientôt deux heures.

Younes

vendredi 18 décembre 2009

Ecrire le désir d'écrire (8) - par La fille pas sage

Ecrire.
Un désir, ou un besoin?
Ecrire.
Une respiration et une rédemption.
Une catharsis.
Une violence.
Une douleur.
Un chemin.

Ecrire...
Un partage.

Une renaissance.

A soi-même.
Et aux autres.

Ecrire.
Une respiration oui.

Une acceptation.

Une rencontre.
Avec soi-même.
Avec les autres.

Ecrire?
Une absolution.

La fille pas sage.

http://lafillepasage.blogspot.com/

jeudi 17 décembre 2009

Dans mes rêves... (Désir d'écrire, Hors Série) - par Martin W.

En ce moment, j’aimerais...
- traduire en anglais la nouvelle que je viens d’écrire (« Alice in Wonderland ») pour la revue Galaxies ;
- écrire un recueil qui s’intitulerait Des nouvelles de Montréal (j’ai déjà plusieurs textes dans la tête) ;
- écrire un livre intitulé Mon père était médecin et ma mère le soignait... ;
- me remettre à un roman (lequel, je sais pas, je n’ai que l’embarras du choix) ; de préférence, en anglais ;
- faire un inventaire des problèmes éthiques dans les séries médicales que je connais, à l’intention des enseignants ou des étudiants ;
- écrire et proposer un séminaire sur l’apprentissage du professionnalisme médical au travers des séries télé ;
- écrire un livre sur l’éthique clinique, l’éthique du soin au quotidien (il n’en existe pas en langue française qui soit écrit par un médecin, figurez-vous !!!)
- proposer un atelier d’écriture non scientifique à des professeurs de médecine ;
- écrire un compte-rendu de livre ou de film ou de série une fois par semaine ;
- avoir le temps de faire tout ça sans avoir à me soucier de l’intendance et sans avoir à en faire porter le souci à qui que ce soit.
Montréal, 17 décembre 2009

Mar(c)tin

Décrire le désir d'écrire (7) - par Lyjazz


J'écris pour.... Mettre en forme. Mettre en scène. Impérieusement, les idées qui me traversent.
Pour me rappeler, pour mémoire, pour me comprendre, pour avancer.
Parce que les idées naissent mieux sous mes doigts même si je n'ai pas l'impression d'en avoir avant de me trouver devant une feuille blanche (je parle de papier/stylo ou de clavier/écran)
Pour retrouver l'indicible.
Pour dire mon rythme intérieur. Qui me renseigne sur mes émotions, ma façon de les vivre : je suis capable de revivre les mêmes émotions plusieurs années après les avoir écrites, juste en les lisant. Je redeviens la même. Avec la distance supplémentaire.
C'est une magie.
Mon écriture, si elle est personnelle, n'est pas destinée à moi seule.
J'écris pour d'autres, pour au moins un interlocuteur. Je ne ME parle pas : je parle à un AUTRE. Parfois cet autre est moi, mais plus souvent un correspondant que je connais bien.
Mes façons de dire changent selon mon interlocuteur. Selon le degré d'affinités émotionnelles que nous avons.
Mais mon écriture est toujours personnelle, adaptée à ce que je crois comprendre de ce que va ressentir mon lecteur.
Pour autant, je m'y mets entièrement, j'habite mes mots et les accompagne et j'oublie ce que j'ai dit/écrit. Comme si mes émotions, toutes entières tendues vers le lecteur, ne m'appartenaient plus une fois écrites.
J'écris pour le vent, sur le vent.
Et je garde mes écrits pour me souvenir de ce que j'étais. 
Mes phrases naissent aussi de quelques mots lus. D'un rythme, d'une émotion perçue ou ressentie, d'une odeur, d'une association d'idées, d'une image.
Cela peut me prendre à n'importe quel moment.
Mais souvent dans l'action qui comporte une forme d'automatisme : conduire, regarder les paysage défiler, provoque des phrases, marcher. Sentir par tous mes pores des odeurs, sensations, est aussi une façon de produire des phrases, des mots.
Comme il est peu facile d'écrire dans ces situations, j'engrange et je peux faire renaître plus tard, en phrases, sans doutes transformées, mais toujours traductrices de mon émotion précédente, mon écriture parlée intérieure.
J'ai appris à comprendre combien mon fonctionnement était propice à l'écriture : j'engrange, je vis, j'analyse parfois longtemps, intérieurement; et c'est devant l'écran, ou devant la feuille, que le flot se libère, sans que je sache quelle forme cela prendra.
Mais c'est impérieux et jubilatoire !
J'écris aussi pour mieux dire oralement ensuite, pour prémâcher des idées, des concepts, des difficultés.
L'écriture est un catalyseur, une mise en forme de ce que je ne savais pas avant de le voir surgir sous mes doigts.

Lyjazz

mercredi 16 décembre 2009

Ecrire le désir d'écrire (6)- par Clara Rimbaud

Un sein nu, une courbe presque parfaite et sur le sommet, un téton frémissant sur lequel je glisse ma langue. J’écris pour baiser. De la pulpe des doigts qui effleure une peau nue, d’un souffle dans la nuque, et d’une bouche qui atterrit sur une partie charnue… le désir traverse mon être avant de se poser sur le papier. Source et fin ultime, le désir trace mes mots, les ramasse, les ressasse, les vide et les recrée avant de les coucher sur le papier. Je recherche le désir de l’autre, celui de me lire, de partager ; ne serait-ce que pendant une fraction de seconde, cette sensation qui m’habite en permanence.

J’ai un rapport charnel avec ce qui m’entoure, j’ai besoin de matière nobles, quand j’écris sur un ordinateur, je me touche sans arrêt le visage, je passe les doigts sur ma bouche, je caresse le bois de ma table… j’ai besoin de sentir pour écrire. Je suis incessamment connectée avec ce qui m’entoure, je voudrais m’y fondre, y fusionner, traverser la résistance physique des choses, non pour les posséder, mais pour être. Si j’écris, si je sais que je suis lu, si la personne qui est face aux mots que j’ai tracés est saisie par une émotion, ne serait-ce qu’un fragment infime de ce que j’ai voulu esquisser, alors je la pénètre, je rentre dans son être et la connexion, la fusion est établie. J’ai besoin de cette connexion, de partager cette intensité.

Parce que je suis un être d’une violence extrême. Mes sentiments, mes sensations sont exacerbées et tentent de s’échapper par chaque centimètre de ma peau, jusqu’ici, je les retiens. Parfois elles s’évadent, et je gémis, je souffle, je ris et je subis le regard étonné, agacé, amusé de ceux qui m’entoure. Mais je rencontre rarement la compréhension. Ce combat incessant et violent qui traverse mon être ne peut trouver son expression par le biais d’une parole orale. Parce qu’il touche à ce qu’il y a de plus intime, à ce qui se susurre à l’oreille sur le ton de la confidence, à ce qui se murmure avec un air malicieux, à ce qui ne se partage qu’avec une personne… L’écriture crée un espace ouvert et protecteur. La parole orale est une parole sociale. La société m’a assigné une place sur laquelle je tiens difficilement, mais je joue le jeu parce qu’il m’amuse aussi à sa façon. Parce que je ne peux pas désirer si je n’ai pas d’obstacle dans l’obtention de mon désir. Elle me malmène en créant chez moi suffisamment de frustration et d’attraction pour que cela se transforme en sublimation.

Ce que je recherche, c’est le partage d’une émotion, pas quelque chose de beau et de socialement valorisé, mais un sentiment qui n’est ni bon, ni mauvais, qui est tout simplement sans chercher à savoir quelle place il occupe sur la grande échelle du Bien. L’écrit permet de créer instantanément cette relation d’intimité, ce chuchotement plaisant qui amène à la confidence. La personne qui lit s’épanche et se raconte, elle ressent le désir de lire parce que cela fait écho chez elle à tout un tas de sensations, sentiments, réflexions… et nos deux désirs se rencontrent dans ce partage silencieux, cette connexion invisible qui nous unit dans une proximité qui serait presque insupportable si elle n’était pas virtuelle.

J’écris parce que je ne peux pas parler.


Clara Rimbaud

mardi 15 décembre 2009

Décrire le désir d'écrire (5) - par Martine B.

Parfois je suis une boulimique de l’écriture, mais pas toujours, l’an dernier par exemple je ressentais davantage le désir de faire du sport avec mes amis et j’ai peu écrit.

Quand je me suis mise à écrire, (des nouvelles car par ailleurs j’ai comme tout le monde rédigé des trucs pour mes études, pour le boulot…) au début c’était merveilleux car je n’en voyais que les bons aspects, j’avais l’impression de créer quelque chose. Quelques années après, je trouve mes premiers textes maladroits pour dire le moins. Il n’empêche que j’en ai réécrit certains, ils n’ont plus rien à voir avec les essais originaux, il faut bien admettre que je prends un grand plaisir à trancher dans le vif et à les « ciseler ». Donc le désir doit être toujours là…

Mais ce n’est plus un besoin impérieux, et c’est très bien comme cela car je me rends compte que je n’aurai jamais le temps de m’y mettre vraiment tant que je travaillerai. L’atelier de Martin est parfait car toutes les propositions qui y sont faites me permettent de prendre une bouffée d’oxygène sans y consacrer trop de temps, et en ce moment ce que je préfère dans l’écriture c’est cette possibilité de faire une pause et de se soustraire aux tracas du quotidien qu’elle offre, tout comme la lecture d’ailleurs.

Je me souviens qu’au début j’écrivais dans un état de tension quasi permanent, et que j’avais cette impression étrange que les mots s’imposaient à moi, un peu comme si j’étais un médium … Je commençais souvent un texte sans savoir où il allait m’emmener. Je me souviens aussi que c’était « l’écriture qui soigne », car pour comme vous autres des choses sont effectivement remontées à la surface…

Maintenant je prends davantage de recul et j’aimerais bien travailler sur quelque chose de différent pour vraiment me concentrer sur le travail d’écriture. Mais peut-être que je ne ferai jamais et qu’il me prendra l’envie de me remettre à la photo ou de me mettre enfin à la sculpture,… ou autre !

lundi 14 décembre 2009

Décrire le désir d'écrire (4) - par Christine J.

Ça arrive le matin. Un peu d’inquiétude d’abord – avoir le temps, il faudrait que je fasse ça ou ça pour avoir l’esprit dégagé, réussir à me mettre en situation effective d’écrire, plage horaire, pensées focalisées sur ce but, liberté de le faire, que je me donnerais, droit que je prendrais ou temps que je volerais, se débrouiller et composer avec.

Une tension – ce que je fais, tâches ménagères ou autres, est tendu dans ce but, je sens des phrases au bord, elles se préparent, mais mes bras et mes mains doivent faire autre chose, c’est comme se retenir de dire ce qu’on a sur le cœur, comme rater la belle bleue d’un feu d’artifice, tension.

Une autre inquiétude ensuite – et si j’arrivais à préserver du temps et qu’au moment d’écrire rien ne sortait, que des mots gourds, falots, besogneux, une impasse et même pas la place de manœuvrer dans la ruelle pour un demi-tour…

(et puis au fond, c’est bien pratique de mettre sur le dos des taches-ménagères-ou-autres la faute, l’échec, la frustration. Parce qu’écrire, c’est quand même avancer sur un escalier invisible, bouger vers un point inconnu sur un sol inconnu, je ne suis pas dupe, mon alibi est illusoire)

Une certitude aussi : il faut que j’écrive. Pourquoi est une autre histoire sur laquelle je ne mets pas de scénario, trop remuant sûrement, trop de séismes dans le pourquoi, contrer la mort dedans, la mienne et celles de ceux que j’aime, laisser des traces, planter un piolet dans la montagne, peindre un écriteau dehors avec une flèche qui me désigne, chanter fort dans le train, perdurer, exister, trop remuant d’y penser à la fin.

La faim : celle de ce moment de travail où je vais mettre les mots, les déplacer, les reprendre, les chercher, les retrouver, m’adapter à eux, les suivre (et la surprise, parce que quelque chose, l’image d’un homme travaillant sur le toit d’une maison que j’ai vu la veille va surgir, un pan va s’ouvrir que je portais sans le savoir, je suis plus large que je ne crois et, malgré ma peur, je chante fort dans le train devant tout le monde, et même très fort, et même sans honte, ou presque pas).

L’envie du moment d’après aussi : après, ce qui devait arriver est arrivé, j’ai réussi, j’ai écrit, je ne sais pas si c’est bon ou mauvais, mais ça existe, cohérent avec moi, légitime, et ça a balayé la tension, les inquiétudes, et ça a fait se taire le pourquoi qui menace toujours de me pousser d’un coup d’épaule contre le mur du couloir quand je le croise.

L’inquiétude, l’envie, la faim, la certitude, la surprise et d’autres choses que je ne sais pas nommer, le désir d’écrire est présent presque tout le jour jusqu’au soir. Il me reprend le jour suivant dès le matin, à l’heure de la première lessive."

samedi 12 décembre 2009

Décrire le désir d'écrire (3) - par Sophie B.

Décrire le désir d'écrire, comment faire? Le désir d'écrire, c'est les mots qui viennent tout bas (comme le dit ce cher formidable William Sheller). C'est aussi les mots qui parlent tout bas. Les mots vont et viennent (quelle chance ils ont de s'en laisser aller ainsi langoureusement) tout bas...
D'abord entre eux, ensuite face à nous, et encore ensuite face aux autres parfois. Ceux qui écrivent tout bas et rêvent tout haut d'un monde meilleur. Meilleur ou autrement. Autrement parce qu'on aimerait y montrer nos mots. On aime s'écrire, on aime aussi écrire en pensant à la terre ronde (à la terre verte). A la terre pleine de tous. J'aime parler aux gens. Mais souvent je n'ai pas le temps. Parce que j'aime bien les écouter avant tout. J'aime écouter et voir les gens vivants. J'aime lire leurs histoires. Et pour ma part, voilà désir de leur écrire...
J'aime écrire. La fascination des lettres. Enfant, alors que je jouais à écrire (sérieusement sur une feuille, assise droite sur ma chaise) et quand par un si heureux hasard, une crolle ressemblait à ce qui, je l'apprendrai plus tard, serait un g, un b ou un f. Et puis la fascination des mots. D'un mot plus un mot plus un autre et puis encore un autre. Et puis, les mots qui se mêlent, se rencontrent (qui s'entrechoquent aussi, dans ce cas, vive les parenthèses). Des phrases. Des phrases de mots qu'on aime lire. Et entendre aussi. J'aime les chansons en français, dans mes oreilles, je lis les phrases chantées. Ca m'arrive parfois d'avoir devant les yeux, un clavier imaginaire qui écrit les mots que j'entends. Et je me dis "Ah que j'aimerais l'écrire cette chanson"...

Sophie B

vendredi 11 décembre 2009

Le désir, quelle connerie - par Franck Garot (Exercice d'écriture n°7)

Écrire serait le fruit d'un désir comme une envie de tarte aux fruits ? Belle connerie ! Comme si l'écrivain était actif, comme s'il se disait un jour : tiens, et si je devenais écrivain ?

D'après Tchekhov, on devient écrivain parce qu'un jour on se casse une jambe. À la première lecture de cette déclaration, on se dit qu’au départ écrire sert à tromper l'ennui, puis on se prend au jeu jusqu’à devenir écrivain. Bref, la jambe cassée comme catalyseur d'une vocation d'écrivain.
Seulement, je vois cette jambe cassée autrement, elle peut être autre chose, une guerre, un viol, la mort qui vous caresse doucement la joue, une maladie qui ne vous lâche pas, ou simplement un dégoût profond, et alors on écrit contre, contre le monde, pour se sauver. (D’aucuns pensent sauver la littérature, ceux-là seront éternellement malheureux, eussent-ils brillamment démoli Nisard.)
Évidemment, c’est un vaste programme, alors les écrivains se partagent la tâche. En vrac, et sans être exhaustif, le taulier de ce blog se bat contre une idée de la pratique de la médecine, Didier Daeninckx contre Papon avec Meurtres pour mémoire, Emmanuel Carrière contre les sociétés de crédit dans D’autres vies que la mienne, Laurent Mauvignier contre le silence autour la guerre d’Algérie dans Des hommes. Écrivent-ils par désir ? Posons-leur la question. En attendant, mon hypothèse est simple : le monde leur est insupportable, alors ils écrivent pour le dire, voire le changer. Question de survie.
Et l’écriture comme une entreprise de sauvetage exclut de facto le désir. On ne se sauve pas par désir mais par obligation, c'est un besoin – parfois une drogue. J'ai en mémoire cette scène du film de Agnès Jaoui où le personnage de Jean-Pierre Bacri, un écrivain justement, quitte le concert de sa fille en urgence parce que l'inspiration lui revient comme un raz-de-marée, le submerge, et à ce moment-là, ce n'est pas du désir, c'est juste un besoin vital, et c'est cela pour moi, écrire.
Je n’en suis pas – du moins pas encore – arrivé à cet extrême (notez que je ne suis pas encore écrivain), mais je n’ai jamais « envie » d’écrire, non, je ressens un besoin, irrépressible. Et puis écrire n’est pas toujours agréable, une vraie lutte parfois, contre l’histoire qui se défile, contre les personnages qui m’échappent, contre les mots qui me manquent ; l’écriture devient une douleur : qui peut désirer souffrir ? Peut-être ne suis-je finalement qu’un junkie de l’écriture.
Alors oui, le désir, quelle connerie !

Franck Garot

jeudi 10 décembre 2009

Décrire le désir d'écrire (2) - par Gilda

Le sujet m'intéresse mais je suis mal barrée : l'écriture pour moi n'est pas de l'ordre du désir, elle est nécessité.

Elle l'est devenue à l'instant même où je m'y suis autorisée, de façon fort tardive puisque j'étais à une semaine de 40 ans et que c'était ma grande amie, l'âme sœur, qui après plusieurs années d'un très patient travail pour m'en faire approcher, jugeait le moment opportun pour me botter les fesses et me dire Mais regarde, patate, tout y est.
Et la patate a failli répondre par retour de message, Mais tu es folle !, je ne sais pas, moi. Seulement avant, par respect, elle a essayé de suivre la piste indiquée, des bribes préexistantes, une façon de les rassembler, et s'est rendue compte que ça dessinait quelque chose et qui ressemblait bien un peu à ce qu'on lisait dans les livres en papier.

Ça écrit dans ma tête presque à flux continu, il faut vraiment que je sois très concentrée sur quelque chose à vivre, par exemple très malade, très en danger (1) ou très amoureuse, pour m'en déconnecter. J'avais eu auparavant une vie trop peu confortable, trop laborieuse et trop chargée pour en prendre conscience. Écrire consiste pour moi à syntoniser la bonne longueur d'onde afin de n'écouter qu'une émission et une seule à un moment donné, me mettre au clavier et retranscrire. C'est donc un travail. Il est parfois pénible et risqué, ce que je cherche à capter vient de très loin et m'apprend des choses que j'aurais préféré ignorer ; d'autre fois elles sont plaisantes, et qui me permettent de comprendre ce que je vois et vis en y mettant les mots et parviens à en rire même si sur l'instant j'avais failli mal aller.
Souvent c'est le sentiment que les histoires, les récits, préexistent et qu'ils cherchent désespérément quelqu'un par qui passer afin d'être communiqués. Je suis un récepteur-ré-emetteur.
Aucun désir là-dedans. À moins que dans un second temps, celui de filtrer, trier et affiner afin de rendre l'émission pour les autres écoutable.
Si je reste trop longtemps sans faire mon boulot, toutes les phrases traînent et s'entassent et je me sens confuse jusqu'aux plus simples gestes de la vie quotidienne.

Depuis qu'on m'a poussée dans le bassin des mots, j'écris pour surnager. Il était grand temps que quelqu'un le fasse, sur le bord, j'étouffais.

(1) ou l'un des miens, surtout s'il s'agit des enfants.

PS : Mon "500 mots" est très à la louche, on dirait

mercredi 9 décembre 2009

Petits poèmes à naître - par Yannick

A pas contés
A compter du premier jour
Un murmure, un clapotis, un frisson.
Au creux de la nuit, un être muet et sensible
S'achemine vers la lumière extérieure

De cet inspir, expir
Il nous livre une langue
Un souffle
Une âme.
Notre âme

Quelles sont les pensées
D'un enfant
Dans le ventre de sa mère ?

Ces touches impressionnistes
Librement inspirées
Vous livrent ce qu'humblement
Je crois avoir entendu
Le long de mon chemin en compagnie
De leur présence douce et rassurante


Il écoute sur Terre
le souffle des Anciennes
Et ses mères portent
Leur ventre en offrande


Je suis là pour voir
Dit l'enfant sage
Pour voir les oiseaux voler

Un voile de brume
Recouvre la Terre
Volutes sur l'étang

Les phrases du vent
Inscrivent le désert
Dans l'enfant qui sommeille
Lové sur le coeur de sa mère

Au centre de la femme
Un bouton de cristal
Un petale de vie
Un chant de liberté

Il va à la vie
Rire de son destin
Au creux de tes reins

Belle est ma mère
La Terre
Lorsqu'au fond de l'Arctique
Elle sourit de ses dix mille feux
Et sur mon corps ébauché
je sens son souffle ardent
je viens
Tout doucement

Le nacre de la conque
Dans le matin blême
Frissonne
Blanche comme l'écume

Ses longs doigts dansent la vie
Un tendre courant l'emporte
ReNaître aujourd'hui

Sur une nappe
En papier cloqué
le thé celeste fume

Les drapeaux de prière
parlent au temps
Et les âmes sourient.

Bonne journée et merci pour tout.
yannick


Note de M.W. : Yannick est sage-femme.

Quand je serai vieux (Exercice n°6) - par Ari Jardou

Moi,
Quand je serai vieux (et si j’y arrive)
Et si je peux encore écrire
Car je veux continuer d’écrire
J’écrirai.
J’écrirai
Tout ce qui me passera par la tête
Tant qu’il s’y passera quelque chose.
J’écrirai
Toujours
Et même après.
Même quand il ne s’y passe plus rien.
J’écrirai
A propos de ce vide
A propos de ce silence
Ou a propos de ce bourdonnement
Dans ma tête.
J’écrirai
Je ne sais quoi.
J’écrirai
Je ne sais pour qui pour quoi.
Mais j’écrirai
Pour ne pas
Crier mon Désespoir, ma Solitude, mes Souffrances.
J’écrirai
Car il va falloir
Que je tue le temps qui me reste
Avant qu’il ne me tue.
J’écrirai
Au Temps, au Vent, à l’Hiver et à l’Eté
Pour qu’il me tue
Alors qu’il me reste encore ma tête.
J’écrirai
Même si quelqu’un vient me retirer ma plume ou mon crayon.
J’écrirai
Avec mes doigts dans l’Espace.

Mon cœur se sera arrêté
Mes doigts écriront encore.
Et à leurs tours s’immobiliseront tel un Marin
Agrippé à son gouvernail
Dignement – Sombrant dans l’Océan – Faisant corps avec son Navire.

De cet Océan de l’Oubli et du fond même de la vase,
J’écrirai.
J’écrirai.
Et je ne cesserai d’écrire.
A tous ceux qui m’auront aimé
Et à mon sang et aux sang(s) de mon sang.
- Ari JARDOU (07 Décembre 2009 21h42)

J’ai toujours « écrisenvain ». Peut être que cette fois c’est différent.
(Je cherche un Facteur qui veuille bien porter ces écrits aux autres « Ecrivants » de ce blog).
Merci Docteur.

lundi 7 décembre 2009

Décrire le désir d'écrire (1) - Exercice n° 7 par Zelapin

Je viens timidement proposer une idée d'exercice d'écriture. Elle m'est venue en réfléchissant sur le désir/besoin d'écrire, et je me suis aperçue qu'il m'est difficile de décrire cette sensation.
J'ai essayé et je me demandais si cela avait un intérêt en tant qu'exercice, d'autant que je serais très intéressée par la connaissance de ce phénomène chez d'autres écrivants.
La consigne pourrait être celle-ci "décrire votre désir d'écrire", en 500 mots maximum à la louche.

Et voici ma contribution :



Décrire le désir d’écrire

Le désir d’écrire reste une sensation intense même quand je n’écris rien, même si j’essaie d’écrire, assez présente au cours de la journée.
Et je me suis aperçue de la difficulté avec laquelle je parviens à décrire cette sensation, la pauvreté de ce qui vient.
J’essaie d’y travailler.

Une représentation de ce désir qui se mue souvent en besoin pourrait être une pièce dans un appartement fraîchement investi, qui contiendrait des cartons, des tas de cartons (nombreux et empilés).
Les habitants peuvent vivre confortablement dans cet appartement, manquent seulement quelques objets, quelques vêtements, quelques effets personnels (expression plaisante « effets personnels ») contenus dans ces cartons. Ils y ont accès librement, mais ce n’est pas si simple ; pour accéder au contenu convoité, il faut repérer le carton désigné, le localiser, parfois retrouver dans quel carton l’objet attend, puis parvenir à récupérer ce carton, peu accessible.
Cette image est vraie dans la mesure où elle traduit cette impression que ce que je pourrais écrire est déjà là, que je le contiens, même sous une forme embryonnaire, je peux continuer à vivre, sans jamais aller le chercher, mais je vis sous le même toit.
Voilà pour la partie « matière à écrire », mais ce désir d’écrire est également une tension, un bouillonnement, ou un bruit de fond, un peu comme un acouphène, présent quand l’alentour est calme, masqué par certaines fréquences qui distraient l’oreille et le cerveau.
Cette tension pourrait être illustrée par l’image d’un enfant ayant reçu à un anniversaire un nombre important de cadeaux convoités depuis longtemps. La projection du plaisir procuré par l’usage de chaque cadeau empêche, entrave la mise en action ; l’enfant aurait envie de jouer avec tous, individuellement mais simultanément et il ne sait par lequel commencer. L’idée même de l’utilisation de l’un d’eux est balayée par l’anticipation du plaisir procuré par un autre et ainsi de suite. Au final peut ne subsister que l’excitation provoquée par ces possibles.
Comme cet enfant, j’ai du mal à décider de ce que je vais écrire, et surtout, j’ai tellement envie de le faire, dans tellement de directions qu’elles s’annulent toutes, ou presque.
Cette envie de l’écriture ressemble donc bien à un désir (tension) soumis à la mise à disposition d’un matériau, dont la disponibilité reste aléatoire.





dimanche 6 décembre 2009

A propos de "Docteur Prose" - par rvqras@gmail.com

A quand un "Comme Un Roman" appliqué aux fictions télévisées et aux oeuvres cinématographiques ?
Un jour un collègue m'a dit "je ne pensais pas que c'était ton genre de film". Ah bon ? Un bodybuilder ne doit aimer que les films de Chuck Norris ? Une vendeuse en parfumerie doit elle être uniquement fan des comédies romantiques de Hugh Grant ?
Un ami a acheté des coffrets de "Ally McBeal". Il apprécie beaucoup le film "Notting Hill", avec Julia Roberts. Il est parfois mal à l'aise à l'idée que "cela se sache".

Les dix commandements du spectateur :
1- Le droit de détester et/ou d'adorer un succès du box office
2- Le droit d'être exigeant et/ou bon public
3- Le droit de regarder les films et les séries uniquement en VO ou uniquement en VF
4- Le droit d'appuyer sur "avance rapide" ou sur "pause"
5- Le droit d'appuyer sur "stop" ou de sortir de la salle
6- Le droit d'aimer
* "Le Septième Sceau" et "Terminator"
* uniquement "Le Septième Sceau"
* uniquement "Terminator"
7- Le droit d'être ému par "Police Academy" et/ou "Sur La Route de Madison"
8- Le droit de rire en regardant "Mary A Tout Prix" et/ou "Dancer In The Dark"
9- Le droit de regarder uniquement une scène, le début, la fin ou la bande annonce.
10- Le droit au silence et/ou au bruit pendant la projection.

rvqras@gmail.com

lundi 30 novembre 2009

Lire, écrire. Rêver, peut être - par Martin W.

Le pire, finalement, ce n'est pas "ne pas pouvoir écrire", ou "ne pas savoir quoi écrire", c'est en avoir trop à écrire à la fois. En sachant que le temps n'est pas extensible. Et puis qu'il y a le temps pour la famille. Et puis aussi l'intendance (dont il faut bien s'occuper). Et puis les travaux alimentaires (qu'il faut bien faire pour faire tourner l'intendance, les gosses c'est sympa mais ça bouffe tout le temps, ça grandit tout le temps il faut leur acheter des trucs nouveaux, ça râle tout le temps il faut les sortir ou leur donner vingt balles pour qu'ils aillent râler avec leurs copains, ça dort tout le temps il faut les faire lever pour qu'ils donnent un coup de main à passer l'aspirateur, ça se salit tout le temps il faut bien faire la lessive et quand il neige déjà que la lingerie n'est pas tout près c'est la galère, ça parle tout le temps il faut bien les écouter et s'intéresser à ce qu'ils racontent des fois qu'ils seraient tentés de se venger de notre manque d'attention en allant fumer un joint ou boire de la bière en cachette ou cambrioler une banque, bref ! Ca prend du temps.

Le temps, ça n'est pas extensible, je l'ai déjà dit mais je n'en finirai jamais de le dire, et quand il y a tout plein de choses à faire (les textes alimentaires, le cours bi-hebdomadaire à préparer, les courses, les démarches administratives et les entretiens avec les étudiant(e)s qui viennent discuter du contenu de leur copie et de la note qu'on leur a mise injustement - oui, oui, ça fait partie du boulot des enseignants, au Québec, de recevoir les étudiants pour écouter leurs arguments...) il est difficile d'avoir du temps  pour écrire ce qu'on veut. Et pour lire.

L'autre jour après être allé voir "Fantastic Mr Fox" (je vous le conseille, c'est excellent) avec mon boss et une demi-douzaine de garçons entre 10 et 16 ans, je me suis dit que la principale raison pour laquelle j'aimerais avoir un poste de prof dans une université d'Amérique du Nord c'est parce que j'aurais une allocation livres : je pourrais commander tous les bouquins que je veux (enfin pas tous, mais beaucoup) et même, si j'étais prof de "Television Studies" spécialisé dans les séries télé, les coffrets des séries qui pourraient me permettre, de près ou de loin, de faire mes cours, d'écrire mes articles et mes bouquins sur le sujet.

Notez bien que ça ne changerait rien à mon problème : même si j'avais tout l'argent qu'il me faut pour (après avoir payé le loyer, les courses et quatre paires de chaussures de neige taille 46) commander deux douzaines de coffrets de DVD par trimestre à Amazon.ca, je n'aurais pas plus de temps pour les regarder et pour écrire les articles qu'ils m'inspireraient certainement.

Ni les articles qu'on m'a gentiment proposé d'écrire pour la revue du département. 
Ni les textes qui me sautent à la figure en parlant à un étudiant ou à une collègue, ou en lisant La Presse dans le métro.
Ni les romans dont je berce l'idée depuis longtemps.
Ni les chansons que j'aimerais chanter en solo.
Ni les scénarios de séries télé.
Ni les essais qui me donneraient l'illusion d'être un intellectuel influent. 
Ni les textes qui me viennent sans prévenir, comme celui-ci, que je me suis mis à écrire au fil de la plume sans réfléchir.
Et d'ailleurs, pourquoi est-ce que je l'ai écrit, ce texte, alors que j'ai déjà tant à faire. 
Quelle perte de temps, vraiment !

Mar(c)tin

dimanche 29 novembre 2009

Potins sur le potage (Quand je serai plus vieille, 15) - par Marie-Thérèse

Quand j’ai été plus vieille, j’ai calfeutré toutes mes oreilles

comme pour des fenêtres trop usées dans les interstices à courants d’alizé.

Peut-être n’entendais-je plus rien, que les corbeaux mitoyens, au dehors, du pré voisin

Car ici tous mes chats sentencieux ronronnaient, surveillant la soupe aux citrouilles,

qui, Elle, indifférente orange, clapotait et ronchonnait.



J’avais appris une recette recopiée sur mon lit, dans Femme Actuelle, avec de la Vache qui Rit

Un peu de lait et quelques poivrières, dès lors on me prit pour la sorcière du placard à balais. Celle que j’ai chassée un jour, à coups de tapette à mouches, certes mais, avec grand amour.

Une de mes dents venait de me quitter, et la facture du gaz gisait, gluante sur l’évier.



Quand j’ai été plus ancienne, j’ai replié toutes mes antennes

car le Grand Monde m’ inquiétait par ses torrents d’iniquité.

Tous ces allumés en cavale et leurs rudes manies de vandales

aux prises avec leur gros nombril, une impossibilité de regard subtil.

J’avais appris une autre recette, feuilletée près de la fenêtre

dans le magazine ELLE, à la section du cas par cas.

Un onguent contre le mal d’oreilles et toutes les tristes saturations.

Or on me prit pour la pharmacienne, celle des grands bosquets déglingués

que je soudoie de temps en temps, pour soulager mes petites hernies sentimentales

et ces déficits de silence qui m’empêchent de préparer , mieux encore, ma meilleure mort.



Je la sais verticale.



Quand j’aurais été plus vieille, j’aurais ri comme une treille

secouée par des vendangeurs bègues, ruisselante et ahurie.



Lyon (France) Marie-Th . Peyrin
La Cause des Causeuses
http://la_cause_des_causeuses.typepad.com/

samedi 28 novembre 2009

Quand je serai plus vieille (14) - par Anne-la-bibliothécaire

Quand je serai plus vieille d'une heure
J'aurai fini mon livre
Quand je serai plus vieille d'un jour
J'aurai fini ma peinture
Quand je serai plus vieille d'un mois
J'aurai fini mon voyage
Quand je serai plus vieille d'un an
J'en aurai fini avec mon amour
Quand je serai plus vieille d'un siècle
On m'aura oubliée

Anne-la-bibliothécaire

jeudi 26 novembre 2009

Quand je serai plus vieille (13) - par Gilda

Quand je serai plus vieille, j'aurai bien des amants
Cherchant en vain, inlassablement,
La tendresse et l'intensité de Celui qui
M'avait si délicatement courtisée alors
Qu'il savait bien, le bougre, que pour lui c'était fini.


Quand je serai plus vieille, sans cesse je voyagerai
Ça ne sera pas pour m'amuser mais bien pour travailler
Ici, là, ailleurs où je serai conviée.
J'ignore si j'aurai des papiers français.


Quand je serai plus vieille, j'écrirai au clavier.
Ça fera rire les plus jeunes, depuis longtemps passés
À la transmission électronique de pensée.


Quand je serai plus vieille, je cesserai de pleurer
Avoir atteint tant d'âge me fera rigoler.


Gilda

mercredi 25 novembre 2009

Quand je serai plus vieille (12) - par Maud K.

Quand je serai plus vieille
je porterai le monde sur mes genoux
et mes petits enfants avec.
J'aurai une poitrine large où il fait bon se nicher
et plein d'amour a distribuer.

Quand je serai bien vieille
je serai sage
et irréverencieuse.
J'aurai dans mes bagages
des souvenirs, des regrets, des remords
et des victoires.

J'aurai vu les hommes
et compris leurs ressors
surpris leurs travers
et déniché leurs trésors.
J'aurai appris les hommes.

Quand je serai d'un autre temps
je m'inclinerai d'un sourire entendu.
Les rides et le vent sur ma peau
auront caché les marques des entraves
d'un autre temps

Je serai nue et je serai belle.
Sous mes tempes grises
danseront les feux des rêves accomplis
et dans mes mains flétries
dormira le guerrier, au repos.

Quand je serai plus vieille
je serai nue, et
je porterai l'essence du monde
comme parfum.

mardi 24 novembre 2009

Quand je serai vieille (11) - par Sophie B

Quand je serai vieille, je n'aurai plus de mémoire, je n'aurai que l'avenir devant moi, je ne repenserai pas à hier, je serai là ou ici aujourd'hui.
Quand je serai vieille je regarderai les fleurs, les feuilles, j'écouterai des insectes et je n'entendrai que ça, je sentirai l'odeur de la terre, je passerai des nuits dans mon jardin, je scruterai les étoiles et je les verrai filer.
Quand je serai vieille je rencontrerai une nouvelle personne chaque jour, je passerai du temps avec lui, avec elle, on parlera sans compter le temps, on parlera ensemble dans le monde et hors du temps, on sera des amis de la journée.
Quand je serai vieille, je comprendrai pourquoi je reste toute la journée assise dans un parc à regarder le monde autour et au-dedans de moi.
Quand je serai vieille, je n'écrirai plus, je parlerai, j'écouterai ma tête.
Quand je serai vieille, une journée sera un siècle, une heure une éternité, le temps n'aura plus de prise sur moi, j'aurai tout le temps, tous mes yeux, tout mon corps, toute ma tête.
Quand je serai vieille, je n'aurai plus mal au dos, aux yeux, aux mains, aux pieds, aux cheveux.
Quand je serai veille, je n'aurai plus envie ni besoin d'aller travailler.
Quand je serai vieille, je commencerai déjà bien demain.

Quand je serai vieille, je m'appelerai toujours Sophie B.

Sophie B.

dimanche 22 novembre 2009

Docteur Prose

Montréal, salon du livre, 20 et 21 novembre 2009.

Onze ans après le Livre Inter et notre première rencontre (je ne l'ai revu qu'une fois entre temps) je passe deux longs moments avec Daniel Pennac, invité d'honneur avec Tonino Benacquista du Salon du Livre de Montréal.

En me revoyant, Pennac me salue comme si nous étions deux vieux amis. Et en un sens, c'est vrai : il me raconte que sa compagne a lu à haute voix Le Choeur des femmes pendant qu'il traversait la France pour se rendre dans leur maison du Vercors (à moins que ce ne soit au retour ?) ; de mon côté, je lui dis combien Chagrin d'école, de même que Comme un roman sont des livres importants à mes yeux.

La première rencontre, le soir de la délibération du Livre Inter, dans les salons de Radio-France au milieu des 24 jurés, était une rencontre de sensibilités et d'intelligence réciproque. En dînant avec lui, hier soir, avec sa femme Mine et MPJ à la table où nous avaient invités notre diffuseur commun au Québec, Gallimard Ltée, j'ai senti une nouvelle fois tous les "atomes crochus" qui me l''avaient d'emblée rendu si familier, si fraternel.

Pennac est un type comme je les aime : cultivé et jamais hautain, grave sans jamais perdre son humour, respectueux et chaleureux. C'est un bonheur de parler avec lui et de l'écouter raconter des histoires. Il me décrit ainsi plusieurs idées de nouvelles qu'il n'a jamais eu le temps de mettre en oeuvre, désolé de la lenteur avec laquelle il écrit, précisant avec humilité que cette lenteur n'est même pas - hélas ! - gage de qualité. Je me dis que j'écrirais volontiers avec la même lenteur si j'étais assuré de produire des livres "d'aussi piètre qualité" que les siens.

Comme moi, il aime parler de ses livres en cours : contrairement à d'autres écrivains, il n'a pas le sentiment que le fait d'énoncer verbalement une idée va l'éventer ou la dilapider, mais que la narration parlée prépare l'écrit.

Parler avec Daniel Pennac, c'est entendre un récital d'histoires.

Et puis l'homme est plus que généreux. Ce midi, en tête à tête avec Jean-Paul Hirsch, "ange gardien" des écrivains (et bras droit de Paul Otchakovsky-Laurens)  chez P.O.L., je lance que j'aimerais bien écrire un "petit livre" dans le genre de Comme un roman et Chagrin d'école. 

Arrive Pennac, qui vient de passer une heure et demie à signer sans interruption (vingt minutes avant la séance, on tendait des rubans le long du stand pour canaliser les lecteurs déjà dans l'attente de son arrivée ; il est aussi aimé au Québec qu'en France). Immédiatement, je lui lui dis que j'aimerais écrire un livre qui ne soit ni un roman ni une réflexion théorique mais qui ressemble à ses deux ouvrages - et tandis que je peine à les définir il murmure :
" Un essai narratif."
" C'est ça..."
"Eh bien figure-toi que j'ai pensé à ça cette nuit, après t'avoir entendu parler de médecine hier soir au dîner. J'ai pensé : 'Il y a un livre que seul Martin pourrait écrire autour de la relation étrange que nous avons avec les médecins.' Tu le fais déjà dans tes romans, mais tu pourrais le faire aussi sous une autre forme. C'est ton domaine. C'est ton expérience. "

Et il poursuit en me confiant  qu'à son avis, Comme un roman et Chagrin d'école, au fond, sont des livres qui parlent de la peur et de l'humiliation - la peur et l'humiliation de ceux qui se sentent "disqualifiés" par des discours dogmatiques.

La conversation me fait un bien fou. C'est une de ces conversations qui éclairent, libèrent, allègent l'esprit. D'un seul coup, mes complexes s'envolent : oui, j'ai suffisamment d'expérience pour écrire un "petit livre" comme ceux de Pennac.  Et je me sens porté par son mouvement généreux, son désir de soulager, de déculpabiliser, de réhabiliter.

Mais ça n'a rien d'étonnnant, au fond : l'écriture de Pennac soigne.

Martin Winckler

samedi 21 novembre 2009

Quand je serai plus vieux (10) - par Jérôme

Quand je serai plus vieux, je me sentirai mieux
Finie la diplomatie et bonjour l’autarcie

Bien sûr, j’aurai mal d’être à l’hôpital
Mais les docteurs ne me feront plus peur

Je n’aurai plus droit aux pizzas et tu ne seras déjà plus là
Et je serai mûr à défaut d’être mature

J’aurai accepté mon prochain décès et les regrets seront passés
Car enfin j’aurai compris qu’on fait sa vie… pas la vie…

Jérôme

Quand je serai plus vieille (9) - par Abou

Quand je serai plus vieille,

puisque déjà je suis
mais là je serai plus;
demain donc,
demain je me lèverai tôt
et courrai sur la route
rattraper tout là-bas
cette enfant qui se tient
immobile
dans ses rêves,
depuis le début de moi.
Je poserai ma main
alanguie, fatiguée,
sur son épaule.
Je dirai
"Me voilà,
enfin.."
Elle, un peu boudeuse :
"Tu as mis le temps…
Qu'as-tu vu de l'amour ?"
Un long silence,
et moi :
"J'ai traversé.
Il pleuvait,
parfois"

Et nous resterons là
attendant
que l'ange
nous métamorphose

Abou

Quand je serai plus vieux (8) - par Lilian

Quand je serai plus vieux

Je ne serai pas beaucoup plus rideux
Je n’aurai pas plus de poils aux yeux
Des oreilles qui pendent jusqu’aux orteils
Une bouche qui manque de vermeil
Un dentier en or massif
Des réflexes trop passifs
C’est pas tout de suite que je serai catarrheux :

Ca prend du temps d’être plus vieux


Lilian

When I get older (7) - par Brigitte F.

When I get older… many years from now, disaient-ils.
On y est, on est Older tout à fait, on a encore des cheveux, mais aussi déjà des douleurs par ci par là… on se dit qu’il faut encore travailler, mais s’enfuir vite avant que les politiques n’inventent le labeur à vie.
Et… alors le temps s’ouvrira où on aura du temps
Le temps de partir, loin et près, longtemps ou pour quelques jours, n’importe où, n’importe quand, qui sait, avec n’importe qui
Le temps de sombrer dans le prochain Winckler sans culpabiliser parce qu’il y a tout de même quelques urgences (Tu n’as rien d’autre à faire ?, disait ma grand-mère quand elle me voyait un livre à la main) Virginia W. et les américains aussi… en version originale, gymnastique cérébrale, tentative contre menaçante décadence de la mémoire.
Le temps de lire La Recherche, enfin, en entier, dans les beaux volumes Pléiade achetés il y a tant et de relire Flaubert ou Balzac, Zola ou Stendhal, voire de se plonger enfin dans Tolstoï et Dostoïevski, ou
Le temps d’écouter, plus seulement entendre
Le temps de regarder les petits grandir, paisiblement, sans hâte
Le temps de leur dire des histoires, le temps de leur montrer les saisons
Le temps de marcher moins vite en espérant aller tout de même aussi loin, aussi haut, puisqu’on aura le temps
Le temps de voir, revoir, voir, revoir, tous les films ratés ou aimés, les nanars et les polars, les d’amour et les de guerre, les à rire ou à pleurer, les autres aussi
Le temps de dormir au gré du besoin
Le temps de se dire qu’on a le temps, que rien ne presse plus vraiment
Et puis après, le temps d’en finir, de fermer les portes et fenêtres, de s’éloigner.

jeudi 19 novembre 2009

When I am an old Woman (6) par Martine B.

(Version anglophone de "Quand je serai plus vieille, 1")

When I am an old woman
I will ride a motorbike in a brand new leather gear,
I will get tickets for speeding and not stopping at traffic lights
and refuse to produce my driving license as I won’t have one.

I will stop all the clocks to do only what I like,
I will read or write at night and have breakfast at teatime.
When I am an old woman I will no longer stick to my diet
but gobble up chocolate, and curries, and lemon pies.

I won’t be bothered with people who know best
and will tell them to bugger off, excuse my French!
My friends from the funerals of people we did not know
will all be young and cheeky, with a gift for carelessness.

For up to now I‘ve had to watch my Ps and Qs
“Yes Miss,” or «Please Sir”, or “Thank you Madam”.
You do have to be a role model for the children
so you get used to being sensible and reasonable.

Why not start practising right now, though,
so that nobody will be surprised
when one day I have become an old woman and buy a motorbike.

mercredi 18 novembre 2009

Quand je serai plus vieille (5) - par Emmanuelle M.

Quand je serai vieille
Le soir à la chandelle…
Ah non, ce n’est pas ça !

Quand je serai plus vieille, je ne crois pas que je ne serai pas si différente de maintenant.
J'espère être plus mince, mais ce n'est pas sûr.
J'espère être moins angoissée, mais c'est encore moins sûr.
Je serai toujours révoltée, ça c'est sûr.
J'aurai peur pour mes enfants, c'est aussi sûr.
 
Quand je serai plus vieille, j'espère ne pas devenir une mère indigne, ce serait la plus grande honte et le plus grand ratage de ma vie.
 
Quand je serai plus vieille, j'espère pouvoir retourner dans ma Normandie, le seul lieu où il fait bon vivre pour moi (mais je ne connais pas l'Angleterre et pas toutes les îles anglo-normandes, et elles me conviendraient sûrement aussi).
 
Quand je serai plus vieille, je n’irai pas en maison de retraite.
Quand je serai plus vieille, si je suis très malade, je ne me soignerai pas, je me suiciderai.
J’espère pouvoir partir de mon propre fait, c'est-à-dire ne pas être dans l’incapacité physique ou psychique de le faire.
Quand je serai plus vieille, je ne supporterai pas plus les hôpitaux que maintenant.

Quand je serai plus vieille (4) - par Lyjazz

Quand je serai plus vieille
Ben je serai toujours jeune dans ma tête
Parce que mes enfants sont bien plus jeunes que moi
Et que je vais maintenir mon corps et mon coeur et mon esprit
Dans un état assez potable pour garder ma jeunesse.
De toute manière
J'aime déjà être vieille,
C'est à dire pleine de sagesse
Ou alors davantage que quand j'étais jeune
Me suis jamais sentie jeune
Seulement impatiente et trop perméable aux émotions extérieures.
Maintenant je sais mieux me centrer
J'aime mes 45 ans pour ce qu'ils sont :
l'expérience, l'envie d'aller à l'essentiel
Sans m'encombrer de l'inutile et du superflu
Même dans les relations humaines.
Comment dire ?
Quand je serai plus vieille
Je serai sûrement aussi chiante que maintenant
Voire même davantage.
Et je continuerai à faire ce qui me plait, quand ça me plait.
Voilà !

Lyjazz

mardi 17 novembre 2009

Quand je serai plus vieille (3) - par Brigitte C.

Quand je serai plus vieille,

doucement, je m'en irai.



D'hésiter je finirai

quand je serai plus vieille.



Quand plus je n'aurai de miel,

doucement, je m'en irai.



Dans le vent, sous le soleil,

en silence le voudrais,

quand je serai plus vieille

doucement je m'en irai

lundi 16 novembre 2009

Quand je serai plus vieille (2) - par Zelapin



Quand je serai plus vieille, je ferai semblant de n’avoir peur de rien,
Je poserai mes lunettes toujours au même endroit, à côté de mes clés,
Je saurai lire entre les lignes et les relations humaines couleront de source.

Quand je serai plus vieille, j’aurai une heure de plus et je lirai au lit,
Un livre pour la jeunesse, parce-que c’est relatif.
Tout est relatif et bien plus encore, et en particulier les textes que l’on lit.
Puisque j’aurai une heure de plus, je pourrai lire ce que lisent les jeunes,
Personne ne s’en étonnera et surtout pas toi, qui auras toujours deux ans de plus que moi.

Quand je serai plus vieille et presque morte, je serai comme là, tout de suite maintenant,
La vie sera la même, chacun sera le même, et tous s’en rendront compte :
Quand on sera plus vieux, maintenant ou après,
C’est de ne plus nous voir qui nous importera.