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dimanche 22 août 2021

Je me souviens de mes débuts sur l'internet - par Marc Zaffran & Martin Winckler


Je me souviens de Compuserve et d'AOL, qui étaient les deux premiers (et longtemps les seuls ? Les principaux ?) fournisseurs d'accès internet (FAI) disponibles en France. J'ai eu ma première adresse Compuserve pendant l'été 95 (année où j'ai commencé à tenir mon journal sur mon ordinateur, et non plus dans des cahiers). J'étais l'un des premiers dans mon entourage à avoir une adresse électronique, avec mon frère, qui bossait dans une ONG (ou peut être déjà à l'OMS). 

Plus tard, je me suis aussi abonné à AOL. 

(Je me souviens que c'est mon frère qui m'a initié à Word en m'envoyant une copie de Word 3 (!!!) sur une disquette 5,25. A l'époque, les logiciels étaient moins bien protégés.) 

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Je me souviens qu'il fallait installer une carte modem dans son ordinateur. Et que quand on se connectait, ça bloquait la ligne téléphonique. (Le fax aussi, d'ailleurs. Vous vous souvenez des fax ?) 

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Je me souviens que les anglophones parlaient de "The Internet" (littéralement, "l'Inter-réseaux") et que les francophones insistaient pour dire "Internet" (sans article et avec une majuscule) comme s'il s'agissait d'une entité. J'ai toujours pour ma part écrit "l'internet" comme "le téléphone" ou "la télévision". 

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Je me souviens qu'on installait Compuserve ou AOL avec (d'abord) une disquette ou (plus tard) un CD


qu'on trouvait inséré dans des revues qui ont aujourd'hui presque toutes disparu. Les disquettes et CD contenaient aussi tout un tas de petits programmes en shareware... 
Charger le programme et l'installer prenait des plombes, mais on avait l'habitude de patienter et de faire autre chose pendant ce temps (mais pas sur l'ordi, car ça occupait la mémoire vive...) 

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Compuserve et AOL n'étaient pas seulement des FAI mais des communautés. Je me souviens des "mailing lists", qui étaient des forums par courriel. J'ai adhéré à la "Law & Order Mailing List" en 1995 ou 96. Je m'y suis fait deux amies. L'une d'elles, Randee Dawn, était une écrivante débutante vivant à Brooklyn. Elle écrivait de la fanfiction et m'a fait découvrir plusieurs séries tournées sur la côte Est, comme Homicide, puis Oz, qui a précédé et annoncé The Wire. 
Randee est aujourd'hui écrivante professionnelle - journaliste, nouvelliste et romancière. 

L'autre amie, Debbie White, était une enseignante de l'Illinois. Elle m'a enregistré et envoyé tous les

épisodes de Law & Order et de ses spin-offs enregistrés sur VHS (en demi-vitesse, huit épisodes par cassette) entre 1996 et 2005. Je recevais un paquet tous les six mois, et les cassettes étaient si solidement emballées dans du papier journal (elle ne voulait pas qu'elles risquent de se casser) qu'il me fallait dix minutes pour l'ouvrir, même avec un couteau à pain ou un cutter. Je lui remboursais les cassette et l'affranchissement et, en échange, je lui envoyais mes articles dans des livres et revues illustrées consacrées aux séries. 

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Je me souviens de l'époque où le WWW n'était pas très facile d'accès et où il fallait beaucoup de temps pour charger des images. Mon PC fonctionnait sous MS-DOS. Je n'ai adopté Windows 95 qu'en... 1998 ! 

Pour apprendre et me mettre à jour sur le DOS j'achetais les MS-DOS Facile, des manuels Marabout épatants rédigés par un auteur qui signait "Virga". Aujourd'hui (21 août 2021), en googlant son nom, je trouve cette biographie sur le site de la librairie Eyrolles : 

"Voici quinze ans qu'il deguste, chaque jour, les joies de l'informatique. Docteur en medecine, criminologue, acupuncteur, journaliste, redacteur en chef de revues medicales et informatiques, directeur de collection, auteur de plusieurs dizaines d'ouvrages, Virga a publie de nombreux titres chez Marabout, dont plusieurs ont depasse les 250 000 exemplaires." 

et que son vrai nom est Ghéorghiï Vladimirovitch Grigorieff !!! 

Euhlamondieu ! Mon auteur préféré des années 90 était docteur en médecine, acupuncteur et journaliste, et je ne le savais pas !!! S'il croise cette page, qu'il sache que je ma gratitude est grande !!! Son Aide-Mémoire de PCTools m'a sauvé la vie en 1996... ! (Si vous le connaissez, faites passer ! 

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Je me souviens qu'au début des années 2000, je voyageais beaucoup. Avant de prendre le train, je passais vingt bonnes minutes à feuilleter les revues d'informatique du kiosque à journaux de la gare. 

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Je me souviens qu'à l'époque du WWW public naissant (il y avait peu de sites commerciaux), j'ai découvert avec joie des sites consacrés aux séries que je regardais quand j'étais gamin : The Twilight Zone, The Man From U.N.C.L.E, Mission : Impossible... Et que leurs animateurs (bénévoles, bien entendu) répondaient à toutes les questions qu'on leur posait. Certains m'ont même envoyé des épisodes introuvables à une époque où les éditions VHS étaient, au mieux, partielles. C'était bien avant le DVD et Netflix... 
Je me souviens avoir pensé : "C'est merveilleux, tous ces gens qui partagent ce qu'ils savent, ce qu'ils connaissent et ce qu'ils aiment..." 
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Je me souviens qu'au milieu des années 90, je travaillais comme traducteur pour des maisons d'édition et des revues médicales appartenant à des groupes de presse qui occupaient parfois un immeuble entier en région parisienne. On m'envoyait les textes à traduire par fax (je vous dis pas la quantité de papier photographique que ça consommait). Je leur envoyais ma traduction sur une disquette par Chronopost. Quand j'ai eu une adresse électronique, je leur ai proposé d'échanger nos fichiers attachés à des courriel. 

On m'a répondu "Ah mais on n'y connaît rien... Il y a quelqu'un qui a un modem sur son PC, quelque part dans l'immeuble, mais personne ne sait s'en servir." 

A la même époque, j'échangeais déjà courriels et fichiers avec des institutions et des personnes en Angleterre, au Canada, en Israël, au Japon... 

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Je me souviens qu'au début du 21e siècle, les "intellectuels" français déclaraient que l'internet, c'était le grand Satan et qu'on n'y trouvait que du "grand n'importe quoi". Et puis, c'était américain. Donc, techniquement, c'était nul. Le Minitel, ça, c'était de la technologie de pointe !!! 



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Je me souviens d'un débat dans un salon du livre au début des années 2000 (à Bron, je crois). 

Un trio d' "intellectuels" (j'ai oublié leur nom) débattait sur scène autour d'une question que je trouvais stupide : "Est-ce que le courrier électronique va faire disparaître la conversation et la correspondance écrite ?" J'y assistais avec Philippe Lejeune, avec qui je correspondais depuis la fin des années quatre-vingts, d'abord par lettre, puis par téléphone, puis aussi par courriel. Il avait trouvé la question stupide, lui aussi. On n'avait pas cessé de s'écrire ou de "converser" depuis qu'on avait l'internet. On le faisait encore plus : ça allait vite, on pouvait s'écrire n'importe quand, sans les contraintes matérielles du courrier papier et sans les contraintes/conventions horaires du téléphone. Au bout d'un moment, fatigué de les écouter dire n'importe quoi, il a levé la main et demandé : "Parmi vous, qui a une adresse électronique ?" Aucun des trois "intellectuels" n'en avait une. Trait bien français : ils dissertaient sur une pratique qu'ils ne connaissaient pas. 
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Je me souviens qu'en 1999 ou 2000, quand j'écrivais Contraceptions mode d'emploi, j'avais pour "bible" l'ouvrage hyperpointu et hyperpratique d'un professeur de médecine britannique nommé John Guillebaud. J'ai trouvé son adresse courriel sur le site d'un des hôpitaux où il travaillait et je lui ai écrit pour lui poser des questions. Il m'a répondu dans la journée. 

Sans lui et sans toute l'information que j'ai trouvée sur les sites de l'OMS, des ONG et des facultés de médecine anglophones et québecoises, je n'aurais jamais pu écrire le livre. 

                                                                                   


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Je me souviens qu'en 2002-2003, lorsque France Inter m'a confié Odyssée, une chronique scientifique que
je tenais chaque matin de la semaine à 7.50, j'ai commencé par donner mon adresse électronique (Martin.Winckler@radiofrance.fr ou qqch comme ça) à l'antenne, afin que les auditrices et auditeurs m'envoient les questions scientifiques auxquelles iels voulaient que je réponde. 

Une heure plus tard, la responsable du service informatique m'a appelé, affolée, en me disant : "Faut pas faire ça !" 
J'ai demandé pourquoi. 

"Parce qu' "ils" vont comprendre que toutes les adresses sont faites sur le même modèle et "ils" vont se mettre à écrire à tous les journalistes !" 
Et moi : "Mais à quoi servent les adresses électroniques, alors ? Si le public ne peut pas écrire aux journalistes..." 

Elle a répondu, sans rire : "Elles servent aux journalistes à correspondre entre eux, pas à ce que le public leur écrive !!!"  

Je me souviens qu'à la même époque, tous les journalistes des pays anglophones indiquaient leur adresse électronique sous leur nom, dans les journaux papier...

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Je me souviens des messages d'internautes (rares au début, mais de plus en plus nombreux pendant mon année sur la chaîne) qui m'envoyaient des suggestions de chroniques, des corrections ou des questions et qui, lorsque je répondais, m'adressaient un message stupéfait disant : "C'est bien vous qui m'avez répondu ? Pas un robot ? D'habitude, quand on écrit, personne ne répond !!!" 

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Je me souviens que chaque chroniqueur avait une page sur le site de Radio France et que sur la mienne, j'étais le seul qui affichait l'intégralité du texte que j'avais lu sur les ondes, enrichi de liens divers et variés. Au bout d'un an, il y en avait deux cents. Quand la chronique a été annulée un peu brutalement (toute l'histoire est ICI), la page et le texte des deux cents chroniques ont été effacés du jour au lendemain. 
Quelques jours plus tard un internaute m'a envoyé l'intégralité des textes, qu'il avait copiés-collés à l'écran et assemblés dans un fichier word. Elle est toujours disponible sur mon site, si ça vous intéresse

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Je me souviens que quelques jours plus tard encore, un internaute webmestre, Vincent Berville (qui avait apprécié mes chroniques consacrées aux logiciels libres) m'a écrit pour me dire : "Vous devriez continuer sur un site internet personnel." 
J'ai répondu que c'était une très bonne idée, mais que je manquais de temps. (C'était moins simple que d'ouvrir un blog, comme aujourd'hui.) 
Il m'a demandé : "Comment vous le verriez, votre site ?" 
J'ai répondu : "Comme un petit journal". 
Dix jours plus tard, il m'a écrit : "Votre site est prêt." C'était le Winckler's Webzine, qui a eu 18 ans ce mois-ci. Et dont Vincent Berville est toujours webmestre. 




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Je me souviens de ma joie, en 2004 lorsque, grâce à des annuaires en ligne, j'ai retrouvé les coordonnées des anciens camarades de faculté de médecine à qui je voulais envoyer Les Trois Médecins

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Je me souviens des deux étudiants/jeunes professionnels, lecteurs de mes articles dans Génération Séries, qui à partir de 2005, m'ont proposé de m'envoyer les séries qu'ils téléchargeaient. Régulièrement, je recevais une pile de CD bourrés d'épisodes de Battlestar Galactica, House, Without a Trace, Cold Case et, bien sûr, Law & Order. 
(Je sais, c'était pas bien de le télécharger. Mais c'était il y a longtemps. Ils ne le font plus. Maintenant, on a tout en ligne...) 

                                              

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Je me souviens de l'époque où je "tchatchais" beaucoup sur Yahoo Messenger. (Mais jamais sur MSN.) 

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Je me souviens d'une époque où on avait ni Wikipédia ni Google et où j'accumulais les dictionnaires, les


encyclopédies et les guides de langue, de technologie, d'argot et de cinéma/télé. J'en ai même commis un avec mes camarades Christophe Petit, Alain Carrazé, Jacques Baudou et Jean-Jacques Schléret. Parmi les collaborateurs figuraient Randee Dawn et un grand historien américain de la télévision américaine, Robert J. Thompson, que j'avais contacté... par courriel. Aujourd'hui, plus personne ne consulte ce genre de livre, qui sont devenus obsolètes. Mais je suis très heureux d'avoir pu en écrire. 


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Je me souviens avoir renoncé à écrire des livres sur les séries quand j'ai réalisé deux choses. D'abord, que ce genre de livres n'intéressaient un public que lorsque la série était à l'antenne. Ensuite que ce qu'on pouvait y écrire était désormais accessible en ligne avec trois mots dans un moteur de recherche. 

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Je me souviens que, sur le Winckler's Webzine, en 2003, le premier article posté était la dernière chronique composée pour France Inter ; comme j'en avais été banni un peu brutalement, elle n'avait jamais été lue à l'antenne. 
Elle s'intitulait : "Quand on a accès au savoir, que faut-il en faire ?" et j'y donnais une réponse très personnelle. 

Dix-huit ans plus tard, je n'ai pas changé d'avis. 

Mar(c)tin