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jeudi 27 octobre 2016

"Les Sept Professionnels" - (La séquence du spectateur, 1) - par Marc Zaffran








A Thomas, Raphaël et Mick

Préambule : La séquence du spectateur

J’ai beau avoir écrit des kilomètres de textes sur les séries télé, je ne suis pas critique professionnel, je suis un spectateur de séries et de films. (J'ai commencé à regarder les deux en même temps.) Je les regarde avec ma mémoire, mon cœur, mes sentiments, mes émotions. C’est seulement après coup que j’essaie de dire ce que j’en pense. Et toujours en spectateur ; avec ma mémoire de spectateur. 

Contrairement aux critiques professionnels, je ne connais pas grand-chose à la technique cinématographique ou à la plastique filmique. Je peux repérer un plan séquence impressionnant ou un mouvement de caméra audacieux, mais ce qui m’intéresse et me touche, c’est l’histoire et la manière dont on la raconte, les personnages et les acteurs qui les incarnent. 

Ce qui me touche dans le plan de Suspicion au cours duquel Cary Grant monte l’escalier un verre de lait (peut-être empoisonné) à la main, ce n’est pas de savoir qu’Hitchcock a fait placer une ampoule allumée dans le lait, mais de frémir à l’idée que l'acteur, pour la seule et unique fois de sa carrière,  incarne un possible assassin.




Ce qui me touche, dans l’ouverture de Touch of Evil, ce n’est pas la virtuosité du plan-séquence, mais de voir que Welles part d’un geste menaçant (une bombe déposée dans le coffre d’une voiture) pour s’envoler au-dessus de la ville, puis en un parfait suspense suivre parallèlement deux couples (celui de la voiture, celui des héros à pied), et conclure sur un baiser explosif.



Ce qui me touche, dans la fin de Casablanca, c’est de savoir que le scénario a été écrit par deux frères jumeaux qui faisaient leur boulot, et qu’ils ont décidé de la fin ("Mais qui donc va s'envoler avec Bergman ?") en se rappelant du début (« Round up the usual suspects ! »)

Les frères Julius (à G.) et Philip Epstein, scénaristes de Casablanca

Ce qui m’intéresse, dans le cinéma ou les séries, ce sont les humains et leurs histoires.  

Alors, quand je me mets à parler de séries ou de films, je ne parle pas de la technique, de l'image ou de la mise en scène, auxquelles je connais peu de choses, mais des effets que l’histoire et les gens ont eus sur moi, qui suis un spectateur, un vrai, qui aime les histoires en images, les péripéties, les surprises, les grands espaces et les huis-clos, les mystères glaçants et les esquimaux glacés. (Aujourd'hui on dirait "le pop-corn", mais de mon temps...)  

La séquence du spectateur était une émission de la télé française des années soixante. Les spectateurs écrivaient pour demander un extrait de film. L’émission, qui durait un quart d’heure ou vingt minutes, en montrait trois. La voix off d’une speakerine (Catherine Langeais, qui s’en acquitta pendant 35 ans !) présentait les séquences. 



Cette série de textes est écrite en hommage à l’émission qui m’a fait découvrir beaucoup de films qu’on ne voyait pas à la télé.

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Le 25 octobre 2016, dans l’avion qui me transportait de Paris à Montréal, j’ai regardé deux films que je ne serais pas allé voir au cinéma.

(NB : si les liens ci-dessous renvoient aux pages Wikipedia en anglais, c'est parce qu'elles sont souvent plus complètes que les pages correspondantes en français. Pour les pages françaises, il suffit de cliquer sur le lien correspondant dans la colonne de gauche.)  


X Men : Apocalypse est la suite de First Class et de Time of Future Past. Les acteurs sont bons (Fassbender, Lawrence, en particulier, mais les jeunes recrues également) ; on apprend comment Xavier est devenu chauve (on apprenait pourquoi il est dans un fauteuil roulant dans le premier de la série) ; une séquence très violente et très brève permet à Wolverine d’apparaître sans dire un mot et de rappeler que l’un des films dont il est le protagoniste commence là (ou presque) et ça m’a donné encore plus envie de voir Logan, dont la bande-annonce fascinante me fait plus penser à un Mad Max qu’à un film de super-héros ; la séquence dans laquelle Quicksilver sauve tous les étudiants de l’école est mémorable ; le caméo de Stan Lee et de son épouse Joan ne l’est pas moins, car il n’a rien de comique, pour une fois. Enfin, il est amusant de voir comment le film présente des versions « ados » et alternatives de certains personnages comme Cyclops, Phoenix ou Nightcrawler (le plus cinématographique de tous). 

Mais dehors de ça, et d’une séquence d’ouverture qui m’a fait penser à la scène finale de LaTerre des Pharaons de Howard Hawks (avec plus d’argent) il n’a pas grand intérêt. Le « baddie » est lourd et sans profondeur, l’enjeu apocalyptique est meh et les combats sont bof. Bref, je me suis ennuyé et, alors que j’avais regardé les précédents avec un certain plaisir qui m’a donné envie de les revoir, je n’ai pas envie de revoir celui-ci.

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Juste avant, j’avais regardé un autre troisième-film-d’une-série, que je m’étais promis de ne pas aller voir, tant je me suis senti trahi par les deux précédents. Il s’agit de Star Trek : Beyond. Cependant, comme pour les Mission : Impossible cinématographiques, je suis obligé de constater que lorsque JJ Abrams n’est ni à l’écriture ni à la réalisation (J’ai trouvé M:I 1 et 2 ridicules et futiles et M:I 3 détestable, mais j’ai beaucoup aimé Ghost Protocol et Rogue Nation), on passe un très bon moment.


Star Trek : Beyond est en effet à mes yeux un excellent film d’aventures spatiales, avec un bon scénario pas prévisible, riche en action, en péripéties mais aussi en humour et en morceaux de bravoure inventifs (une vieille moto comme instrument de diversion…) ; un « baddie » et une machination dont on ne mesure la profondeur et le tragique que lors de la dernière demi-heure (je ne vous le spoile pas, car c’est du beau boulot et n’allez pas lire la fiche Wikipédia, ça vous gâcherait le plaisir) ; des personnages servis de manière équilibrée (Kirk et Spock ne sont plus au centre, et tout le monde a quelque chose à faire) ; un Chris Pine mûr et posé, de plus en plus crédible en version jeune de Shatner-as-Kirk au point que sa voix ressemble à s’y méprendre à celle de son aîné et prédécesseur ; des images magnifiques mais pas gratuites (l’Enterprise se défend jusqu’au bout) ; des plot-twists (en français : surprises narratives) aussi efficaces que délectables, et surtout un esprit beaucoup plus fidèle à la série originelle - au point que la conclusion du film peut être ressentie par un vieux Trekkie de mon acabit comme le véritable commencement de ce reboot cinématographique. Celui-là, je le reverrai volontiers, sur grand écran, et je remercie vivement Simon Pegg et Doug Jun (pour le scénario) et Justin Lin (pour la réalisation).

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J'en arrive au morceau de bravoure.

La veille de mon retour, je suis allé au cinéma avec l’aîné de mes fils. On essaie toujours de se faire un film ensemble quand je suis en France. Le plus souvent, c’est lui qui choisit, mais comme on a des goûts très similaires, je suis toujours d’accord. Cette fois-ci, il voulait aller voir « Denzel » dans The Magnificent 7. 

Bon, on prenait un risque, parce que tout de même, la version de John Sturges (1960) est un classique du western, si fidèle aux Sept Samouraïs (1954) que Kurosawa fit cadeau d’un sabre authentique au réalisateur américain en témoignage de reconnaissance. Et, mon fils comme moi, on a adoré les deux car on est depuis toujours des spectateurs de westerns. Des vrais. 

Alors, oser s’attaquer à pareil monument, c’était plus que risqué. Comment raconter cette histoire archi connue et reprise de manière plus ou moins avouée sous de nombreuses formes (parodie spatiale, production Disney ou série animée japonaise) ? 

Eh bien à mon humble avis, Antoine Fuqua n’a pas à rougir. Son Magnificent Seven n’a pas la grandeur du film de Kurosawa mais c’est un film solide qui soutient largement la comparaison avec le film de Sturges, pour tout un tas de bonnes raisons. Loin d’être une reprise du western précédent, le film de Fuqua en diffère sur des points très significatifs. En effet, la version des années 60 ressemble aujourd’hui terriblement à une intervention militaire américaine armée dans un pays "en développement", ce qui lui donne un sacré coup de vieux, malgré les personnages attachants et hauts en couleur incarnés par Steve McQueen, Charles Bronson, Robert Vaughn et James Coburn. 

Les scénaristes du nouveau film (Nic Pizzolato, créateur de True Detective ; Richard Wenk, scénariste de Equalizer et… Expendables 2) remettent l’histoire au goût du jour en la situant entièrement aux Etats-Unis. Ce faisant, ils rapprochent l'histoire de l’esprit qui régnait dans le film de Kurosawa. Car les mercenaires de ce film-ci sont des exclus à l’intérieur même de la société où ils évoluent (et non des étrangers comme chez Sturges). Quand ils portent secours à la petite ville de Rose Creek, ils ont tous la certitude de se lancer dans un baroud d’honneur qui leur coûtera la vie. Alors qu’un des protagonistes de Sturges faisait ça pour l’or (ou du moins le prétendait), aucun des personnages ici ne semble attendre de rétribution, mais tous se lancent dans l’aventure pour des raisons personnelles qui vont du désir de vengeance à celui de clore en beauté une vie dénuée de sens. 

Autre différence notable : les 7 reflètent la diversité du melting pot ; leur leader est un homme noir (note historique : il existait effectivement des Lawmen noirs à l’époque du film) et le groupe compte un guerrier Comanche, un lanceur de couteux d’origine asiatique et un desperado mexicain. (A noter que chaque personnage est incarné par un acteur de l'origine appropriée : Martin Sensmeier, interprète de Red Harvest (!), est un Native American ; Byung-hun Lee (Billy Rocks) est coréen ; Manuel Garcia-Rulfo (Vasquez) est mexicain, et Denzel W, faut-il le rappeler, fut Malcolm X). Cela peut paraître superficiel, mais ça ne l’est pas en une époque d'exigence de casting à Hollywood ; cela correspond à la diversité réelle de l'Ouest américain à l'époque, et c'est d'autant plus juste que le film est au fond une allégorie sur l’union de personnages antagonistes autour d’un objectif commun. De plus, ce ne sont pas seulement les Blancs qui survivent, à la fin…  

La masculinité envahissante du genre, loin d’être niée, est à la fois assumée et nuancée : car c’est une femme, Emma Cullen (Hayley Bennett), qui fait appel aux 7 en connaissance de cause pour faire face à la brutalité des agresseurs qui menacent sa ville. Emma cherche la justice, mais, parce qu’elle est veuve, elle veut bien « se contenter de la vengeance ». Elle participe au combat dans lequel elle entraîne le clan des 7, et si elle reste à l'arrière-plan, c'est elle qui raconte l'histoire, comme en atteste la voix off à la fin du film. When the legend becomes fact, print the legend. 

La ville de Rose Creek fait penser à celles des westerns "fantômatiques" de Clint Eastwood, High Plains Drifter et Pale Rider, mais ses habitants sont des gens comme les autres et ont beaucoup plus d'épaisseur que ceux du village mexicain de Sturges. La scène inaugurale, dans l'église, est à cet égard significative. L'église d'une ville-champignon est lieu de réunion communal, lieu d'enseignement et  lieu de culte. Elle symbolise à elle seule l'idée de communauté. Les personnages qu'on y découvre (le maire, le prêtre, Emma et son mari, un père et son petit garçon) reviendront tout au long du film comme autant d'âmes nécessaires à la survie de cette communauté. 

Enfin, l'adversaire des 7 n’est pas un gang de malfaiteurs (conduits par le génial Eli Wallach chez Sturges) mais les quelque Forty Guns de Bartholomew Bogue (Peter Skarsgaard), baron du capitalisme pressé de chasser les habitants pour faire extraire l’or du sous-sol par des mineurs traités comme des esclaves. 

S’agissant d’un western, genre qui resta longtemps désincarné sur le plan politique et social, on peut difficilement être plus clair dans l'engagement. 

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Quand on met de côté les gunfights et les péripéties liées au genre, ce qui reste d’un western tient souvent (pas toujours, mais souvent) à deux grands éléments : les personnages et la thématique morale. Dans cette perspective, à mon panthéon personnel, Rio Bravo (sur l'amitié)The Man who Shot Liberty Valance (sur la vérité) et surtout The Professionals (sur la fidélité aux idées) occupent une place de choix. 



Sur le thème "un groupe de misfits est chargé d'une mission suicide", j’ai toujours trouvé le film de Richard Brooks très supérieur à celui de Sturges par la finesse avec laquelle il décrit ses personnages. Marvin, Lancaster, Cardinale et Palance y sont magistraux, mais les figures secondaires (Chiquita la Guerillera, en particulier) restent longtemps en mémoire. 

Dans le film de Sturges, en revanche, Yul Brynner fait du Yul Brynner, Horst Bucholz est difficilement crédible et Brad Dexter n'a rien à faire, tandis que Bronson, Coburn et Vaughn marquent durablement et, comme toujours, Steve McQueen crève l’écran. Mais en dehors du personnage de Vaughn, aucun d’eux n’a un passé. Et cette dimension leur manque cruellement.

Dans le film de Fuqua, chacun des personnages est porteur de « casseroles » qui, même lorsqu’elles sont évoquées en une phrase, leur donnent une épaisseur appréciable. Et ce sont ces casseroles qui rendent plausible leur engagement suicidaire. Leur présence n'en est que plus vive, et leurs rôles plus équilibrés. Comme Chisholm (Denzel Washington) tous les personnages partagent des points communs : la solitude, l’inadéquation, l’exclusion. S’ils deviennent les défenseurs de cette petite ville, ce n’est pas par héroïsme, mais par désir, pour une fois, de ne plus être seuls - pour une bien meilleure cause que le simple braquage d’une banque. En cela, ils me semblent beaucoup plus proches des personnages désabusés et vieillissants de The Professionals que des figures en deux dimensions du film de Sturges. 

Tout cela sufirait à faire de ces Magnificent 7 Professionals (!) un bon western, mais il y a plus : c’est le plaisir avec lequel scénaristes et réalisateurs enrichissent les personnages et le récit par des allusions claires à des films mémorables.

Le duo formé par Billy Rocks (Lee) et Robicheaux (Ethan Hawke) évoque irrésistiblement Butch Cassidy and The Sundance Kid. Le dialogue décalé ajoute à leur relation une dimension passée sous silence pendant tout le film, comme elle devait l’être dans la réalité à l’époque, mais parfaitement claire dans les instants finaux.







Robicheaux, vétéran de la Guerre de Sécession frappé de syndrome post-traumatique, évoque aussi le personnage de Doc Holliday, rendu fameux par le célèbre Réglement de compte à OK Corral et incarné par Kirk Douglas dans le film du même nom.
Quant aux derniers mots de Billy Rocks, ils font penser à la plainte qu'adresse Dutch (Ernest Borgnine) à Pike Bishop (William Holden) à la fin de The Wild Bunch de Sam Peckinpah. 


Jack Horne (Vincent d’Onofrio), trappeur retourné à l’état sauvage, pourrait être Jeremiah Johnson avec quinze ans (et trente kilos) de plus.


Red Harvest, le guerrier séparé des siens, est le frère symbolique de Jake (Woody Strode) le métis de The Professionals.  


 



Aux antipodes de l’héroïne éthérée (et pacifiste) de High Noon (autre film où des tueurs envahissent une petite ville), Emma Cullen, la jeune veuve incarnée par Haley Bennett, est une cousine de Mattie Ross (Hailee Steinfeld), l'héroïne de True Grit







Dans le rôle de Josh Faraday, Chris Pratt est excellent, d’autant qu’il ne cherche jamais à singer Steve McQueen. Les scénaristes lui font cependant raconter plusieurs fois la blague que fait McQueen au début du film de Sturges et, quand on fait bien attention, dans certains plans du combat final, on aperçoit une carabine à canon scié... Enfin, dans un développement que je ne révèlerai pas, scénario et mise en scène rendent un hommage clair à McQueen en citant un de ses films, méconnu mais très marquant : Hell is for Heroes de Don Siegel. 






Last but not least, l’ombre de Il était une fois dans l’Ouest plane au-dessus de la confrontation finale dans les ruines de l’église entre Chisholm (Denzel W.) et  Bogue (Peter Skarsgaard).






Si l’on ajoute qu’au dernier plan, le film s’incline avec respect – visuellement et musicalement – devant Kurosawa et Sturges, on aura (presque) tout dit : The Magnificent 7 est un bon film parce qu’il connaît bien les westerns et leurs spectateurs. Les vrais.