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mercredi 20 novembre 2013

Personne sur cette terre - par Mathilde

 

Ce texte est la suite (et la fin) de "Les filles comme moi" et "Les femmes qui n'ont pas été aimées depuis longtemps", publiés il y a quelques semaines.  Merci encore une fois à Mathilde de me les avoir confiés. MW 

 

 

2 novembre 2013

Je suis cette personne sur cette terre qui ne t'admire plus. Personne pour toi. Une personne.
Je suis cette femme qui t'a attendu quelques mois. Et qui ne t'attend plus.
Je suis cette femme qui prend le temps de la déconvenue. Une chance donnée à cet aveugle qui se pense au-delà de la vision commune. Il explique, il prône l'amour, le revendique.
Il n'a pas peur des mots.
J'ai eu le choix dès la rencontre. Te croire ou savoir que le sentiment prend le temps de naître.
J'ai préféré la faiblesse. Parce qu'être faible, c'est renoncer à la lucidité dévastatrice. Idéalisme forcené intimement lié à cette perspicacité incontournable.
Tu ne me sais pas. Tu ne m'as voulue que pour mon regard. Celui que je porterais sur toi si tu me disais les mots qu'il fallait. Tu aimes que l'on t'aime.
Tu aimes que l'on t'aime. J'ai compris tout de suite. Je n'ai pas voulu m'entendre me le crier. Parce que cela aurait signifié renoncer d'avance. Tout de suite. Ne pas donner de chance à l'improbable rencontre. Alors, j'ai fait semblant.
Semblant de te croire, semblant de t'aimer, de te penser bon, autre...
Des perches tendues vers ton humanité. Mon insistance n'était que cela. Tu m'as crue, je me suis crue dépendante de toi. Seulement de ton humanité. Plus difficile était de reconnaître que je m'étais trompé. Trompée. Tu es trop haut, l'écrivain. Trop haut pour voir, pour me voir.
Mes messages comme des invitations à descendre un peu, pas tant que ça. J'étais tout proche de toi. Tu as préféré me penser bien au-dessous. Alors, j'ai attendu, continué de rêver alors que tes mots ne me berçaient d'aucune espérance. Entre tes lignes bienveillantes, suintaient ta hauteur, le lien contrefait.
Je me heurtais à mes vaines tentatives de te montrer que je n'étais pas dupe. Tu n'as pas voulu voir. Tu n'as pas voulu me voir.
Et aujourd'hui, la preuve donnée par ton silence.
Tu écris, me dis-tu.
Personne ne peut croire qu'écrire soit le seul obstacle à la pensée pour un être loin.
Qui es-tu auteur ? Hauteur que tu ériges de toute sa légitimité. Tu écris.
Qu'est-ce que tu écris l'écrivain ?
L'amour, l'humanité ? Encore ?
Pour que l'on te dise, encore, quel humaniste tu es ?
Je suis cette personne avec laquelle tu n'as pas été bon. Je suis personne. Tu revendiques ce terme. Tu assènes, mauvaise foi, m'impose l'exigence de l'écrivain.
Tu me prends pour l'idiote qui ne sait rien, qui ne sait pas encore.
Humiliant.
Le seul mot qui convienne.
Tu ne lis pas ce que je t'écris. Juste me convaincre. Le plus important pour toi. Convaincre de ta bonne foi.
Ton refus d'affronter mes mots me blesse. Tu écris comme si tu ne les avais pas lus.
Tu les as trop bien compris. Seulement, tu écris.
Quand tu auras fini d'écrire, tu iras dire, lire.
Pour que l'on te dise que tu es bon. Tu y tiens tant à cet adjectif.
Tu fais de ton mieux. Tu fais de ton mieux mais pas le meilleur.
Avec cette personne que je suis.
Cette personne que tu as embrassée dans le cou chaque fois que tu lui as écrit, dis-lui maintenant que tu ne veux plus le faire. Le silence de ceux qui n'ont pas les mots, pas le ventre.
Pour ne pas voir dans ce miroir que je te tends ce qui te fait si banalement humain.
Tu ne veux blesser personne. Alors, tu fais le sourd puis l'aveugle et ensuite le muet.
L'humanité, l'écrivain. Est-ce ceci ?
Imposer le silence à l'être qui t'attend, qui attend. Qui n'attend plus.
La personne qui existe par-delà tes mots. Plus résistante que tu ne le crois.
Tu ne me seras jamais indispensable. Tu n'auras pas voulu me connaître.
Je me risque à la hardiesse d'aller jusqu'au bout. Désarmée, juste assez acerbe pour te dire les mots qui ne sont pas des poses d'écrivain. Mes mots me servent à ma vérité, à approcher absolument l'autre. Non pas à le séduire pour qu'il m'aime.
Tu voulais que je t'aime sans faire de bruit, les bras ballants, bouche bée.
J'aurais aimé que tu m'aimes en retour. Simplement.
De temps en temps.
Peu importe comment.
Mais vraiment.
Je ne suis pas cette idiote.
Cette idiote qui n'existe que dans ton regard. Par son regard.
D'écrivain.
Je t'invitais seulement à me rencontrer. Quelques pas que nous aurions osés l'un vers l'autre.
Pour voir.
J'ai amorcé la marche, tu as fait mine d'avancer.
Tu me dois de savoir qui je suis. Contre toi, je lutte une dernière fois.
Contre cette tendresse offerte puis confisquée.
Je te la rends, l'écrivain.
Je pars écrire.
J'espère ne pas devenir sourde, aveugle et muette d'être lue.
Je penserai à toi pour ne pas offrir à d'intègres âmes la crème apaisante dont tu les enduits pour qu'ils t'aiment.
Je penserai à toi quand il s'agira de résister au chant des sirènes.
Pour écrire ma vérité, celle que je suis capable d'accomplir.
Je suis peut-être cette seule personne qui te le dit. Cela fera de moi une indigne, une mauvaise joueuse ou pire, une malade aliéné par sa fièvre. Mais cela ne me fait plus peur face à la complaisance. 
La fièvre, je me la garde, j'aurais aimé te l'offrir.
Ici ou là... j'ai aimé cette expression de toi.
Un jour ou l'autre aussi... pourquoi pas ?
Peut-être...
Si j'ai envie...
Tu verras bien...

J'écris. Me dis-tu comme l'argument incontournable.
Petite idiote, me dis-tu ainsi. C'est incroyable et pourtant c'est ce que je te demande de croire.
Tu écris. Noble tâche.
Je t'écris. J'aime prendre ce temps de t'écrire pour ainsi espérer que la personne que je suis, personne, puisse percer l'épaisse enveloppe de ta bonté. Je prends ce temps de t'écrire pour enfin écrire à d'autres. Pour enfin écrire.
Je ne suis que cette personne sur cette terre qu'il te sera facile d'oublier, si ce n'est déjà fait. Tu en as tant d'autres. Écrire sert à cela. Tu le sais.
Je t'écris parce que j'aurais aimé que tu ouvres tes yeux sur les miens. Tu aurais vu qu'ils n'étaient pas seulement bleus. Aujourd'hui, il pleut. Comme souvent. Le gris passe, envahit l'azur.
Le gris d'une existence parsemée de dos qui se tournent. Tu n'y es pour rien. Tu n'es qu'une personne de plus à croire encore me sourire alors que je vois déjà les talons se tourner.
Je te rends la liberté dont une petite personne peut te priver.
Ici ou là... un jour ou l'autre...
Je serai là. Quelque part dans le brouhaha de ta vie d'écrivain si bien remplie.
J'aurais fait ce court passage que l'on nomme éclair. Féroce atterrissage sur cette terre desséchée. L'aridité de tes mots avant même que tu n'aies pu poser tes lèvres sur ce cou.
Ma fierté, je la revendique ainsi. Offrant, en me retirant, ce que j'avais envie d'offrir.
Mes mots, ma peau.
Je suis cette personne qui dit au revoir.
Cette personne qui dit dommage plutôt que la hargne.
Je suis cette personne sur cette terre qui apprendra davantage à donner son désarroi qu'à se taire pour le masquer. Ma fierté c'est dire. Ainsi revendiquée, assumée, elle est pour toi l'écrivain voyageur.
Parce que je ne veux pas m'être trompé tout à fait, je t'offre ma dignité.
Ici ou là...
un jour...
Peut-être...
Peu importe...
Nous vivons sur cette même terre.
J'aime croire que chacun apprend autant que l'autre. Je suis cette personne que tu as croisée sur cette terre.
Tu écris.
Tu n'auras pas su qui j'étais.

Mathilde