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lundi 10 décembre 2012

Je n'écris plus - par Sophie Martinet

Ce texte m'a été envoyé en réaction " à "Pourquoi j'écris", publié sur ce même blog le 26 juin dernier. MW 



Depuis quelques mois, je n'écris plus.

Je n'écris plus parce que je n'arrive plus à trouver le moment de le faire. Le vrai moment, celui que je parvenais toujours à trouver pour écrire ne serait-ce que quelques minutes.

Je n'écris plus parce que j'ai tant écrit pour pour rien.

Je n'écris plus parce que je suis seule face à l'écriture et aujourd'hui que je n'ai plus l'âge d'avoir peur. Elle m'impressionne et me terrorise.

Je n'écris plus car à force de vouloir être digne de la littérature, j'ai renoncé à trop. Pour rien.

Je n'écris plus car on me dit que ce n'est jamais pour rien. Que l'écriture, c'est du travail, de la persévérance. Je le sais et j'ai persévéré.

Je n'écris plus parce que si écrire a su me rendre à moi-même, elle m'impose un silence qui me devient insupportable.

Je n'écris plus parce qu'un jour, une écrivain m'a dit « Je vais t'aider. Envoie-moi ton manuscrit, je le donne à lire à mon éditrice. Tu auras un retour, un avis. On l'a fait pour moi un jour, ça me fait plaisir de le faire pour toi. » Sans nouvelle d'elle plusieurs mois plus tard, je lui ai envoyé un mail. Elle m'avait oubliée et préféra me donner le mauvais rôle.

Je n'écris plus car je vis avec cette insupportable déception depuis. Non celle de n'avoir pas été lue mais celle d'avoir perdu un être humain en lequel je croyais.

Je n'écris plus car j'ai peur d'avoir honte, de ce que j'écris et de vouloir écrire.

Je n'écris plus car en ce moment, je vis très fort.

Je n'écris plus parce que je me demande si je ne suis pas plus heureuse comme ça.

Je n'écris plus mais dans ma tête des milliers d'idées, des pensées toujours en mouvement, des envies à concrétiser.

Je n'écris plus parce que j'ai balancé mes quelques petites économies dans l'envoi de manuscrits à des éditeurs qui font leur boulot et auxquels je n'ai rien à reprocher. 

Je n'écris plus mais je regarde davantage de films. Je prends davantage de temps à penser à eux, me documenter sur eux, de les laisser vivre en moi pendant que je vis.

Je n'écris plus pour ne plus me sentir inférieure.

Je n'écris plus pour ne plus avoir l'air de guetter un semblant de reconnaissance.

Je n'écris plus parce que je suis libre. 

Je n'écris plus parce que vouloir être lu, c'est une forme de prostitution. Du moins dans les yeux de certains et certaines. 


Je n'écris plus parce qu'il y a peu, j'ai rêvé qu'Annie Ernaux disait de moi que j'étais une personne indigne d'intérêt.

Je n'écris plus pour profiter de la littérature sans regret, sans envie, exceptée celle de comprendre, de sentir, de grandir...

Je n'écris plus parce qu'en lieu et place de l'écriture d'un chapitre, je pars dans les bois marcher jusqu'à la fatigue mais l'intense sensation de vivre.

Je n'écris plus parce que l'écriture, contrairement à beaucoup d'autres activités artistiques, vous laisse interdit, seule face à vos productions. 

Je n'écris plus car je fréquente quelques auteurs qui parviennent à vivoter de leur écriture. Ils possèdent ce que je n'ai pas, je n'ai pas de nom pour ça.

Je n'écris plus mais je lis. Et j'admire ce que je lis. Je me plais à lire ce que j'aurais aimé que l'on lise de moi.

Je n'écris plus parce que tant que l'on n'est pas reconnu, écrire, c'est douloureux. C'est comme cuisiner tous les jours pour des convives qui ne viennent pas. 

Je n'écris plus en me disant qu'un jour, ça ira mieux. Rien ne vaut une bonne séparation pour considérer les choses avec lucidité.

Je n'écris plus mais je parle. Des heures et des heures de discussion avec les quelques uns qui aiment ça aussi.

Je n'écris plus afin de reprendre confiance et redevenir à mes yeux et ceux des autres celle qui n'espère pas. 

Je n'écris plus pour tourner le dos à la frustration. Ne plus attendre.

Je n'écris plus pour ne plus être celle qui écrit.

Je n'écris plus pour me laisser envahir par une nébuleuse faite de lucioles qui virevoltent autour de moi sans se laisser attraper. Vouloir les saisir, les expliquer, les identifier, c'est les mettre à distance et annihiler leur pouvoir magique.

Je n'écris plus pour recevoir en pleine figure ce qui se passe.

Je n'écris plus pour lire les autres, me délecter d'une présence, d'un regard, de bras qui se tendent.

Je n'écris plus pour en finir avec la vocation.

Je n'écris plus pour abolir les barrières, pour ne plus vouloir approcher, ne plus aspirer à...

Je n'écris plus pour ne plus rêver de voir un jour dans cette vitrine ce  livre signé de mon nom. Mon nom est trop banal, ma vision trop fragile, mes mots trop en deçà.

Je n'écris plus parce que la vie, c'est pas sérieux. 

Sophie Martinet 

dimanche 2 décembre 2012

"Asimov, Perec et moi" - Conférence du 7 novembre 2012 au café Artissimo, à Ottawa (ON).

Bon, ce n'est pas un texte, mais presque.

Cet automne, j'étais (je suis encore, pour quinze jours) écrivain en résidence au Département de littérature française de l'Université d'Ottawa (Ontario).
A cette occasion, j'ai donné une série de conférences.
La première s'intitulait "Asimov, Perec et moi" et parlait des influences littéraires qui m'ont marqué, pendant l'adolescence et le début de mon âge adulte.

Voici le lien vers "Le crachoir de Flaubert", le site qui a mis cette première conférence en podcast. Attention, ça dure près de quatre vingt dix minutes, période de questions réponses incluses.

Pour vous rendre au "Crachoir de Flaubert", cliquez ICI.