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mercredi 20 juillet 2011

Le livre de mon enfance - par Younes (Ex. n°18)


Chère mémoire,
Tu vois l’enfant que j’étais ?

Il scrute un peu tes formes sans nom et il n’arrive pas à trouver ce qu’il cherche, le souvenir d’un livre. A cette époque, il n’en y avait pas beaucoup à la maison, il y avait des manuels scolaires que la fratrie se relayait au fil des années. Le père faisait de son mieux pour rattraper le train perdu, il fallait qu’il se souvienne de ce qu’il avait appris à l’école coranique du village avant de la quitter pour voler des pans entiers de l’enfance, vite devenir adulte et chercher à manger. C’était plus qu’une urgence, il était tenaillé par les procès qui se suivaient et on lui avait signifié que la Loi ne protégeait pas les ignorants. Son excellente mémoire n’avait pas failli,  il réussit à lire ces indigestes sentences inscrites pour l’éternité à l’aide du papier carbone et qui faisaient peur à toute la famille.
Le père conserva son écriture d’enfant. Ses vraies lectures, il les avait faites en prison à l’âge de soixante ans, juste après sa retraite.

Le père l’emmena un jour à la casse. Ils marchèrent longtemps et là, il lui dit devant un semblant de bouquiniste de ‘’La ferraille’’ de prendre les livres qui l’intéresseraient. Même si le père insistait, l’équation envie, désir et moyens aboutit à deux, le premier avait l’air rustique et portait le titre ‘’Al Khawirdj’’ qui échappait et de loin à la connaissance du père et du fils. Le deuxième était en français, car il fallait bien progresser dans la langue de l’élite, et traitait de mignons lapins aux prises avec un renard dans de belles illustrations.

La sœur aînée se souvint de la bd ! Apparemment, le maigre argent de poche y passait. Elle lui fit remarquer qu’il n’avait pas à se plaindre car il était le seul à en avoir. Mais la bd ne correspondait à ce qu’il lui demandait, elle devrait savoir que les Blek, Kiwi, Zembla, Rodéo etc. n’étaient pas des livres. La preuve, ils s’entassaient chez tous les ‘’Ma’line Azariâ’’, les vendeurs de cacahuètes et pois chiche grillés et lui,  il faisait partie de ceux qui lisaient des films à l’âge de la puberté, toujours pour être bon en français. De toutes les façons, il n’y avait rien d’autre pour nourrir l’imaginaire de ces gosses et leur soif d’apprendre. Ils n’avaient pas de quoi payer non plus. Elle lui dit qu’il y avait les romans arabes égyptiens qu’il dédaignait parce que c’étaient des trucs pour filles. Enfant, enfant, il insistait. Elle trouva qu’il râlait tout le temps et elle raccrocha.
Quel culot ! Il appelait de l’étranger, quand même !

Il y avait ces deux livres là, tout vieux, rabougris et écornés, qui n’avaient ni début ni fin. Ils doivent bien s’en souvenir, personne ne les lisait chez lui et tous insistaient pour que, lui, les lise. Le livre pour contes commençait à le 33ème page, culminait à la 675ème en plein climax et mourrait. Les contes ou nouvelles étaient évidemment en français, cela donnait l’air d’une punition. Le livre arabe, était tout autre chose, certainement pas une lecture pour enfants sages. Menu, de couleur rouge brique, il traitait d’ésotérisme avec tous ces voyageurs dans des contrées lointaines et désertes luttant contre l’indicible monde parallèle, djinns, démons et autres créatures des ténèbres.

Il cou rait et il savait qu’il ne pourrait jamais rattraper ses camarades fonçant tout droit chez le libraire près de l’école pour acheter le dernier numéro, un truc hebdo pour gamins. Mais la guerre arrêtait tout. Les maisons d’édition dans ce là-bas arabe qu’ils voyaient à la télé fermaient à cause des bombes et il ne leur restait plus que leurs manuels scolaires. ‘’Extrait’’, et l’intriguant ‘’Bi Tassarrouf’’ terminaient les textes à lire en classe.

Pendant longtemps, il garda ‘’Livre unique’’ que sa sœur aînée lui ramena ''min laqdim'' c’est à dire du marché de fripes. Ce serait bien pour le français, il avait aimé ces extraits de textes et les illustrations marron et blanc qui allaient avec. La France y était très belle.