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samedi 9 octobre 2010

Débuts de romans, 2 par Laurence (Exercice n°15)




I. Une fois encore, elle passait devant lui sans le voir. Une fois encore. Une fois de trop. Elle l’ignorait depuis toujours et ce dédain lui fut soudain insupportable. Alors voilà. Tant pis. Tout cela sera de sa faute. De sa faute s’il envisage maintenant de lui porter un coup violent derrière la tête. De sa faute si, sans lui laisser le temps de pousser un cri et de tomber au sol, il se voit la hisser sur son dos tel un paquet de farine. De sa faute s’il décide de l’emmener au loin dans un coin tranquille, au delà des gratte-ciel de la ville. Elle sera sienne alors et il pourra enfin observer tout à loisir ses yeux de chat agrandis par l’effroi, sa bouche vermeille déformée de stupeur, ses joues aux courbes gracieuses sur lesquelles glisseront des larmes. Oui, c’est comme ça qu’il décida de commettre son premier crime. Ramenant sa capuche sur son crâne, il lui emboita le pas alors qu’elle sortait un ticket de métro de son imperméable.

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II. Tu croises cet homme sans le voir. Ce n’est pas la première fois mais tes pensées sont ailleurs. Tu ne vois pas son regard qui te dévisage, ni ses pas qui emboitent les tiens. Tes talons claquent sur le sol et tu avances d’un pas cadencé, indifférente au brouhaha de la ville, à ses gratte-ciel imposants, aux passants pressés de rentrer dans leur foyer. Tu songes et ne te souviens déjà plus comment ça a commencé, quels mots ont été prononcés, qui a crié en premier. En revanche, tu le revois très nettement le bras levé, un paquet de farine à la main, un peu ridicule lorsqu’il a tenté de te le balancer à la tête et n’a réussi qu’à atteindre le chat qui lui en voudra certainement le restant de ses jours. Cette vision te fait sourire et ton visage s’éclaire. Tu te dis que tu ne peux pas rester sur une dispute et décide de le rejoindre à l’endroit qu’il t’a indiqué tout à l’heure, sur ton répondeur. Tu attrapes un ticket de métro au fond de ta poche. Tu ne sens pas venir le coup qui s’abat sur ta nuque.

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III. Sheitan me regardait sans trop y croire : décidemment, ce chat ne me faisait pas assez confiance. Pour le convaincre, je saisis les tickets de cinémas que j’avais pris la peine de prendre à l’avance pour la séance de 17 heures et les agitais sous son museau. « Aujourd’hui c’est crêpes et cinéma avec les filles ! » lui dis-je avec un air de défi. N’en pouvant plus de les croiser sans les voir, j’avais bataillé dur avec Sophie pour qu’elle me laisse passer les prendre chez elle dès le mardi soir, afin de ne rien perdre de ce mercredi ensemble, depuis longtemps promis. Je n’envisageais pas alors une seule seconde que ce programme puisse être compromis. Au fond de l’appartement, je les entendais pousser des cris : elles arrivèrent en courant tenant devant elles une tour en LEGO multicolore. « Papa regarde, on construit un gratte-ciel ! » « bravo les filles ! … qui vient m’aider à faire les crêpes ? … » Elles n’eurent pas le temps de me répondre, la sonnerie du téléphone interrompant brutalement cette joyeuse scène de famille. « Lieutenant, … désolé de vous déranger mais on vient de découvrir le corps d’une femme … » « mais je suis … » « oui je sais, mais le patron s’en fout et demande à ce que vous preniez en charge cette affaire … ». Je reposai doucement le paquet de farine sur la table.