Rubriques

lundi 21 juin 2010

Feuilleton d'été (3) - par Martin W.

L’hôtel


Parfois l’hôtel est à deux pas, tu regardes ta montre, tu vois que vous avez un peu de temps avant la rencontre ou le dîner et tu réponds Si vous voulez... Surtout lorsque le voyage a été long et que tu as envie d’aller poser ton sac et ta petite valise, délester tes poche des clés et du bouquin qui alourdissent ta veste. Et le jeune homme souriant et sympathique qui t’attendait à la gare te conduit vers l’auberge, l’hôtel, la pension de famille, le havre de paix que tu retrouveras à la fin de la soirée, sinon au milieu de la nuit.

*


Pendant qu’on t’attend dans le hall de l’hôtel, tu gagnes la chambre. Tu n’y restes pas longtemps. Juste le temps de vérifier qu’elle renferme l’essentiel - pas le lit et la douche, que tu regardes à peine - au mieux (on peut rêver) un panneau indiquant que l’hôtel est doté d’un système wi-fi sur auquel tu pourras te connecter moyennant un léger supplément ; au moins un téléphone équipé d’une entrée pour le câble de ton modem ; au pire, une installation téléphonique qui se laisse faire : tu ne pars jamais sans un jeu de fils et de prises normalisés qui te permettent de te brancher sur n’importe quelle installation datant de moins de 10 ans.

Si pour une raison ou pour une autre, la chambre ne répond pas immédiatement à ce critère simple mais encore scandaleusement négligé par trop d’hôtels français, ton humeur se dégrade rapidement. Car tu veux pouvoir consulter tes messages. Tu dois pouvoir consulter tes messages. Il t’est arrivé de demander timidement à changer de téléphone, voire de chambre - pas d’hôtel, tu n’as jamais osé - pour pouvoir le faire. 
Un jour, alors que vous vous trouviez tous les deux à Montréal pour le Salon du Livre, Jean-Paul H. t’a vu te décomposer losrque tu as découvert que la connexion internet de ta chambre d’hôtel (un des plus luxueux de la ville) ne fonctionnait pas. La perspective de ne pas pouvoir communiquer te minait et cela se voyait sur ton visage. Ça avait d’abord amusé Jean-Paul, et il s’était gentiment moqué de toi. Mais quand le problème avait enfin été résolu (une bête histoire de réglage sur ton ordinateur) il t’avait confié son soulagement : jamais il ne t’avait vu si tendu, si anxieux, si agité. Est-ce que tu ne serais pas... dépendant, par hasard ?
Dépendant, toi ? Après avoir protesté, tu as fini par convenir que u supportes mal de ne pas accéder à ta demi-douzaine de boîtes à lettres électroniques. Tu ne sais pas pourquoi. Tu sais seulement que tu as besoin de pouvoir lire les messages qu’on t’envoie, tu as besoin de pouvoir y répondre ou de les laisser en suspens. Tu as besoin de pouvoir consulter les sites que tu fréquentes régulièrement. Tu as besoin de pouvoir t’échapper vers un monde de mots. 

C’est pour cela que tu transportes toujours avec toi de quoi lire et de quoi écrire. L’ordinateur portable, la connexion internet, les courriels, les DVD à regarder dans le train ou la nuit dans ton demi-sommeil, finalement, c’est du même ordre. Tu dis que c’est pour ne pas perdre ton temps. Ne serait-ce pas plutôt parce que rien ne te soucie plus que l’ennui ?

Si - pour cause de vétusté des installations ou de mauvaise volonté de la direction - toute connexion est impossible, tu gardes ta frustration pour toi et tu prends note mentalement, une fois sur les lieux de la rencontre/conférence, de demander à accéder à l’ordinateur du lieu. Il y en a sûrement un...
Avant de quitter la chambre, tu mets ton ordinateur en charge.
Enfin, tu rejoins ton hôte.


*


Mais parfois, le temps presse (exceptionnellement, le train était en retard à cause d’une grève nationale), l’hotel n’est pas tout près, tu ne veux pas faire poiroter l’assistance, tu dis que ça n’est pas la peine de faire un détour. Souriante, la jeune femme qui t’a patiemment attendu à la gare te tend un sandwich acheté de crainte que tu ne meures d’inanition. Et, souriante et belle, elle ajoute que vous irez dîner ensemble - peut-être avec une ou deux autres personnes - après la rencontre. Tu t’en réjouis déjà. Tu la suis vers sa voiture. Elle ouvre le coffre, tu y glisses ta petite valise et ton sac à dos et, lorsqu’elle s’installe au volant, tu t’assieds à ses côtés et tu la regardes mettre le contact.

(A suivre...)