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mercredi 10 mars 2010

Brève rencontre + 1 livre, 3 - par Christine C.

C'est une histoire très brève qui m'est arrivé à Lisbonne dans un bus orange de la Carris, il y a presque 25 ans.

J'avais 25 ans. J'avais choisi de quitter la France et principalement mon métier ( journaliste dans la presse régionale), accessoirement mon grand
chagrin d'amour. Ou le contraire.

C'est une mère de Saint ( mae de Santo) de Salvador de Bahia qui m'avait conseillé cette rupture. Tourner la page. Je n'aimais plus mon métier sans
doute aussi parce qu'il ne m'aimait pas. Pas mon métier, mon chagrin d'amour.

J'étais partie en vacances au mois de janvier, à Lisbonne et j'étais miraculeusement tombée amoureuse d'un jeune portugais dans le train.
Ensuite, j''ai lu Tabacaria (bureau de tabac) de Fernando Pessoa. J'ai lu Os Culs de Judas (le Cul de Judas) de Antonio Antunes. J'ai commencé à
apprendre le portugais avec une brésilienne qui habitait derrière la gare Montparnasse. J'y ai appris des phrases que je n'ai jamais réutilisé pour héler
le porteur de bagages ou demander au garçon d'étage d'appuyer sur le bouton de l'ascenseur.

Un an a passé avant que je prenne la décision de tout quitter. Le jeune Portugais avait une fiancée qui s'appelait Hortensia et allait se marier.
C'était déjà du passé quand j'ai débarqué pour apprendre le portugais et lire la poésie portugaise en portugais. Je dis souvent que je suis née à
Lisbonne cette année là. C'est une façon de dire que cette ville et ses habitants m'ont sauvé la vie. Ses poètes aussi.

Voilà comment je me suis retrouvée dans le bus orange de la Carris assise à parler en portugais avec une hollandaise et un chinois. Ou un béninois et
un espagnol. Je ne me souviens plus avec qui j'étais. Peut être même que j'étais seule et je lisais. De la poésie portugaise. Um pais de poetas. Un pays de poètes.

J'avais loué une chambre dans une maison à Estoril. La propriétaire était la demi soeur de Fernando Pessoa. La femme de ménage prétendait que je
dormais dans le lit du poète.

Ça a été très bref. A un moment je me suis retrouvée seule dans le bus. Un jeune homme avec des lunettes moitié chauve s'est levé juste avant l'arrêt,
il s'est dirigé vers moi, m'a souri et sans un mot, m'a tendu un morceau de papier . Il est descendu. J'ai déplié le papier et j'ai lu avec difficulté son
écriture de pattes de mouches :

Realizar o amor é desiludir-se Quando nao é desiludir-se é acostumar-se Acostumar-se é morrer. Por mim so amei na minha vida e amo a um estrangeiro de quem nao vi mais do que o perfil, a um cair de tarde quando estavamos numa multidao...
et c'était signé : Fernando Pessoa.

Je n'ai jamais revu ce jeune homme. De toute façon, tout s'est passé si rapidement que j'aurais été incapable de le reconnaître. J'ai l'impression d'avoir
rêvé mais j'ai conservé le petit bout de papier.