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mercredi 24 février 2010

Lâcher prise


Souvent on me demande : "Comment faites-vous pour publier autant ?" (Je crois que j'ai déjà parlé de ça ici - mais j'ai la flemme de retourner tout lire, alors si je me répète, toutes mes excuses.) Comme s'il était exceptionnel d'écrire beaucoup quand on ne passe que deux demi-journées à l'hôpital, en allant de temps à autre dans une bibliothèque ou une librairie rencontrer des lecteurs, tout en menant en province (où les temps de déplacement ne sont pas ceux qu'on subit à Paris) une vie personnelle somme toute assez calme - enfin, dans l'ensemble... Elle ne l'a pas toujours été.

C'est vrai, je publie beaucoup. Mais je passe beaucoup de temps devant mon ordinateur, j'écris presque tout le temps, et jusqu'à tout récemment, j'acceptais commandes d'articles et de livres presque systématiquement.

Pendant les dix ans qui ont suivi le succès de La Maladie de Sachs, j'ai bénéficié de la confiance de beaucoup d'éditeurs, qui sont venus me proposer de publier un livre dans une de leurs collections. Il s'agissait parfois de réaliser un projet qui leur tenait à coeur et pour lequel on pensait que je serais l'homme de la situation (je pense à Super Héros, par exemple) ; parfois d'une proposition pour une collection particulière (mes romans "de mauvais genre", Le rire de Zorro, A ma bouche...) ; plus rarement (mais trop souvent à mon goût) de quelque chose de moins "spontané" : l'éditeur tenait à publier "un livre de Martin Winckler" et insistait pour que je lui donne un texte... Cela dit, je ne risquais pas vraiment de me voir embringué dans un projet qui ne me convenait pas : apparemment, personne (sauf peut être Jean-Luc Hees, à France Inter) ne s'est jamais trompé sur la nature des interventions écrites ou verbales que je pourrais faire... Il m'est néanmoins arrivé plus d'une fois de me démettre d'un projet auquel je ne voulais plus me consacrer, et de rembourser l'a-valoir.

Il m'est arrivé d'avoir une demi-douzaine de contrats à honorer dans l'année : c'est grâce à ça que j'ai pu publier près de trente-cinq bouquins entre 1998 et 2009. J'ai toujours, jusqu'ici, eu plaisir à les écrire mais je suis beaucoup plus circonspect à présent quand il s'agit de signer un contrat. Si j'ai longtemps pris tout ce qu'on me proposait, ce n'est pas par manque de discrimination, mais pour un faisceau de raisons, plus ou moins avouées, plus ou moins claires.

J'ai toujours voulu être écrivain, et le boulot d'un écrivain, c'est écrire des livres et, si possible, les publier ! J'ai eu parfois peur "de manquer" (oui, ça arrive aussi, même aux écrivains dont les livres se vendent, même quand ils ne claquent pas leur argent au jeu, aux courses ou en achetant des bagnoles ou des Rolex en platine) : après Sachs, je me suis dit  "J'ai tiré le jackpot, mais je ne sais pas combien de temps ma bonne fortune va se poursuire, profitons-en pendant que ça dure". J'ai cinquante désirs de livres et quand on me donne l'occasion de les réaliser, je saute sur l'occasion. Et puis, je dois l'avouer, j'ai du mal à dire non quand quelqu'un me propose de travailler avec lui/elle : je ressens toujours ça comme un privilège (il/elle m'a "choisi"). Et puis, il y a quelque chose d'enivrant dans le fait d'avoir dix projets en travail.

Cette ivresse (ou cette illusion) n'est pas nouvelle : j'ai remis la main sur un petit classeur de fiches perforées datant des années 60 (j'étais au lycée). Après des fiches portant les définitions de concepts philosophiques (donc, j'étais en terminale), j'y ai inscrit des listes de titres de nouvelles ou de romans en projet ou déjà écrit(e)s. J'imagine que ça peut sembler vaniteux, pour un adolescent de 17 ans, de dresser des listes pareilles, mais une écrivaine avec qui je correspond beaucoup en ce moment m'a révélé qu'elle faisait la même chose, et une jeune lectrice (21 ans) m'a écrit récemment qu'elle aussi "écrivait des milliards de trucs" quand elle était (un tout petit peu) plus jeune. Aujourd'hui, je suis donc en droit de penser que ce que certains qualifient méchamment de "graphomanie" n'est pas une illusion, une vanité ou une maladie, c'est l'expression d'une personnalité, comme l'est le fait de peindre, de danser ou de jouer d'un instrument. Et qui irait reprocher à un adolescent de passer des heures à dessiner, à répéter un pas de danse ou à apprendre un morceau à la guitare ?

Mais quand on est adulte, on n'est plus seulement censé s'adonner à une écriture effrénée, l'écriture qui (se) cherche, l'écriture qui creuse son sillon. On est censé avoir des "projets" plus posés, plus construits, plus réfléchis, plus travaillés.

C'est le cas, en tout cas en ce qui me concerne, mais la frénésie d'écrire ne disparaît pas pour autant, l'urgence de coucher sur le papier ce qui vient de me traverser l'esprit n'est pas moins grande, le rêve de voir un livre s'écrire en même temps qu'on le compose et le recompose dans sa tête n'est pas éteint. Et c'est sur cette frénésie que j'ai accroché tous les projets qu'on m'a proposés et que j'ai acceptés.

Last but not least, depuis toujours (et bien malin qui m'expliquera d'où ça vient mais merci de ne pas me balancer d'analyse sauvage, SVP), je vis dans la crainte de ne pas subvenir aux besoins de ma famille. 

On m'a considérablement culpabilisé du fait d'être brillant et de ne pas avoir besoin de bosser pour avoir de bonnes notes en classe, quand j'étais gamin, je n'ai pas réussi encore à surmonter ce sentiment et, en plus du fait de n'avoir jamais eu de travail vraiment lucratif (mon cabinet médical, quand j'en avais un, gagnait très peu d'argent : je passais trop de temps à expliquer à mes patients comment se passer de moi...) ce sentiment de culpabilité (de dette ?) explique que je me sois, parfois par nécessité, mais parfois aussi hors de toute urgence, mis sur le dos des flopées de boulots parallèles – et des interventions à droite et à gauche, pour aller rencontrer des soignants ou des lecteurs - sans être rémunéré. 

Paradoxe : je bossais beaucoup pour gagner le plus d'argent possible, et je faisais beaucoup de choses gratuitement par culpabilité de chercher à gagner beaucoup d'argent. Allez comprendre. (Non, non, pas de psychanalyse sauvage, j'ai dit !) 

Je ne regrette aucun de mes livres, et je suis heureux qu'ils m'aient permis de gagner ma vie, je regrette seulement d'avoir eu parfois des relations de médiocre qualité avec certains éditeurs (tout le monde ne peut pas se comporter avec la même rigueur et la même intégrité...). Mais parfois, avoir autant de bouquins à écrire (de copies à rendre...) et faire autant de voyages, ça s'est révélé très lourd.

Depuis que j'ai quitté la France, ma vie s'est beaucoup allégée. À bien des points de vue. Matériellement, d'abord : à Montréal, je n'ai pas de véhicule personnel, je me déplace à pied, en bus et en métro ; je n'ai pas de téléphone cellulaire et j'ai mis du temps avant de mettre ma boîte vocale en fonction ; comme je suis un nouvel arrivant, je ne reçois pas chaque jour, comme ce fut le cas naguère, des appels de journalistes qui veulent me demander mon avis sur tout et sur rien.  Mon téléphone sonne peu et quand je vais parler quelque part, c'est en ville... Ça repose. 

Professionnellement, ensuite : je ne pratique pas la médecine et je ne suis pas sûr d'avoir envie de passer des équivalences pour exercer au Québec. Je crains de ne pas avoir le niveau. (Je suis sérieux : les exigences professionnelles à l'égard des médecins sont bien plus élevées ici qu'en France.) Et si c'est pour pratiquer une médecine médiocre à temps partiel, c'est peut être pas la peine d'infliger ma personne à la société québecoise souffrante... (Bon, il y a aussi que j'ai beaucoup plus envie d'enseigner que d'exercer la médecine, à présent...)

Cet allégement de mon emploi du temps gagne aussi ma pratique d'écrivain. Au début de 2009 encore, j'avais la perspective de signer quatre ou cinq contrats pour des livres très divers. Mais depuis que je suis ici, je décline beaucoup d'offres. Peut être parce que ce qu'on me propose m'intéresse moins. Ou parce que je suis fatigué. Ou parce que j'ai le sentiment de me répéter.

Je ne sais pas si ça augure d'une modification de mon écriture et du contenu de mes livres (voire de ma disparition en tant qu'écrivain... Il faut l'envisager...), mais je sais que ça m'allège l'esprit de ne plus avoir cinquante boulots à rendre. J'ai eu à subir des dates limites de remise pendant trop longtemps : en tant que journaliste à Prescrire dans les années 80, à Que Choisir Santé et comme traducteur dans les années 90, en tant que chroniqueur et rédacteur d'essais divers dans les années 2000... Je commence à en avoir assez, de ces contraintes et de cet éparpillement - ou bien ai-je fini par faire le tour des domaines dans lesquels je voulais laisser une empreinte ? 

Toujours est-il que j'ai décidé de me focaliser sur des sujets ou des formes qui m'importent plus que jamais : l'éthique du soin, la narration et un enseignement ancré dans ce qui les lie l'une à l'autre.

Bien sûr, j'ai toujours beaucoup de projets de livres mais je suis moins enclin à les "vendre" ou à me précipiter sur le premier éditeur venu s'il me propose de les publier chez lui.

Evidemment, pour écrire "librement", il faut avoir des moyens matériels. À défaut d'être abonné aux best-sellers, j'espère pouvoir décrocher chaque année des enseignements suffisamment réguliers pour mettre du beurre dans les épinards.

Pour le moment, je n'ai rien de fixe en vue.
Et pourtant, ça ne m'inquiète pas. 
À vrai dire, ça me soulage. 
Pour trouver la liberté, il faut savoir lâcher prise. Et ne pas avoir de voie toute tracée. 

M. 

lundi 22 février 2010

Etiquette(s)

L'étiquette, c'est ce qu'on trouve sur un article. Elle donne son prix, parfois son nom, parfois sa composition. C'est aussi une définition, un jugement de valeur, en général à l'emporte-pièce. Et puis, c'est "ce qui se fait", par opposition à ce qui ne se fait pas, dans les milieux dotés de règles strictes.

Je déteste les étiquettes. Je les ressens comme une violence destinée à maintenir les individus en place, à les soumettre à une pensée qui n'est pas la leur - et à indiquer à d'autres ce qu'ils sont, sans donner ni aux uns, ni aux autres, la possibilité d'avoir une appréciation nuancée.

Au cours d'une conversation en ligne, une correspondante me parle de l'Ennéagramme, une typologie de la personnalité dérivée des oeuvres de l'ésotériste Gurdjieff.

Je consulte des sites parlant de l'Ennéagramme, et surtout des "types" de personnalité qui y sont décrits. Je vais même jusqu'à faire un test qui indique que je suis... un "type 2" (un altruiste, un soignant, voyez-vous ça !).

A première vue, c'est tentant, c'est rassurant de se voir ainsi "reconnu" dans ses caractéristiques. Et puis en y réfléchissant, ça devient gênant, aussi gênant que l'horoscope qu'une patiente fit un jour pour moi, ou le "thème astral" à mon nom que j'ai découvert un jour sur un site internet. Finalement, je trouve ça assez difficile à supporter...

Parce que je déteste les étiquettes. Qui ne peuvent en aucun cas définir, voire même résumer de loin la complexité de la vie humaine, de la personnalité, des actes et des pensées, des espoirs et des accomplissements.

Est-ce que je suis vraiment plus "altruiste" que "curieux" ou "esthète" ? Le test indique que j'ai beaucoup de points communs avec ces deux là (le caractère "altruiste" ne les coiffe au poteau que de peu).

Ce qu'on est, est-ce que ça se résume aux étiquettes qu'on met sous ma photo ou une notule biographique ou un CV ? Non, bien sûr.

On est juste obligé d'avancer avec des définitions approximatives, contextuelles :
"Mon bébé, l'aîné de mes garçons, mon fils étudiant en médecine, mon (ex-)mari, mon père, mon docteur quand je vivais à Joué L'Abbé, mon amant d'un temps, un de mes plus vieux amis, le prof qui m'a donné le cours d'éthique clinique l'an dernier, un des chercheurs du CREUM, le type qui m'a empêché de me jeter sous le métro, l'auteur de La maladie de Sachs/des bouquins sur les séries/du livre sur la contraception, un Français qui vient d'immigrer, le connard manichéen et démagogue qui nous a fait chier avec ses grandes déclarations sur les soi-disant violences que toutes la profession médicale ferait aux femmes, la grande gueule qui nous a pompé l'air quand il causait dans le poste sur France Inter et donnait des leçons à tout le pays. Un mec."

Mais j'ai fait mienne la revendication du Numéro 6, le personnage de The Prisoner : 

 I will not be pushed, filed, stamped, indexed, briefed, debriefed or numbered.  

Alors, si j'avais à me définir, je le ferais à chaque instant, comme ceci :

Il est 6h59, je suis réveillé depuis deux bonnes heures, j'ai The Swingle Singers dans mon casque (ils finissent leur interprétation de "Blackbird") j'ai envie d'un café mais la machine fait du bruit et je ne voulais pas réveiller tout le monde, j'ai un peu mal au dos et un fond de heartache, je pense à ma matinée au CREUM et aux trois ou quatre livres que j'écris en même temps, (Jane Monheit murmure "Blame it on my youth"), il a neigé hier mais il a fait beau et j'espère qu'il en sera de même aujourd'hui, je me demande ce que je vais lire dans le métro tout à l'heure, faut que je pense à aller chercher le paquet à la poste, j'espère que j'aurai un signe.


M.

jeudi 18 février 2010

Merci à la vie (Exercice n°10, 11) - par LyJazz



Merci à la vie

Parce que j'ai toujours pensé, au fond, que j'écrirais, que je pourrais écrire, quand et seulement quand j'aurais suffisamment vécu pour que mes expériences forment une sorte de terreau.
Me voilà à l'âge où j'ai assez d'années pour dire que j'ai de l'expérience (dans plusieurs domaines) et toujours envie d'apprendre et de m'améliorer, où je suis assez jeune pour avoir des enfants petits.
Très important les enfants. Pour la force de vie, pour la puissance, pour l'expérience quasi chamanique de la naissance et de la communication avec un bébé. Si, j'insiste, Me Badinter....
Bref, je me sens apte à écrire. Enfin. Faire prendre corps à ce rêve d'enfant. Me donner le droit. Légitimer cette envie. Laisser sortir les mots.
Merci à mes amis qui ont su me donner assez de confiance en moi et ma sensibilité, ma vision, ma façon d'agencer les mots, pour que je me sente apte.
Parce que, quand on parle d'écriture, c'est très souvent le trou noir chez l'interlocuteur, qui prend ça, au mieux, pour une loufoquerie, un pensum, un devoir scolaire, au pire comme de la pédanterie. Ou qui est de suite rattrapé par une incapacité, se sent inférieur. Ou qui ne comprend pas, qui ne lit pas. Qui peut être goguenard, méprisant. Jamais dans le bon mood, quoi. Donc, je n'en parle pas.
Maintenant je le fais.
Alors merci à Aigue Marine pour m'avoir dit « derrière ton objectif il y a une plume ».
Merci à Fab pour m'avoir dit «J'ai lu ton texte avec une émotion très particulière et étrange ! Tu as écrit précisément ce que j'ai moi-même ressenti, c'est comme si tu avais mis sur le papier les mots précis que j'avais dans la tête...
Wow !  si tu as encore des textes, je les lirais avec plaisir ».
Merci à Sophie pour m'avoir dit « ça me touche ce que tu as écrit. Il y a des personnes comme toi qui se doivent d'écrire, de continuer. C'est un texte que je garderais, et pourtant je fais beaucoup de vide, celui-là je le relirais. »
Merci à Marin de m'avoir dit qu'il adorait mon univers.
Merci à Mar(c)tin de nous donner cet espace, qui est devenu un morceau de mon tissage.
En fait j'aime les débuts. Celui-là me semble un bon début. Faudra que je trouve les ressources pour continuer. Je crois que je peux le faire.
Merci à ces écrivains qui m'ont formée et accompagnée.
Ella Maillart qui me guide toujours ….et c'est super je viens de trouver deux personnes qui l'aiment et la connaissent, c'est si rare !
Marguerite Yourcenar parce que Zénon est aussi mon guide. « Plaise à Celui qui Est peut-être de dilater le cœur humain à la mesure de toute la vie. »
André Breton qui parlait et laissait parler si bien Nadja, dont je me récite souvent des passages. « J'ai pris, du premier au dernier jour, Nadja pour un génie libre, quelque chose comme un de ces esprits de l'air que certaines pratiques de magie permettent momentanément de s'attacher, mais qu'il ne saurait être question de se soumettre...  j'ai vu ses yeux de fougère s'ouvrir le matin dans un monde où les battements d'aile de l'espoir immense... »
Haruki Murakami, Tarun J Tejpal, et tant d'autres !

mercredi 17 février 2010

Merci "Les gens d'ici" (Exercice n°10,10 ) - par Serge A.




Vers huit heures moins le quart il y a bien longtemps  mon père regardait L’homme du Picardie.
Puis, à cette heure c’est normal, la télé pendant longtemps nous avait servi de la soupe.
Merci à Antenne 2 en ce mois de septembre 1981
Une émission de télévision qui prend son temps.
Merci à Pierre Desgraupes pour ce petit quart d’heure quotidien à 19 h 45.
Une émission qui laisse la parole aux gens, sans les guider, sans les trahir.
Merci à Philippe Alfonsi, Patrick Pesnot et Antoine Gallien.
Une émission qui donne à écouter et à entendre, à regarder et à voir.
Merci à ces  gens de peu qui parlent.
Une émission qui nous parle de nous.
Merci à ces gens qui ont  tant des choses à dire.
Une émission qui respire le respect des gens…
Tout le contraire de la télé réalité et des talk show …
Merci la télévision pour nous avoir laissé entrevoir ce qu’aurait pu être une autre télévision.
Merci pour Les gens d’ici.

dimanche 14 février 2010

Est-ce que ça change quelque chose ?

Ce texte est pour Clara & Olivia & L. 

Je relis un texte écrit il y a trente ans dans mon journal.
Ce texte me paraît à la fois familier et étranger. Je sais que je l'ai écrit mais je ne me rappelle pas l'avoir écrit. Je ne me rappelle pas son contenu non plus : il me surprend. Et pourtant, j'ai relu mon journal à plusieurs reprises depuis trente ans. Je l'ai même parfois donné à lire et, chaque fois, celle (c'était une femme, chaque fois) qui l'a lu m'a fait remarquer des choses que je ne savais pas (ou que j'avais oublié) avoir écrites.

Si je transcris ce texte sur un écran d'ordinateur  puis, plus tard, sur une feuille, il semble encore différent, même si je n'en ai pas changé la moindre virgule. (Mais il est difficile de ne pas changer ne serait-ce qu'une virgule à un texte qu'on réécrit : en le relisant une nouvelle fois, on y voit des aspérités qu'on n'avait pas perçues aux lectures précédentes. Je ne suis pas le même lecteur que les fois précédentes.)

Quand je relis mon journal, je constate (ça a toujours été le cas) que j'ai deux écritures. L'une d'elles est verticale, l'autre penchée vers l'avant. En première approximation, je suis tenté de penser que la seconde est celle de l'urgence, la première celle de la réflexion, mais ce n'est ni aussi simple, ni aussi clair à identifier dans les textes eux-mêmes. Aujourd'hui, trente ans et quelques acquisitions scientifiques plus tard (sur le fonctionnement du cerveau, en particulier), je serais presque tenté de penser que les deux écritures traduisent un état émotionnel différent au moment où j'écris, et non un état intellectuel de "premier jet" ou de "texte réfléchi". Là encore, je regarde mon écriture d'un oeil différent. La question que je me pose alors, coule de source : j'écris très peu à la main (quelle perte de temps : il faut tout recopier !) ; comment, alors, lire, aujourd'hui un texte dont la composition ne met en jeu ni les mêmes outils (ordinateur plutôt que papier et crayon) ni les mêmes muscles et neurones (ceux qui guidaient ma main droite fermée sur le stylo, ceux qui commandent les dix doigts des deux mains quand je tape), ni peut être les mêmes circuits cérébraux du langage (est-ce qu'on utilise les mêmes circuits pour taper et écrire ? Rien n'est moins sûr !) et qui, de plus, font disparaître la distinction entre mes deux graphies ?

Tout a changé.

Ma position pour écrire  : je suis assis, calé dans un fauteuil soigneusement choisi, les avant-bras posés sur des bras de fauteuil à la bonne hauteur, et seules mes mains et mes poignets bougent. Je fixe un écran installé à soixante ou soixante-dix centimètres de mes yeux. Quand j'écrivais dans mon carnet, j'étais penché sur une page posée horizontalement, je m'appuyais sur mon avant-bras gauche et le bras droit arpentait la page. Et je pense que j'étais plus près.
Est-ce que ça change quelque chose à mon écriture ? Certainement, mais quoi ?

L'endroit où j'écris : en cet instant, je suis installé dans la salle commune de l'appartement montréalais, tout le monde bouge autour de moi, l'un des enfants est à l'ordi familial à ma gauche, un autre devant la télé à ma droite, il y a du bruit dans la cuisine à l'autre bout de la grande salle qui occupe les deux tiers du logement... Mais je pourrais être assis à mon bureau au CREUM, devant l'écran du mac sur lequel j'ai composé "Le Choeur des femmes" et presque tous les textes que j'ai écrits depuis. Et parce qu'on est dimanche, et parce que je vais certainement poster ce texte aujourd'hui, il ne fera pas partie du lot.
Est-ce que ça change quelque chose à l'écriture de ce texte ? Certainement, mais quoi ?

L'âge que j'ai : chez l'être humain, la partie la plus "humaine" du cerveau, le cortex préfrontal, qui est le centre de la réflexion, n'en finit pas de mûrir de la naissance à l'âge de 20 ou 25 ans. Quand j'ai commencé à écrire, j'avais dix ou douze ans. A vingt-deux (âge où j'ai commencé à tenir un journal régulier), cette croissance n'était pas terminée. Trente trois ans plus tard, j'ai le sentiment d'être arrivé à une sorte de "vitesse de croisière" de ma pensée quand j'écris (je n'ai pas le sentiment de décliner ou de penser moins rapidement qu'à vingt ans, mais "mieux", alors c'est plutôt agréable) mais est-ce que ça change quelque chose à mes émotions ? Apparemment non : je retrouve dans mon journal les mêmes colères, les mêmes interrogations, les mêmes émotions confuses et le même sentiment amoureux que je ressens aujourd'hui. Alors, si ça change quelque chose d'avoir cinquante-bientôt-cinq ans plutôt que vingt-deux, qu'est-ce que ça change ?

Mon expérience : je sais (enfin, je crois savoir) beaucoup plus de choses qu'il y a trente ans -- et puis, si, réflexion faite et toute fausse modestie mise à part, j'en sais beaucoup plus, et surtout j'ai un savoir-faire infiniment plus grand, et je peux le vérifier : très tôt, à l'adolescence et peut-être même avant, je recevais des confidences aussi surprenantes que les personnes qui me les faisaient. Mais ces confidences, je ne savais pas quoi en faire. D'abord, je me suis contenté de les écouter et de poser des questions un peu naïves. Ensuite (quand je suis devenu médecin), j'ai voulu intervenir comme sauveur dans les événements de vie tragique qu'on me décrivait - et je me suis rendu compte que d'abord ça n'était pas ce qu'on me demandait, ensuite que mes interventions, mes suggestions, mes certitudes pouvaient avoir un effet désastreux. Plus tard, le Balint et le temps aidant, je me suis rendu compte qu'il y a un temps pour chaque chose : écouter, poser des questions, faire des suggestions interrogatives et, ensuite, le cas échéant, apporter ma contribution quand on me la demandait - et encore, pas toujours : il y a bien des situations dans lesquelles il est bien plus utile de laisser l'autre prendre les choses en main seul(e), en lui laissant entendre simplement qu'on le soutiendra moralement.
Tout ça change certainement quelque chose à mon écriture. Mais quoi ?

Mon état émotionnel de l'instant : si je retraçais l'année écoulée (du 11 février 2009, date de mon arrivée à Montréal, au 14 février 2010, ce jour de la Saint-Valentin) en ne parlant pas des faits, mais de l'itinéraire en montagnes russes qu'ont parcouru mes émotions, je pourrais le décrire de la manière suivante : un sentiment de liberté et d'euphorie ; un lent retour à une tension anxieuse ; une période de stimulation intellectuelle soutenue ; une explosion émotionnelle, intellectuelle, onirique ; une période de tristesse intense mêlée d'un désir profond de sortir de cette tristesse ; et, aujourd'hui, la sensation de courir, tantôt euphorique et tantôt douloureux, comme un marathonien qui sait qu'il a peut être une fracture de fatigue (mon pied me fait mal, mais comme je plane, ça ne me gêne pas...) mais qui n'a pas l'intention de s'arrêter avant d'avoir atteint son but, et qui ne se demande pas combien de kilomètres il lui reste à parcourir : il verra bien en arrivant dans la dernière ligne droite, et c'est à ce moment-là qu'il ne faudra pas flancher.

Je sais que ça change quelque chose à mon écriture, car chaque événement, chaque personne qui me touche me change, et parfois plus profondément encore que je ne le crois au moment où cela survient.

Ce qui ne change pas, c'est que j'écris et que l'écriture, même si ce n'est pas immédiatement lisible, exprime dans toutes les nuances et les incertitudes la personne que je suis et deviens au contact de l'autre.

M.

dimanche 7 février 2010

Merci les gens... (Exercice n°10, 8) - par Zelapin bis

Merci les gens, les gentils, les méchants, les autres aussi / exercice d'écriture n°10
(par zelapin)


Merci Pierre Desproges,
Greg,Jacques Bodoin (qui s'en souvient?)
Gaston Lagaffe et Franquin,
Spirou, Pilote, le Canard Enchainé,
Merci encore et toujours Gotlib,
C'est un vrai bonheur que de vous avoir eus pour éveilleurs d'humour.
(Même si c' était principalement comme lecture aux chiottes.)

Merci Mireille Mathieu, Michèle Torr et Jaïro de n'avoir jamais fait partie de la discothèque familiale,
Mon oreille est plus sûre, mon rythme moins hésitant
De ne vous avoir croisés que chez mes grands-parents,
Dans la petite lucarne, invités de Marithie et Gilbert Carpentier.

Merci aux vagues, au sel, aux dépressions,
Ici et très au sud, dans les Flandres et le froid,
Merci le vent d'avoir poussé mon aile
Et celles des autres avec qui c'était si bon d'être sur l'eau.

Merci à mon petit noyau (qui se reconnaitra)
Si dense, si lourd, si intense
Et si dur, mais tellement là,
Tellement mien, pour toujours. (je vous aime)

Merci les méchants, les cons, les pas sympa,
Grâce à qui je peux définir ce que j'apprécie, ce que je ne veux pas,
Pas être, pas faire, pas penser.
Vous avez autant le droit que moi de vous construire en négatif (mais pas uniquement).

En gros, merci à tout le monde,
Mais faut pas déconner,
Tout le monde n'est pas n'importe qui,
Pas les grands magouilleurs, pas les grands détesteurs,
Pas les spéculateurs, les lèche-bottes, les faux-culs,
Ceux qui ne doutent pas, qui savent d'où vient le monde,
Et où ça finira.

Merci.
Pardon.
S'il vous plait.
Bonjour.
Au revoir.
Adieu (et quand on ne croit pas, à/jenesaispas?).

vendredi 5 février 2010

Mercie Maman (Exercice n°10, 7) - par Salomé

Mercie, Maman pour le colier avec le scarabé bleu que tu m'as donner, s'est tré joli, mercie de penser à moi. Je t'aime maman. J'aispaire que ce nouvau meussieu est jantil avec toi et qu'il va te donné beaucou d'arjan comme ça tu poura m'acheté des chausure. Revien vite Maman je panse beaucou a toi. T'inquiette pas, je sé me débrouillé pour manger et le papa de Clothilde va m'amené à l'école et je serai sage. Je vé aussi prendre ton pull pour dormire et puis le scarabé et je maitrai la petite lumière et je vé bien fermer la porte. Mercie maman, je t'aime tré fort, je panse à toi pour tous l'or du monde. Sofia.

mercredi 3 février 2010

Merci Monsieur Gracq (Exercice n°10, 6) - par Laura

Merci Monsieur Gracq,

pour les émotions données à la lecture de vos livres

d’avoir ouvert un carrefour où poésie, géographie, histoire ont su se rencontrer et créer une littérature que l’on se plait à arpenter

pour ces Carnets du Grand chemin où je m’évade régulièrement

d’avoir eu les sens aux aguets et d’avoir su dans le regard que vous posiez sur le monde en donner son essence

pour ces romans envoutants où je suis allée errer

d’avoir été fidèle aux lieux, aux chambres vides, aux lisières, aux eaux stagnantes

pour les silences d’une vie qui vous appartient

d’avoir marché le long des eaux étroites, autour des sept collines, et sur les grands chemins

pour l’intensité révélée dans la densité de l’écriture

d’avoir fait de moi une lectrice nouvelle au travers de ces livres qui me sont autant de lettres par vous adressées et que je reçois comme une respiration

pour l’intégrité de l’homme que vous avez su être

d’avoir offert des seuils où se rencontrent les échos

mardi 2 février 2010

Merci la mer (Exercice n°10, 5) - par Jo Alouest

Parce que tu es belle, lumineuse et changeante.

Parce que c'est à ton contact que j'écris le plus librement.

Parce qu'il n'y à que lorsque nous sommes seules que je n'ai pas honte de chanter à tue tête.

Parce que depuis toute petite, c'est auprès de toi que je me sens le mieux, que je me sens vivre.

Parce que tu ne m'a jamais malmenée, même lorsque tu bouillonnais de colère, mais que je ne pouvais m'empêcher de te rejoindre.

Parce que tu n'as jamais cafté lorsque je filais en douce te retrouver, la nuit, pour m'endormir en écoutant ta berceuse lancinante.

Parce que sous la pluie, tu es drôle et brillante.

Et que sous l'orage tu deviens féérique.

Parce que tu es mon « autre mère », mon repère, mon oxygène, mon horizon.



Parce qu'où que j'aille, quand je te retrouve, c'est la première fois.

Parce que lorsque tu t'éloignes, c'est pour mieux revenir.

Parce que j'aime ta solitude.

Parce que quand je te rends visite avec les enfants, tu as toujours une surprise pour eux.

Parce que tu sculptes de jolies choses.

Parce que tu sais même adoucir les éclats de verre.

Parce que tu sens bon.



Parce que plonger dans tes rouleaux, ça me nettoie la tête de toute tristesse, de toute rancoeur.

Parce que j'adore faire la planche quand tu est calme et que seules tes vaguelettes décident de mon parcours.

Parce que j'aime observer les dessins que forme ton sel sur ma peau en séchant.

Parce que laisser glisser ton sable entre mes doigts en t'écoutant m'apaise.

Parce que j'aime te chercher des puces et jouer à celle qui saute le plus loin.

Parce que je raffole de tes poissons, surtout crus.



Pour l'ambiance de la criée.

Pour les couleurs des chalutiers.

Pour les colliers de coquillages et les galets.

Pour les falaises, les jetées, les dunes, les plages, les estuaires et les marais.



Pour les mouettes, les cormorans, les goélands, les albatros, les macareux, les pingouins, les sternes et les fous de Bassan.



Pour les bulots, les huîtres, les coques, les palourdes, les couteaux, les praires, les coquilles Saint-Jacques et l'encornet.

Pour les moules marinières, les éclades et les mouclades.

Pour les crevettes, les crabes, les langoustines et les homards.



Pour tes étoiles, les raies, le regard des dauphins, la beauté translucides des méduses.

Pour les couchers et les levers de soleil.

Pour les étoiles du ciel qui se reflètent en toi.

Pour tes vagues, tes algues, ton sel et tes grandes marées.



Mais aussi pour les châteaux de sable et pour m'avoir appris à nager.





Je voulais te dire « Merci ».

lundi 1 février 2010

Merci Seigneur (Exercice n°10, 4) - par Muchanuit

Merci Seigneur

merci seigneur
merci le père le fils et le saint-esprit
merci notre père qui êtes aux cieux
merci Maréchal nous voilà, que nous avons salué chaque matin dans la classe de madame Varot
que chaque matin madame Varot nous disait c'est le papa de tous les petits français
moi je l'avais mon papa
merci seigneur de m'avoir donné deux papas
des mamans pourquoi tu m'en as pas donné deux aussi
la deuxième aurait été encadrée à côté du Maréchal dans la classe de madame Varot
merci madame Varot
tu as dit merci au monsieur madame Varot? il faut dire merci au monsieur madame Varot
trop tard ?
jamais trop tard pour dire merci
moi je dis bien merci

merci seigneur
merci seigneur pour tout le mal que tu m'as fait
merci seigneur pour tout le mal que tu me fais
merci seigneur pour tout le mal que tu nous fais
merci seigneur pour tout le mal que tu nous feras
à nous pôvres pécheurs
aujourd'hui, demain et jusqu'à l'heure de notre mort
et in secula seculorum.