Rubriques

mardi 29 décembre 2009

Out of the Past (6) - par Ornella

From : jessicam2709@yahoo.fr
Sent : Thursday, December 24, 2009 22:38
To : etiennelou@gmail.com
Subject : Out of the past

Cher Etienne,
Non, ne cherchez pas, vous ne me connaissez pas. Enfin, nous nous sommes croisés il y a cinq ans mais il n’y a aucune chance que vous vous souveniez de moi. Vous vous demandez certainement pourquoi je vous écris un 24 décembre alors que vous ne savez même pas qui je suis. Je vais vous dire. D’abord, je ne fête pas Noel alors je m’emmerde le 24 décembre ce qui explique que je traîne sur Facebook , que je sois tombée par hasard sur une photo de vous au bras d’une jolie brune et que je vous aie reconnu immédiatement. Ensuite, Etienne, j’ai hésité à vous écrire mais j’ai pris cette photo comme un coup du destin. Alors il fallait que je vous dise…
Le jour où nous nous sommes rencontrés, j’étais mal en point. Encore une infection urinaire que j’avais laissé trainer. Je me suis retrouvée aux urgences par un dimanche ensoleillé. Faut croire que je m’en voulais vachement pour me gâcher une si belle journée en passant quatre heures à l’hôpital. J’avais 27 ans. Ca faisait quatre ans que je travaillais dans une agence de pub ou je faisais pas grand-chose et le double de temps que je me demandais quelle connerie m’avait poussée à ne pas faire médecine.
Je me suis donc retrouvée aux urgences à pisser dans un bocal et vous êtes arrivé pour m’examiner. Et là, j’ai réalisé. J’ai réalisé que vous étiez plus jeune que moi et que vous étiez déjà interne. C’est bête à dire mais c’est en vous regardant m’examiner, pas très sûr et un peu gêné, que j’ai réalisé que je ne serai jamais médecin. Jusque-là, j’avais pensé « je suis jeune » comme pour me convaincre que tout était encore possible. Et je ne me l’étais jamais formulé aussi clairement.
Pourquoi vous ? Pourquoi à ce moment précis ? Je ne suis pas naïve, je sais que c’est un cheminement et que vous n’avez été qu’un élément déclencheur. Mais en même temps que cette constatation sonnait en moi comme un deuil, j’ai réalisé que je ne m’y résoudrai jamais.
Je suis rentrée chez moi avec des antibiotiques et j’ai tapé sur Google : « faire des études de médecine tard », « changer de voie pour la médecine » et tout ce qui me passait par la tête. Et pendant deux ans, j’ai compté mes économies en me demandant si j’envisageais un projet impossible.
Et puis j’en ai parlé à mon mec. Qui m’a quittée.
Et à mes parents. Qui m’ont ri au nez.
Et enfin à moi-même. Je me suis regardée dans un miroir. Je vous ai revu, vous, plus jeune, hésitant, apprendre à soigner et je me suis revue, moi, onze ans plus tôt, invoquer mon envie d’international pour mettre de côté les études de médecine que je voulais faire depuis toute petite. Alors je me suis décidée.
C’était il y a trois ans. Aujourd’hui, je suis en troisième année de médecine. C’est difficile, je me sens souvent très seule et ce n’est que le début. Je suis parfois déçue et je suis en décalage complet avec les étudiants autour de moi. Je ne peux m’acheter aucune des jolies robes que je vois dans les vitrines du boulevard Saint-Michel en allant à la fac. Et je ne pourrai pas envisager de devenir mère avant des années. Mais quand je me regarde, je n’ai plus honte, je vois la Jessica que je m’imaginais devenir dans mes rédactions de CM2. Et quand je me lève le matin, je n’ai plus l’impression d’être au bord d’un précipice vide de sens, je me suis accrochée à ma vie.
Alors je sais pas si j’ai envie de vous dire merde ou merci.
Mais ce dont je suis sûre Etienne, c’est que cet instant aux urgences a été décisif et que la décision qui en a découlé m’a sauvée.
J’espère juste que je serai un bon médecin.
Bonne continuation a vous.
Amicalement,
Jessica.