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samedi 3 octobre 2009

Salons, librairies, bibliothèques et classes

Quand je suis devenu un écrivain connu, au moment du succès de La Maladie de Sachs, j'ai commencé à être invité à des signatures dans des librairies et dans des bibliothèques, partout en France. Et aussi, bien sûr, à des salons du livre. Très vite, j'ai compris où allaient mes préférences : je n'avais pas vraiment de goût à rester assis derrière une table pour attendre des lecteurs qui ne savaient pas nécessairement que j'étais présent, au milieu de dizaines d'autres écrivains et qui, le plus souvent, tombaient sur moi par hasard, ou s'arrêtaient devant un livre dont ils avaient entendu parler mais qu'ils n'avaient pas nécessairement lu ou envie de lire. Et qui, surtout, avaient peu de chose à dire à son auteur.


Quand on n'est pas un super best-seller dont la présence est annoncée à grands frais de publicité et dont le stand est entouré par des barrières pour éviter la foule, attendre est très éprouvant, parce que cette attente répète implicitement l'attente de la réponse de l'éditeur quand on a envoyé un manuscrit et celle des articles quand un livre vient d'être publié.

Très vite, j'ai cessé d'aller dans les salons, sauf aux 24 heures du Livre du Mans (c'était ma ville, j'habitais à quelques centaines de mètres, j'y allais aussi pour rencontrer les écrivains, j'avais envie de soutenir les librairies du Mans, je me sentais chez moi et puis, mes enfants et des copains venaient me tenir compagnie !) et au Salon du Livre de Paris, où la présence est en générale ponctuelle (une heure ou deux), donc pas trop frustrante même si on n'y voit que quelques lecteurs. On trouve toujours quelqu'un avec qui bavarder.

(A Paris, sur le stand P.O.L, qui est probablement celui que j'ai le plus fréquenté depuis 20 ans (même quand je n'avais publié qu'un seul roman, confidentiel, et même, après "Sachs", quand je n'avais rien publié de récent), je ne me suis jamais senti seul ni ennuyé, car j'ai toujours pu y rencontrer des écrivains que je lis (mais que je ne connais pas personnellement) et feuilleter dans les rayons des livres dont j'ignorais auparavant l'existence sans qu'on vienne me regarder d'un oeil sévère et me demander si je cherche quelque chose en particulier. )

 J'ai toujours préféré, et de loin, les rencontres en librairies ou en bibliothèque. D'abord parce qu'elles sont programmées, ce qui fait que les personnes qui s'y rendent viennent spécialement pour vous. Ensuite parce que, quel que soit leur nombre, c'est toujours passionnant. J'ai eu droit à des rencontres avec plusieurs centaines de personnes - comme à "La Boîte à Livres", à Tours, en 1998, et je raconterai un de ces jours pourquoi c'était très émouvant ; j'ai eu droit à des rencontres avec trois personnes (à Bordeaux, dans une bibliothèque de quartier, un soir de semaine) ; j'ai fait des rencontres dans de toutes petites bibliothèques de campagne et dans des bibliothèques cossues de grandes villes de province et j'en suis sorti, chaque fois avec un sentiment assez réconfortant de mieux comprendre ce que j'avais écrit.

Car ces rencontres ne sont pas des "séances de promo" de mes livres mais des rencontres avec des lecteurs, qui en ont déjà lu un ou deux, et qui éprouvent le désir de m'entendre parler de mes métiers de médecin et d'écrivain, et de dire ce qu'ils ont ressenti à la lecture. De sorte que, quel que soit leur nombre, ce qui se passe, ce qui se dit, ce qui s'échange est toujours extraordinairement gratifiant. Souvent, j'entendais des gens me dire ce qu'ils avaient senti ou lu dans un de mes livres, et j'étais émerveillé de ce qu'ils avaient vu et que je ne savais pas y avoir mis.

Et puis, les rencontres de ce type sont souvent pour moi l'occasion de lire à haute voix des extraits des bouquins, et cela aussi est un moment de grand plaisir. J'aime lire à haute voix. Sans doute parce que la narration orale est ce qui m'a toujours le plus transporté : j'aimais écouter les membres de ma famille (qui en connaissaient des flopées) raconter des histoires ; j'aimais écouter les dramatiques radio de "L'heure du Mystère" ou du "Théâtre de l'étrange" quand j'étais un jeune adolescent, et j'entends toujours une voix intérieure (la mienne ?) lire les lignes que je parcours dans un livre.


J'ai aussi beaucoup aimé me rendre dans des classes - de collège ou de lycée, le plus souvent - sur l'invitation d'enseignants désireux d'offrir à leurs élèves un regard nouveau sur un écrivain, ou sur la contraception ou sur les séries télé... D'abord parce que je me souviens de l'ennui puissant qui me tenaillait, quand j'étais au lycée, et de la fête que c'était quand quelque chose - n'importe quoi ! - venait rompre la monotonie. Alors j'aime beaucoup l'idée de jouer le rôle de diversion pour une classe. Pour moi, l'enseignant qui invite un écrivain ou un artiste fait un cadeau à ses élèves. Et puis, entendre un lycéen demander "Pourquoi vous avez mis une scène de partouze dans Mort in Vitro ?" ou "Pourquoi vous dites "baiser" et pas "faire l'amour", M'sieur ?", c'est vraiment réjouissant. Moi qui avais si peur de parler de sexe quand j'étais adolescent, je trouve fabuleux que les ados d'aujourd'hui m'interpellent... et me demandent d'en parler !

Ce plaisir de parler avec des lecteurs et lectrices de tous âges ne m'a jamais été imposé. Chez P.O.L, par exemple, on est très précautionneux de ce qu'on demande aux écrivains, on les protège, on leur laisse toujours entendre qu'ils ne sont obligés à rien. Certains écrivains aiment ce genre de rencontres, d'autres les fuient (ou même, restent constamment invisibles), tous sont respectés. Aucun n'est traité comme s'il devait assurer le "minimum syndical" de la représentation. Evidemment, c'est très confortable de savoir qu'on n'est pas tenu d'accepter toutes les invitations pour "faire plaisir" à son éditeur.

Il est plus difficile de refuser les invitations quand on a envie de se faire plaisir. A une certaine époque, j'acceptais presque toutes les invitations de rencontre. Pour différentes raisons, que je trouvais toutes bonnes : la reconnaissance envers les libraires qui défendent mes livres et les lecteurs qui les achètent et les offrent ; l'ivresse de rencontrer des personnes nouvelles toutes les semaines ; le sentiment presque missionnaire de devoir faire passer un message important sur la contraception ou la santé des femmes ; le désir de transmettre.

Je me laisse souvent entraîner à parler de médecine, de politique de santé, de formation des médecins, plutôt que de littérature. C'est ma faute. Je suis trop passionné. Parfois, cependant, il m'est arrivé de parler de littérature et d'écriture. Trop rarement, mais tout de même. Je me souviens en particulier d'une fois, en Normandie. Une enseignante m'avait invité à rencontrer ses élèves dans la journée, des adultes le soir... et m'avait demandé si, entre les deux, je voulais passer une heure avec les adolescents à qui elle proposait un club/atelier d'écriture.
Elle m'avait précisé que c'étaient tous des adolescents avec une histoire un peu difficile, et que cet atelier était l'un des seuls endroits où ils pouvaient s'exprimer librement. Et que ça donnait des textes souvent très impressionnants.
Bien sûr, j'ai dit oui. Et j'ai passé un moment assez extraordinaire à échanger avec eux, à leur demander ce qu'ils écrivaient et à en parler, en insistant constamment sur le fait qu'à leur âge, j'écrivais déjà, mais que je ne me doutais aucunement qu'un jour je serais publié et rencontrerais le succès. Alors, qu'ils ne se mettent pas martel en tête, qu'ils continuent à avancer et à écrire, et puis ils verraient bien, le moment venu...

A l'époque, j'écrivais Les Trois Médecins et je leur ai confié mon projet d'écrire un remake des Trois Mousquetaires. Leurs remarques, leurs questions, leurs réactions m'ont fait tant de bien et j'ai passé un si bon moment que j'ai trouvé tout naturel de tous les nommer dans les remerciements du livre. Ils m'ont remercié, mais ils faisaient erreur : c'est moi qui leur devais un merci.

Un an ou deux plus tard, l'enseignante m'a écrit pour me confier qu'elle venait de vivre une expérience très pénible. Elle avait invité un autre écrivain à rencontrer les adolescents du même groupe. Non seulement ça n'avait pas accroché, mais elle venait de découvrir, quelques mois plus tard, qu'il avait écrit un texte extrêmement méprisant, dans lequel il ironisait sur (je le cite de mémoire) "ces ados qui s'imaginent, parce qu'ils écrivent, qu'ils ont quelque chose à dire". Il ne nommait ni la ville, ni les adolescents, ni leur enseignante mais, pour qui les connaissait, la description de leur rencontre ne laissait aucun doute quant à leur identité. Et dans son texte, sa condescendance envers ces adolescents était palpable.

J'ai répondu à l'enseignante que j'étais aussi choqué qu'elle. Et qu'à mon avis (je me cite de mémoire) ce type était un sale con.

Et tout récemment, à la télé j'ai encore entendu parler d'un autre écrivain (mais j'oublie son nom) qui raconte dans un de ses livres comme il a souffert dans les salons pluvieux et déserts où personne ne le connaissait et ne venait le voir.

Mais rien n'oblige jamais un écrivain à aller à un salon, rencontrer des lecteurs ou parler à des lycéens. On ne le fait pas pour la gloire, on ne le fait pas pour la postérité, et on ne le fait certainement pas pour l'argent. Si on n'en a pas envie, on n'y va pas. Mais lorsqu'on y va, la moindre des choses c'est d'y aller de bonne grâce. Et de ne pas déverser sa rancoeur, après coups, sur les gens qui étaient là pour nous y accueillir. Ils n'étaient peut-être pas nombreux, mais ils sont venus, et à ce titre ils méritent notre respect.

C'est comme les médecins qui ne respectent pas les patients qui leur parlent de ce qui les fait souffrir. Un écrivain qui n'a pas de respect pour les personnse qui lisent et qui écrivent et le font parler de littérature - surtout quand elles sont peu nombreuses - n'est probablement pas fait pour ce métier.