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dimanche 6 septembre 2009

La douleur, le bowling et l'écriture

Depuis que j'ai créé ce blog, j'écris chaque jour et je ne suis pas sûr que je pourrai tenir ne serait-ce qu'un mois à ce rythme, alors j'y reviens chaque fois que je peux, comme quand j'étais adolescent et que je retournais à mon journal chaque fois que j'allais mal. Bien sûr, je ne suis plus tout à fait aussi immature et perturbé que je l'étais à 16 ans - et j'en viens à me demander si j'étais vraiment "perturbé",  tant ce que je lis sur le développement du cerveau me donne à penser que les "anomalies" montrées du doigt par les parents et les psychanalystes normatifs semblent un passage obligé de toute évolution vers l'âge adulte... Le cerveau mûrit. Il est un peu compréhensible que celui d'un adolescent mûrisse comme l'a fait précédemment celui du nourrisson... et que ça le fasse souffrir. Sans que les concepts lacaniens y soient pour quelque chose.

Mais, "équilibré" ou "mature", peu importe le terme, on peut continuer (ou se remettre à) souffrir pour les raisons les plus inattendues. C'est un peu comme la douleur que j'avais à l'épaule droite quand je jouais un peu trop (et pas très bien) au bowling. Il fallait que je prenne du paracétamol ou de l'ibuprofène une heure avant d'aller jouer, le mardi soir, pour ne pas avoir mal juste après avoir fait mes lancers d'échauffement. Et quand j'oubliais de le prendre (le reste de la semaine, je n'avais pas mal), j'étais toujours surpris et malheureux de me remettre à avoir mal, et de jouer mal parce que j'avais mal (je jouais bien mieux, sinon), et de ne pas pouvoir dire "J'ai mal à l'épaule" à mes camarades de bowling parce que je trouvais que c'était une excuse plate (comme on dit au Québec) de mal jouer, alors je disais : "Je joue mal, ce soir." C'était vrai, ça voulait dire que je ne m'en prenais à personne - je ne m'énervais pas, j'essayais de rester concentré - mais que j'étais conscient que je jouais mal. Et quand de temps à autre, je me mettais à jouer bien, à faire un strike ou une bonne première boule puis un spare, c'était du baume sur mon coeur d'homme qui avait mal et je sentais toujours mon épaule, mais je ne lui (m') en voulais plus.

Le bowling, pour moi en tout cas, ça n'est pas comme l'écriture. C'est un moment où je ne pense pas. Je reste concentré sur la manière dont je me place, dont je fais chaque fragment de geste (car tout compte, depuis la manière dont je place la boule devant moi jusqu'à la dernière impulsion du bras au moment où je vais la lâcher), je ne fais rien d'autre. Alors que pendant certaines activités "automatiques" (passer l'aspirateur, conduire mon scooter ou, depuis que je suis à Montréal, faire la vaisselle) je peux penser à autre chose. J'ai eu de belles idées en allant à la gare en scooter ou en faisant la vaisselle.

Au bowling, je n'ai aucune idée. Je suis concentré sur le geste, sur la répétition du geste. Je ne vise pas un score en particulier (je ne pense pas vraiment au score final, sauf quand j'en suis à deux séries de la fin) je vise la régularité, au moins des spares, je sais que c'est à ma portée si je ne m'énerve pas, si je ne me précipite pas quand je lance la deuxième fois. Des strike, si possible. Je ne cherche pas à battre mon propre record (je suis d'ailleurs incapable de dire si c'est 225 ou plus, je crois que j'ai fait 245 une fois mais je n'en suis pas sûr). Je cherche à bien jouer. En sachant qu'il n'y a personne pour le voir, sauf quand je joue avec mes enfants qui sont (mais la situation est biaisée) toujours admiratifs de me voir jouer bien, sans jamais perdre mon calme si je rate une boule...

Le bowling, c'est ce qui me permet de mettre mon coeur au repos. Mon coeur, ici, ce sont mes sentiments et mes émotions. Mes tourments.


Mon plus jeune fils, qui a onze ans et demi, craint l'obscurité et la peuple de monstres. Je faisais pareil à son âge, alors j'arrive à le rassurer et petit à petit il s'affranchit de cette peur comme je l'ai fait moi-même.

Je sais que mes tourments d'adulte sont un produit de mon imagination et de mon passé (et puis du passé des autres, en particulier de ma famille). Ca ne les rend pas plus supportables pour autant. Parfois c'est même encore plus insupportable parce que, comme je suis un homme de 54 ans (c'est à dire que j'ai l'âge qu'avait mon père à l'époque où il était mon héros de petit garçon pas encore adolescent) il n'y a personne pour me rassurer ou me consoler.

Et qu'on ne vienne pas me balancer : "Mais t'es un adulte, tu devrais prendre sur toi." Les sentiments qu'on a sont profondément ancrés en nous. Ils ne disparaissent pas sur commande. Ils échappent à la raison. La peur, le chagrin, l'angoisse, le sentiment d'indignité ne sont pas des choses qu'on maîtrise. Et si tous les adultes admettaient clairement qu'ils ont ce genre de sentiment toute leur vie, ça les rendrait plus humbles. Et ça aiderait les enfants à mieux grandir.

Je n'ai pas joué beaucoup au bowling depuis que je suis parti à Montréal. Deux fois à Montréal et deux fois au Mans pendant les séjours que j'ai faits là bas depuis février. J'ai mieux joué quand je n'étais pas seul (trois fois sur quatre) et je ne me souviens pas avoir eu mal à l'épaule.

Est-ce qu'écrire son journal dans un blog (où d'autres peuvent le lire, s'ils le veulent) c'est "mieux" que de tenir un journal qu'on est seul à lire ?

En tout cas, contrairement au bowling, je n'ai pas besoin de prendre quelque chose avant de me mettre à écrire ; car "tout pendant que j'écris", je ne sens pas la douleur.